Face à Orban, le douloureux choix de raison de l’opposition

Espoir ? Succès ? Déception ? Réalisme ? Pragmatisme ? Il faut bien avouer qu’il est difficile, lorsque l’on est Social Démocrate, de résumer en une seule appréciation la séquence politique qui vient de se dérouler en Hongrie et qui aura finalement abouti à la désignation de Peter Marki-Zay comme candidat unique au poste de Premier Ministre pour l’ensemble de l’opposition face à Viktor Orban. Au soir du premier tour, ce furent plutôt les premiers mots qui convenaient le mieux avant de basculer sur le troisième durant l’entre deux tours pour finalement se dire, en toute logique, que les derniers sont sans doute les plus appropriés à la situation dans sa globalité.

Le pari était risqué d’emblée : réunir l’ensemble de l’opposition sous la même bannière n’était pas une mince affaire. Une liste commune rassemblant des Ecologistes, des Socialistes, des Libéraux et même des Conservateurs en rupture de ban avec les dérives autoritaires du Fidesz, passe encore mais intégrer à ce mouvement le parti Jobbik, originellement d’extrême droite, était une pilule difficile à avaler. Certes, Jobbik avait renié depuis quelques années les aspects les plus radicaux de son idéologie et se définissait pudiquement comme étant composé de simples « libéraux conservateurs » mais, à bien des égards, la sincérité de cette conversion posait question. Le danger était d’autant plus réel qu’au moment où la décision d’organiser cette primaire de l’opposition fut prise, Jobbik était en deuxième position dans les sondages derrière le Fidesz, faisant ainsi de son leader le favori potentiel pour devenir le candidat unique de l’opposition. D’un autre coté, une opposition divisée n’aurait eu d’autre perspective que de faire de la figuration compte tenu d’un mode de scrutin extrêmement favorable au Fidesz. Le choix était cornélien mais il fut donc décidé d’aller au bout de la démarche.

Le déroulement du premier tour allait donner raison à tous ceux qui, à gauche, ont cru au bien fondé de ce coup de poker. D’abord parce que le succès populaire fut colossal : plus de 600 000 votants ce qui, ramené aux populations respectives de la Hongrie et de la France, est l’équivalent de 4 millions dans notre pays. Ensuite parce que, à la surprise générale, le candidat du Jobbik arrivé seulement en quatrième position fut donc éliminé dès le premier tour. Enfin, ce sont deux candidats issus de la gauche qui sont arrivés en tête du scrutin : la sociale libérale Klara Dobrev avec 34.8% suivi du maire de Budapest, Gergely Karacsony qui, soutenu par les Socialistes et par les Verts, obtenait de son coté 27.3%. Les trois premiers candidats pouvant se maintenir au second tour, le conservateur Peter Marki-Zay complétait l’affiche avec ses 20.4%.

Toutefois, dès le lendemain du premier tour, une petite musique se faisait entendre pour devenir progressivement de plus en plus persistante : les chances de battre le Fidesz avec Klara Dobrev comme candidate au poste de Premier Ministre seraient quasi inexistantes. En cause le fait qu’elle soit l’épouse de Ferenc Gyurcsani, l’un des hommes politiques les plus clivants du pays. Premier Ministre du pays entre 2004 et 2009, il est vrai que ce dernier fut à l’époque l’un des artisans de la disgrâce du MSZP au profit du Fidesz de Viktor Orban du fait de réformes de nature néo libérales et de divers scandales ayant émaillé son mandat. Il est toutefois regrettable de juger Dobrev à l’aune de son époux même si il est fort probable que c’est malheureusement ce que les électeurs auraient fait in fine. Par conséquent, Karacsony et Marki-Zay ont rapidement réuni leurs états majors pour des négociations visant à planifier le retrait de l’un d’entre eux en faveur de l’autre.

En toute logique, Marki-Zay aurait du se désister : 7 points d’avance en faveur de Karacsony constituait un écart non négligeable. Ajoutons à cela le fait qu’un candidat de gauche paraissait plus en phase avec le message de ces primaires qui avaient montré la prépondérance de la gauche dans toutes ses composantes. Dans le camp de Marki-Zay, on estimait néanmoins que celui-ci avait davantage de chance de battre Dobrev compte tenu du possible report des voix s’étant portés sur les deux candidats éliminés au premier tour. D’autre part, avec son profil de centre droit, il incarnait un rival plus difficile à manœuvrer pour Viktor Orban. Ces arguments auront finalement fait mouche et, à la surprise générale, c’est donc Karacsony qui acceptait de se désister en faveur de Marki-Zay. Le second tour n’était alors plus qu’une formalité, le candidat conservateur l’emportant facilement avec 56% des suffrages et une participation encore en hausse par rapport au premier tour.

Il est clair que l’électorat de gauche doit ressentir une certaine frustration et que le sentiment de s’être fait volé la victoire est légitime.  Reste que l’électorat hongrois a démontré son conservatisme au cours des dix dernières années avec les succès éclatants du Fidesz. De même que l’on connaît la main mise de Viktor Orban sur une bonne partie des médias et, par conséquent, sa capacité à détruire et à caricaturer ses opposants. Ancien du Fidesz, catholique pratiquant, conservateur modéré, Peter Marki-Zay sera de fait plus difficile à attaquer sur le thème des valeurs et il est en mesure de capter une partie des électeurs de droite ne supportant plus les dérives autoritaires du Premier Ministre actuel. Même si il n’est pas le candidat idéal, il est indéniable qu’il constituerait un net progrès par rapport à Orban, ne serait ce que parce qu’il est un démocrate incontestable et un européen convaincu. De surcroît, la gauche ne perd pas tout car ces primaires avaient également pour objectif de choisir les candidats pour les législatives et la gauche, dans toutes ses composantes, aura raflé plus de la moitié des candidatures ce qui lui donnera une grande influence sur la législature en cas de victoire. Alors le jeu en valait il la chandelle ? La réponse dépend à vrai dire surtout du résultat. Être enfin débarrassé de Orban ferait sans doute oublier un certain nombre de sacrifices.

Sebastien Poupon
Sebastien Poupon
Membre du bureau national de SLE, chargé de l’analyse politique.

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3 Commentaires

  1. Le secret du succes politique d’Orban tient à la modification du mode de scrutin qu’il a imposée, un vote majoritaire à un tour qui lui garantissait la majorité absolue au parlement et refoulait l’opposition dans la minorité à cause de ses divisions. L’opposition a été contrainte de trouver la seule réponse réaliste, une alliance adaptée à ce mode de scrutin. C’est un détour tactique: une fois au pouvoir l’opposition pourra et devra imposer un retour à l’ancien système électoral qui rendra inutile de procédé et permettra à chacun de rester lui-même.

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