Le poncif européen se vérifie: l’Europe n’avance que par les crise. En ce moment, ses avancées même sont des crises.
L’Allemagne se sent de moins en moins solidaire d’une Europe qui lui apporte une grande part de sa prospérité, et fait savoir par tous les moyens qu’elle ne paiera pas. Le ministre allemand des affaires étrangères, Guido Westerwelle, déclare ainsi que « Nous ne demanderons plus d’efforts aux Allemands pour les autres ».
Sauf à renoncer à l’Euro, la mise en place de systèmes de gestion des déséquilibres économiques en Europe est pourtant devenue nécessaire. C’est pourquoi quantité de groupes de travail plus ou moins officiels travaillent à définir cette architecture. En premier lieu, celui qui est placé sous la responsabilité du Président de l’Europe. Mais si, vous savez bien, le type là, qui est belge et qui fait des petits poèmes japonais, et puis qui a un frère qui est belge aussi! La Commission européenne réfléchit de son côté, ce qui au niveau de subordination auquel elle est parvenue s’apparente presque à de la rébellion. Bien entendu, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a son avis propre. Sans parler du groupe de travail rassemblant les meilleurs des meilleurs des hauts fonctionnaires nationaux, qui est tellement secret (jusqu’à 18h30, heure de Bruxelles) qu’ils ne se sont pas trouvé de nom.
Et ben tous ceux là ont trimé pour rien, parce qu’un autre groupe a tout fait tout seul: Nicolas et Angela. Vendredi, le Conseil européen se réunissait pour causer d’énergie; les deux chefs d’Etat ont sorti un tout autre lapin du chapeau. Il s’agit d’un pacte de compétitivité (version quasi-définitive, via Euractiv) faisant écho au pacte de stabilité. Qu’y trouve-t-on?
Dans ce document d’une page, trois indicateurs chiffrés sont mis en avant: la compétitivité prix, c’est à dire le « réalignement des coûts du travail » (également appelé baisse des salaires), la stabilité des finances publiques (pacte de stabilité version plus), et un seuil minimum d’investissement dans la formation, la recherche et les infrastructures. La surveillance de ces indicateurs est confiée au secrétariat franco-allemand (également appelé commission européenne).
Mais un lapin dans le chapeau peut en cacher un autre. Facétieuse, Angela Merkel a fait connaitre quelques heures avant le Conseil la liste des mesures qui, selon l’Allemagne, permettraient de vivre tous ensemble en Bonn intelligence.
1) Plus d’indexation des salaires
Sont visées: la Belgique, qui s’y est remis en 1996, l’Autriche, le Luxembourg, l’Espagne, la France (pour le SMIC). Ca fait de l’inflation et ça augmente les coûts.
Pour l’inflation, on peine à voir: c’est une grande peur des années 70 (et surtout pour l’Allemagne des années 20 et 30), mais le risque inflationniste est aujourd’hui historiquement faible. Nous sommes plutôt menacés par la déflation.
Pour les coûts par contre, les choses sont limpides: il faut baisser les salaires pour accroître la compétitivité. Ceci devrait permettre aux pays qui ont une compétitivité faible de reprendre des parts de marchés!! Suggérons inversement que l’Allemagne pourrait s’occuper de son côté de son taux de pauvreté qu’elle a laissé s’envoler ces dernières années et qui n’est certainement pas étranger à la faiblesse de sa demande intérieure (et extérieure du même fait).
Ce qui est rarement assumé dans le discours Allemand sur la compétitivité, c’est que la majeure partie du commerce de la zone Euro se faisant entre ses membres, ils sont moins en concurrence avec la Chine qu’avec l’Allemagne. Se faire concurrence les uns les autres en baissant tous nos salaires est une idée assez originale.
2) Harmoniser l’impôt sur les sociétés
Ma foi, nous sommes tout a fait d’accord avec cela. Les Irlandais par contre, hurlent comme des écorchés. Il semble que chez eux le taux d’imposition des sociétés (étrangères) soit en passe de devenir moins un levier de politique économique qu’un élément de l’identité nationale, qui continuera à les définir glorieusement quand leur taux de chômage aura dépassé les 15%
3) La retraite à 67 ans pour tous
Nous on a fait la retraite à 67 ans. Faites la aussi, y’a pas de raison. Passons sur l’aspect politiquement suicidaire du débat, capable de faire descendre le soutien à la construction européenne en dessous de 10% dans la quasi-totalité des pays concernés. Car si, il y’a des raisons.
La première, c’est bien évidemment la démographie. Que l’Allemagne, qui devient le mouroir de l’Europe, se sente obligée de maintenir ses vieux au travail est une chose. Qu’elle l’impose à d’autres pays dont la population continue à croître est inadapté. La France et l’Allemagne auront ainsi le même nombre d’habitants vers 2050 (le rêve absolu pour plusieurs générations de généraux français, heureusement morts depuis des lustres).
Ensuite vient l’efficacité du dispositif: Les allemands peuvent travailler plus longtemps parce qu’ils sont mieux formés: à qualification égale, le taux de chômage est à peu près le même en France et en Allemagne au-delà de 55 ans. Le problème, mais il est de taille, c’est que la France n’a massifié son enseignement supérieur que dans les années 80. Résultat: 47% des 55-64 ans en France se contentent du brevet ou moins (c’est bien pire pour les Italiens et les Espagnols). En Allemagne, ils ne sont que 19% dans ce cas! L’employabilité au-delà de 60 ans n’a évidemment rien à voir entre ces pays, et les arbitrages travail, retraite, préretraite, activité partielle, chômage sont très différents.
