Le Brexit est un moment de vérité pour le projet européen. Après une époque de démarrages héroïques, l’Europe était devenue pour les Etats membres une réalité évidente dont nul ne questionne la présence. Elle allait son chemin inexorable, cahin-caha, faite de stagnations et d’accélérations, d’ambitions modérées et de compromis imparfaits.
Le Brexit révèle l’impensable : la construction européenne n’est pas irréversible et les pays qui y sont entrés peuvent réellement la quitter. Il est manifeste que le Royaume-Uni est dans l’Europe un membre singulier. Resté à l’écart des projets initiaux, il n’avait adhéré qu’à reculons et s’était toujours tenu farouchement en lisière. Dans la plupart des domaines, ce pays est non seulement resté à l’écart mais a cherché activement à freiner tout ce qui s’inscrivait dans un groupe de tête. On découvre en somme, a posteriori, que le Royaume-Uni n’a jamais accepté dans l’Europe autre chose qu’un traité commercial. Peut-on se consoler à bon compte en espérant que le départ des Anglais permettra de restaurer une cohérence entre les pays restant, tous unis dans une vision commune ? Ou sommes-nous toujours l’Anglais de quelqu’un d’autre ?
Cette quête d’une Europe cohérente dont tous les membres partagent le projet est le regret presque constitutif du débat européen. On est si bien entre Etats fondateurs ! Quel a été le pas de trop, le ver qui a pourri le fruit ? Est-il vraiment raisonnable d’intégrer les poussières de Balkans aux économies opaques et aux mœurs démocratiques corrompues, comme nous nous apprêtons à le faire ? Aurions-nous dû, à la chute du Mur, imposer un stage de 20 ans à ceux qui toquaient à la porte, le temps que les membres du club aient bâti entre eux une véritable démocratie européenne ? Avons-nous payé dans la crise actuelle une intégration précipitée des pays du sud au sortir de la dictature, sur des bases économiques dont les fondements sont aujourd’hui questionnés? Le Brexit ne démontre-t-il pas rétrospectivement que l’entrée du Royaume-Uni fut une erreur historique ?
Disons-le ici, à contre-courant : toutes ces interrogations graves, nous pouvons les rejeter. L’intégration des pays de l’Est est une réussite historique au regard de la situation de départ. En 1990, la Pologne et l’Ukraine avaient le même PIB et le même type d’économie. Qui songerait désormais les comparer ? L’Espagne, le Portugal, la Grèce même, ne sont pas devenus de petites Allemagnes, mais qui se souvient de l’état effarant de leur économie à leur adhésion ? Les pays nordiques qui ont adhéré en même temps que l’Angleterre sont aujourd’hui des membres tranquilles, ni plus ni moins frondeur que d’autres. Et la politique de la chaise vide du général de Gaulle doit amener à relativiser fortement une image rétrospective d’une bonne entente des débuts.
La réalité, peut-être inattendue, est que jamais l’Europe n’a été aussi unie ni efficace qu’aujourd’hui. L’Europe des 6 peinait à s’entendre sur la politique agricole et les méthodes de fabrication des liqueurs de cassis. L’Europe des 28 ou 27, on ne sait plus, a mis en place dans les dix dernières années un fonds de solidarité entre Etats, une coordination budgétaire, une union bancaire, un embryon de diplomatie, une coopération contre le terrorisme, des corps de douaniers et d’intervention en mer, la première Commission européenne issue des élections. Elle discute à présent d’un socle social commun, d’une base commune pour la taxation des entreprises, d’une taxe commune sur les transactions financières.
Le sentiment actuel d’un délitement de l’Europe n’a en réalité de sens qu’au regard des attentes immenses dont elle est désormais chargée, par rapport à cet organe presque spécialisé qui était l’Europe des débuts. Tout ceci doit amener à considérer d’un oeil critique les tentatives de définir différents cercles entre pays européens, permettant de rassembler de manière bien cohérente et bien nette ceux qui veulent avancer sérieusement.
L’idée la plus symbolique, la plus évidente, est l’appel aux Fondateurs, aux six premiers disciples, à ceux qui les premiers se sont assis à la table du banquet. Qui mieux qu’eux seraient dépositaires de l’Esprit européen ? Qui mieux qu’eux sauraient répéter le geste auguste ouvrant la voie pour les autres ? Le problème est que la plupart du temps, les propositions diplomatiques en ce sens évoquent un septième membre : la Pologne. Or il est un peu difficile d’y voir un pays particulièrement pionnier. La Pologne n’est pas membre de l’Euro, elle freine vigoureusement toute harmonisation sociale et sa contribution à la construction des libertés publiques européennes est en ce moment plus que discutable. On ne peut se défaire d’un sentiment que derrière la rhétorique fleurie se profile un directoire des grosses économies européennes, et potentiellement des armées.
L’autre espace naturel est la zone euro. La création de la monnaie commune a précipité un ensemble de conséquences, dont le plus visible est la coordination des politiques budgétaires. C’est donc le niveau auquel un fonctionnement démocratique apparaît le plus nécessaire. Il est d’ailleurs frappant que les réflexions de réformes démocratiques de l’Europe tournent désormais le plus souvent autour de la zone euro. L’idée, régulièrement évoquée ici ou là, d’un Parlement spécifique à la zone euro et d’un ministre des finances de la zone euro, que l’on devine responsable devant ce Parlement ?, en est la principale illustration.
