12.450 euros, c’est la montant que devra rembourser chaque habitant de l’île de glace (enfants, vieillards et Jóhanna Vala Jónsdóttir, Miss Islande 2007, que vous voyez sur la photo ci-contre et qui pour l’occasion me sert d’accroche visuel, compris) aux gouvernements britannique et néerlandais pour mettre fin au différent qui les oppose concernant la faillite de la banque Icesave. L’accord a été validé le 31 décembre 2010 par le parlement islandais (pour tuer les préparations du réveillon du nouvel an il n’y a pas mieux!). Mais comme le Batave et la Perfide Albion sont magnanimes, nos amis vikings bénéficient d’un étalement jusqu’en 2024 pour payer la jolie somme de 3,9 milliards d’euros ou 40% du PIB si c’est plus parlant.
Injuste, immoral, indécent, irréaliste, cruel, etc. voilà les mots qui reviennent régulièrement lorsque l’on discute de ce sujet, les réactions sont d’autant plus véhémentes qu’il existe toujours en France un petit fond d’anglophobie et une inclinaison naturelle à défendre « le petit contre le gros » quelque soit la répartition des torts. Pourtant je vais vous proposer d’aller un peu plus loin que ces premières réactions outragées, en vous narrant comment les Islandais, qui il n’y a si longtemps avait le PIB par habitant le plus élevé de la planète et un taux de chômage ridiculement bas, se sont retrouvés dans un sacré pétrin et pourquoi au final leur gouvernement accepte de payer.
Dans cet article je vais vous parler plus particulièrement des mésaventures de ICESAVE, la succursale de la banque Landsbanki, qui a été au cœur du conflit anlgo-hollando-islandais. Deux autres grands établissements, Glitnir et Kaupthing ont aussi fait défaut mais les montants en jeux étaient bien moindre.
Avant de commencer mon récit, je voudrais apporter une mise au point: ma religion est faite et je considère que l’état islandais doit payer car il est en très grande partie responsable de cette situation. Ceci dit, j’ai l’ambition d’être intellectuellement honnête, je vais donc m’efforcer de vous présenter les faits le plus objectivement possible pour vous laisser la liberté de vous forger votre propre opinion.
Il était une fois une petite île de l’Atlantique Nord très prospère où vivaient des banquiers qui, à l’image de leurs ancêtres vikings ambitieux, imaginatifs, intrépides, se trouvaient un peu à l’étroit sur leur petit rocher volcanique et décidèrent de partir à la conquête du monde. Malheureusement cette aventure se transforma en fiasco.
La fuite en avant de tout un pays
Si l’État islandais est très peu endetté (27% du PIB en 2006) il n’en n’est pas de même des ménages et des entreprises qui ont beaucoup eu recours au crédit depuis le début des années 2000. Fin 2007, le taux d’endettement des ménages islandais représentait 240% de leur revenu disponible brut; 3 fois plus qu’en France! Les hommes d’affaires islandais, en particulier, ont racheté à tour de bras des banques, des immeubles, des hôtels de luxe, des grands magasins, particulièrement dans les autres pays nordiques et au Royaume-Uni.
Ce modèle économique basé sur un endettement massif n’est viable que si la valeur des actifs achetés progresse plus rapidement que le stock de dette (capital plus intérêts). Malheureusement aussi vrai que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel la crise des subprimes, parti des États-unis, viendra tout balayer.
Début 2006, première alerte, le Kròna, la monnaie islandaise, est malmenée sur le marché des changes. La banque centrale islandaise intervient en vendant des devises étrangères qu’elle détient en réserve et en augmentant les taux d’intérêts directeurs afin de stopper sa chute, en vain, le Kròna va perdre 1/3 de sa valeur en six mois. Le « roi est nu », la banque centrale a utilisé toutes ses cartouches c’est aux banques commerciales que revient la responsabilité économique de prendre le relais.
A la conquête de l’Europe
Est-ce pure coïncidence si au moment même où l’économie islandaise bat de l’aile et qu’elles se trouvent à court de liquidité du fait de la méfiance entourant leur marché domestique que les trois plus grosses banques du pays, Landsbanki, Kaupthing et Glitnir vont commencer à ouvrir des filiales et des succursales en Europe? Ou l’explication est à rechercher dans l’essence même du capitalisme qui veut que toute entreprise recherche l’expansion? Quelque soit la réponse à cette question, une chose est certaine; les activités que ces banques vont avoir à l’étranger vont servir à alimenter les besoins de financement d’une économie islandaise assoiffée de devises.