4) L’équilibre budgétaire dans la constitution de chaque pays
Le pacte de stabilité superplus! Ce n’est même plus « drei-nul-nul », mais « nul-nul-nul ». Voici qui confine tout de même à la joyeuse rigolade, car à par la Grèce tous les pays qui sont aujourd’hui attaqués étaient il y’a peu en excédent budgétaire! Les mauvais élèves sont la France et… l’Allemagne. Autant dire que l’insistance sur ce sujet est assez décalée. Les Etats devront remettre leurs affaires en ordre en sortie de crise, c’est entendu. Il n’ya pas matière à créer une règle intangible en la matière. Moyennant quoi nous allons le faire en France, explique François Fillon, le premier Ministre qui a le plus creusé les finances depuis la deuxième guerre mondiale, avec Jean-Pierre Raffarin III (Ministre des Finances: Nicolas Sarkozy) et Edouard Balladur (Ministre du Budget: Nicolas Sarkozy).
Tout ceci a un fort parfum de politique nationale allemande. Ce n’est pas seulement le modèle allemand qu’Angela Merkel cherche à imposer à l’Europe, c’est le modèle allemand depuis peu. L’Allemagne s’est assise sur le pacte de stabilité? Peu importe, depuis elle vient de changer sa constitution: tout le monde doit faire pareil. L’Allemagne vient de réformer ses retraites pour faire face à une population exceptionnellement vieille et qualifiée: les autres doivent suivre! Seul pays de l’OCDE, l’Allemagne a fait de la rigueur salariale pour piquer des parts de marché aux autres européens: qu’ils fassent tous pareil, nous n’augmenterons pas nos salariés pour leur faire plaisir !
Il ne faudrait pas que Mme Merkel soit une autre Mme Tatcher…!
Merci pour cet excellent article, clair et punchy. Une remarque cependant : au chapitre »la retraite à 65 ans pour tous ». L’enseignement supérieur allemand ne me parait pas avoir encore jamais été massifié; en revanche dès l’école moyenne et entre 14 et 18 ou 20 ans la majorité des Allemands reçoit, je crois, une instruction non généraliste qui qualifie pour l’emploi.
Je n’ai pas compris l’allusion à une baisse commune des salaires dans le (1): vous confirmez que c’est ironique?
Globalement, il est clair que le comportement de nos dirigeants est triste. On ne nous présente aujourd’hui que des raisons de ne plus espérer… Réalité ou fantôme, quoi qu’il en soit, tout est remédiable!
Dialoguons! Et pour cela, nous avons besoin de grands hommes comme nos pères fondateurs. Aujourd’hui les bons sont cantonnés à un rôle institutionnel et contrôlés in fine par les chefs d’Etats… Je pense à Verhofstadt, S. Goulard, et beaucoup d’autres!
Bonjour,
La baisse commune des salaires n’est malheureusement pas ironique, même si je me presse d’en rire plutôt que d’en pleurer. C’est bien ce que propose l’Allemagne au reste de la zone Euro. En substance: nous sommes en bonne santé économique car nous vous avons pris des parts de marché en baissant nos salaires. Vous n’avez qu’à faire pareil.
Cette baisse interviendrait de deux manières, sans que change le chiffre au bas de la feuille de paie. D’abord, cesser les augmentations. Comme il y a un peu d’inflation, cela revient à réduire le salaire réel puisque le pouvoir d’achat baisse. C’est ce que demande Angela Merkel avec la fin de l’indexation sur l’inflation. Ensuite, les nouveaux travailleurs pourraient être embauchés à des salaires plus faibles.
Mais au final le résultat est la même: une baisse du pouvoir d’achat des salariés. De cette manière, ils coûtent moins chers aux entreprises qui peuvent baisser leurs prix à l’exportation.
On marche sur la tête.
« . C’est pourquoi quantité de groupes de travail plus ou moins officiels travaillent à définir cette architecture. »
Quels sont ces groupes? Est que votre « groupe » voire » groupuscule » (« secte » européiste) en fait- il parti?)
Oui vous les européistes, qui se rallient que lors des élections européennes , ne votez-vous pas pour 80% des lois qui sont en vigueur dans les pays nationaux?
Mais vous n’en avez que faire : vous avez vos sièges, votre place…!
Qui peut répudier le poste et démettre de ses fonctions : Von rompuy, Ashton, Barroso, n’est-il pas vrai? Est-ce démocratique comme vous le vouliez nous le jouer (pauvre peuple ignard)?
Bonne sérénade dans votre parlement « soviétique » qui n’est qu’une doublure de toute organisation que vous combattiez ?
Le Mur de Berlin s’est effondré par le trop de certitudes qu’il ne s’effondrera jamais : voyez en une solution et peut être une révolution (mais sous vous)!
Les groupes en question sont énumérés au troisième paragraphe et notre secte d’européistes n’en fait pas partie; nous n’avons pas tant d’influence (malheureusement 🙂
Je n’ai ni siège, ni place, et Sauvons l’Europe ne perçoit aucun subside. Nous ne vivons que des cotisations de nos membres, qui sont modiques.
Enfin, prière de ne pas confondre: il n’y a pas les proeuropéens et les démocrates. Il il y’a parmi les proeuropéens des démocrates et des technocrates, des progressistes et des conservateurs. Nous sommes minoritaires parce que les électeurs élisent depuis 15 ans des conservateurs. Je n’ai rien contre les révolutions, mais si on est même pas capables de gagner les élections j’ai quelques doutes sur le mouvement de masse…