Pourtant, la singularité de la zone euro doit être fortement questionnée. Les pays ayant en partage leur monnaie restent fortement enchâssé dans le marché commun, et les problématiques auxquelles ils font face s’étendent en réalité à toute l’Europe. L’existence de l’euro imposerait à socle social comme un pour empêcher une mise en concurrence des systèmes sociaux ? Comment imaginer un seul instant que ce socle pourrait ne pas concerner la Pologne ? La crise des marchés financiers européens a entraîné l’Union bancaire ? Seul le Royaume-Uni a cherché à ne pas y entrer. La nécessité de coordonner les politiques économiques a débouché sur le pacte euro plus ? Six autres Etats membres l’ont immédiatement rejoint.
Disons-le, au fond il n’existe pas de cercle magique qui rassemblerait des états membres plus volontaires que d’autres. L’essentiel des problèmes auxquels sont confrontés les Européens se traite au niveau de l’Union, et c’est à ce niveau que la construction d’une démocratie vivante et la plus urgente. A défaut, les désaccords ou les réticences nationaux ne pourront jamais s’exprimer que sur une base nationale. Seul un système démocratique considéré comme légitime par les citoyens Européens peut-être un moteur de réduction des désaccords et d’avancées pour l’ensemble des Etats.
A défaut, on continuera à voir se multiplier des groupes d’Etats volontaires sur chaque sujet séparé : monnaie, justice, circulation, défense, fiscalité, normes sociales, la liste est ouverte et appelée à grandir. L’harmonisation ne se fera que lentement, par sédimentation, par une sorte de force gravitationnelle de l’accumulation des politiques dans un coeur européen aux contours variables et mal définis.
Texte initialement publié dans Témoignage Chrétien du 30 mars 2017
L’Europe est une charrue
il manque les boeufs, il manque organisation, ambition et dynamisme communs.
L’intégration de 2004 eut été mieux réussie avec l’organisation préalable, on a intégré faute de mieux. Les résultats sont brillants pour Pologne-Tchéquie-Hongrie, pour le moins contrastés pour Roumanie et Bulgarie, pour Malte ce fut 13 au kg, et pour Chypre le référendum interne un pas de clerc. Les Baltes sont aussi contrastés, de l’Estonie aidée et soutenue par la Finlande, à la Lituanie pauvre et la Lettonie très russe. Je ne parle même pas de l’enclave russe ….
L’Europe demeurera une charrue aussi longtemps que l’unanimité sera requise, aussi longtemps que n’apparaitront pas des groupes de pays qui développent.
On est allé trop vite à la chute du Mur de Berli npour accueillir sans conditions ni réflexion tant de pays qui n’ont pas du tout l' »esprit » de ce que doit être l’Europe, en tout cas pas seulement des accords commerciaux…
Nombre de réflexions développées dans l’article incitent effectivement à réviser quelques lieux communs au sujet de cette plastique parfois très malléable qui caractérise différentes configurations de l’Europe.
Il me semble toutefois que l’on puisse compléter ces réflexions à l’aide d’une comparaison: la manière dont l’UE a été progressivement façonnée peut en effet l’assimiler, d’une certaine manière, à la croissance d’une grande ville… d’où la pertinence que revêt la notion de « coeur » dans ce contexte.
Ainsi, pour prendre (au hasard ?) l’exemple de Paris, c’est à partir d’un modeste « coeur » – l’île de la Cité – que Lutèce a vu le jour. Ensuite, – résumons – des faubourgs se sont graduellement ajoutés à ce noyau primitif jusqu’à établir une démarcation avec ce qui constitue aujourd’hui les banlieues, même si, aujourd’hui, des liens se sont tissés avec ces dernières pour constituer une plus grande agglomération avec des statuts administratifs complexes.
C’est en quelque sorte à un développement comparable que l’on a assisté avec la configuration évolutive de l’UE: à l’origine, un « coeur » forgé (verbe pas tout à fait innocent à la lumière de la création de la CECA) par les six Etats membres fondateurs; ensuite, des « arrondissements » correspondant aux élargissements successifs… les termes « arrondissement » et « élargissement » ayant en effet une certaine connotation d’ « extension ». Mais le « coeur » historique demeure avec sa spécificité. En termes d’enracinement, on pourrait aller jusqu’à prétendre, en paraphrasant Pascal, que le coeur a ses rhizomes que l’horizon ne compromet pas…
L’Europe est déjà à plusieurs vitesses et en plus dans le désordre le plus complet.
Il faut fédérer encore un peu plus sous la règle du volontariat. On retournera ainsi à une Europe dont le cœur sera matérialisé par les 12 fondateurs. Plus de démocratie et de pragmatisme.
Les pays de l’Est qui ne jouent pas les règles de solidarité se retrouverons en zone 2. Une zone 3 pourra se faire et concerner la Russie et la Turquie, sous certaines conditions.
Actuellement on raisonne comme des néandertaliens i.e. d’une manière binaire ! C’est l’Europe ou rien ! Non il faudrait juste définir 3 statuts (1, 2, 3) où chacun trouverait sa place. La géographie de l’Europe pourra alors commencer à ressembler à sa politique .
Il est clair que le rang 1 doit donner envie en montrant l’exemple. A cet égard, la France doit respecter les accords sur le taux d’endettement ! La France doit prouver sa force pour être entendue !
Si la France fait cela, alors elle sera à nouveau écoutée et respectée. Tous ses propres supers atouts naturels seront à nouveau appréciés par tous. Traditionnellement, les bonnes idées viennent d’ici. Mais des bonnes idées sans discipline c’est de la cuisine sans cuisinier !
Alors oui Macron doit montrer dès cette année que nous allons à nouveau devenir respectés et écoutés,
Le social/libéralisme apparaît comme un oxymoron ! En fait c’est une saine dualité dont la symétrie doit être respectée. Voir ceci :
http://www.cosmologie-oscar.com/index.php#cube