Du fait de la méfiance entourant la situation économique du pays et ,grand paradoxe, malgré les excellentes appréciations que lui portent les agences de notation (Moody´s attribuera la meilleur notation possible Aaa à Icesav, Kaupthing et Glitnir jusqu’en avril 2007) les banques islandaises n’ont plus accès au marché financier que dans des conditions très défavorables. L’ouverture de banques en ligne va permettre à ces banques de collecter directement auprès d’un public de particuliers sans passer par des intermédiaires classiques (gérants de Sivav, de fonds communs de placement ou d’assurance-vie, etc.) qui faisaient barrage. Quel est le particulier qui se demande, avant d’ouvrir un compte chez son banquier, les derniers compte de résultats et bilan de celui-ci et la dernière analyse économique provenant de Standard & Poor le concernant? le client lambda se contente de comparer le taux d’intérêt offert pour un compte à terme chez les différents établissements bancaires qui passent des pubs. Cela tombe bien les banques islandaise vont se montrer très attractives sur ce point.
Le passeport européen comme sésame d’entrée
« La liberté d’établissement est la faculté pour une entreprise agréée d’un État membre de l’Espace Economique Européen d’offrir ses services sur le territoire d’un autre État membre à partir d’un établissement permanent (par exemple, une succursale ou une agence) »; voilà la définition que donne la banque de France du passeport européen. L’Islande participant à l’Espace Economique Européen ses banques n’ont rencontré aucun problème pour s’installer au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique etc.
Cerise sur le gâteau, ces banques ont choisi le plus souvent d’opérer sous la forme de succursales et non de filiales comme les traité européen les y autorisent (la seconde étant une entité juridique distincte de la société mère, pas la première), c’est donc à la Banque centrale d’Islande à la fois si proche effectivement (l’Islande est un petit pays et les dirigeants des banques commerciales et ceux de la banque centrale ont souvent usé leur fonds de culotte sur les même bancs de l’école) et si éloignée (1.900 km et un océan séparent Reykjavik de Londres) et si conciliante (ce qui est bon pour Landsbanki est bon pour l’Islande et vis versa), qu’incombe la responsabilité de la surveillance prudentielle de ces filiales outre-mer.
Montants en jeux : 1 Kerviel et demi
Trois banques islandaises avaient des activités de tailles significatives hors de leur pays d’origine.
A tout seigneur tout honneur, Landsbanki, qui agit hors de son marché domestique sous le nom Icesave, est le gros morceau avec ses 300.000 et 125.000 clients au Royaume-Uni et aux Pays-Bas et des dépôts se montant à respectivement 5 et 1,7 milliards d’euros. La banque a aussi une filiale au Luxembourg qui commercialise des produits financiers dans toute l’Europe, y compris en France, en Espagne et en Belgique.
Les deux autres banques, Glitnir et Kaupthing Edge totalisent surement moins de 500 millions d’euros de dépôts. Au total les dépôts des résidents européens représentent presque la moitié du PIB!
15 Septembre 2008, faillite de Lehman Brothers
L’onde de choc va traverser l’Atlantique et venir frapper de plein fouet les banques européennes les plus fragiles, qu’elles soient islandaises ou non, la seule grande différence est que dans aucun autre pays européen le poids des institutions financières relativement au PIB n’est aussi important; La France, l’Allemagne ou la Belgique peuvent sauver une, deux ou trois de leurs banques qui seraient sur le point de faire faillite, l’Islande ne peut pas sauver ne serait-ce qu’une seule des trois plus grosses banques en cas de pépin (leurs dettes combinées se montent à plus de 5 fois le PIB) alors quand les trois font faillites en même temps l’hallali est sonné.
Après la faillite de Lehman Brothers la dette des banques islandaises va devenir impossible à financer dans un contexte de suspicion généralisé entre établissements financiers. Du côté du grand public la situation n’est pas meilleure, les rumeurs d’insolvabilité circulant sur le net poussent de nombreux déposants à retirer leurs billes.
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » (Merci Charles!)
Le vendredi 3 octobre la banque Glitnir est incapable de satisfaire les demandes de retrait de ses clients britanniques. Pour rassurer les autorités britanniques, le ministre islandais du commerce, par une lettre d’intention datée du 5 octobre, assure que son gouvernement, si besoin est, financera le fonds de garantie des dépôts bancaire en cas de faillite de la Landsbanki et de sa succursale anglaise.
Le lundi 6 octobre, en total contradiction avec les engagements pris la veille par son ministre du commerce, le gouvernement islandais fait voter une loi d’urgence par le parlement, the Althing (Pourquoi précise-je le nom de cet organe politique dans sa langue d’origine?…Je sais pas! Cela fait classe un peu comme les journalistes qui parlent de Tsahal au lieu de dire l’armée israélienne ou le 10 downing street). Le gouvernement assume la garantie sur les dépôts pour les banques situées en Islande. En clair ceux qui ont un compte dans une banque islandaise située à Londres, Amsterdam, Luxembourg ou Tombouctou peuvent aller se rhabiller!Et cela quelque soit le statut de l’établissement où se trouve les dépôts, filiale ou succursale.
Le 7 octobre, Icesave, c’est sous ce nom qu’opère Landsbanki au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, annonce qu’elle suspend tout retrait et tous dépôt (on ne sait jamais si il y avait un couillon prêt à filer de l’argent à une banque en quasi faillite!) sur les comptes ouverts dans ses livres.
Dans l’après-midi du 7 octobre, après que la Lansbanki eut été placée en redressement judiciaire, le chancelier de l’Echiquier, ministre des finances, Alistair Darling et le ministre des finances islandais Árni Mathiesen ont une conversation téléphonique au sujet du fonds de garantie des dépôts. Voici un extrait de cette conversation retranscrite et traduite par mes soins:
[…]
A. Darling: Dois-je comprendre que vous garantissez les dépôts des déposant islandais?
Á. Mathiesen: Oui, nous garantissons les dépôts dans les banques et les succursales ici en Island.
A.D.: Mais pas les banques hors d’Islande?
Á.M.: Non, pas hors de ce qui était déjà dans la lettre que nous avons envoyés
A.D.: Mais n’est-ce pas une violation du traité de l’Espace Economique Européen?
Á.D.: Non, nous ne le pensons pas et nous pensons en fait en conformité ce que d’autres pays ont fait ces derniers jours.
[…]
Les Anglais se sont bien fait bananer, excusez-moi pour cette expression triviale, mais le islandais n’ont pas idée de ce qui va maintenant leur tomber dessus après ce que le gouvernement de sa royale majesté va considérer comme une déclaration de guerre économique.
Ben Laden au secours de l’Angleterre
8 octobre, le chancelier de l’Echiquier annonce, avec effet immédiat, qu’il gèle les avoirs de la Lansbanki au Royaume-Uni, de la banque centrale d’Islande et de l’état islandais (pour la partie liée à la Lansbanki). Cette décision est rendue possible l’application de la très controversée loi « Anti-terrorisme, Crime et Sécurité » votée en 2001 quelques semaines après les attaques terroristes contre New York. La république d’Islande, alliée de la Grande-Bretagne dans l’OTAN, se retrouve sur une liste en compagnie des pires terroristes de la planète.
Petite anecdote qui montre qu’on peut garder son humour tout en étant ruiné anglaise de mise à l’index du pays sera tournée en dérision par des citoyens islandais qui créeront un site internet où seront téléchargés des photos d’islandais mimant des terroristes (comme sur l’image ci-contre).
Le gouvernement britannique justifie ainsi son choix radical; « parce que le Trésor croit en une action au détriment de l’économie du Royaume-Uni a été ou est sur le point d’être prise par des personnes qui sont un gouvernement étranger ou résidentes dans un pays ou un territoire hors du Royaume-Uni ». Gordon Brown annonce que son gouvernement va lancer des actions de justice contre l’Islande.
Le Royaume-Uni et les Pays-bas se trouvent des alliés pour contraindre l’Islande à rembourser les clients d’ICESAVE lésés. Parmi ces alliés, on trouve l’Union européennes, soucieuse du respect des traités signés sous son sceau, les autres états de l’UE, dont certains de leurs concitoyens risquent de perdre beaucoup d’argent, le FMI à qui Reykjavik a fait une demande de prêt mais qui peut être l’objet d’un véto des Anglais ou des Hollandais, et plus surprenant les « cousins » du Conseil nordique (Suède, Norvège, Danemark et Finlande)
Arguments légaux: avantage des deux royaumes sur la petite république
Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont deux motifs de récrimination, selon eux le traité de l’Espace Economique Européen (EEE) prévoit que:
1- L’Islande doit organiser un fonds de garantie pour rembourser les 20.900 premier euros pour chaque client d’Icesave.
2- L’Islande ne peut prendre de décisions discriminatoires sur la base de la nationalité des clients comme elle l’a fait en réservant la garantie totale des avoirs sur les comptes aux seuls clients des banques situées le territoire islandais et en excluant du bénéfice de cette loi les clients résidents dans l’Espace Economique Européen.
Les contre-arguments du gouvernement islandais sur ces deux points sont:
1- La directive de l’EEE n’a jamais été prévu dans le cas de faillites systémiques (c’est à dire un grand nombre de banque faisant faillites en même temps et par effet de domino), elle n’a jamais non plus précisé que les états devait s’engager pour garantir les dépôts des banques.
2- La loi qui garantit les dépôts confiés à des banques situées en Islande n’exclus pas les non-résidents islandais. il n’y a donc pas de discrimination.
Mon analyse:
1-Si la directive de l’EEE n’a jamais été prévue dans le cas de faillite systémique, elle ne l’a jamais exclu non plus. Le vol de voiture est un délit, a loi n’a pas besoin de préciser qu’elle s’applique aussi aux coupés ou aux voitures électriques! Par ailleurs si la directive européenne ne précise pas la manière dont les fonds de garantie doivent fonctionner, elle demeure tout de même précise quant au but à atteindre. On a de mon point de vu non pas une obligation de moyen mais une obligation de résultat et à qui incombe cette obligation si ce n’est aux signataires des traités, l’état islandais entre autres? Les états sont laissés libre d’organiser à leur convenance cette garantie mais celle-ci doit exister et être viable en plus.
2- L’Islande n’exclue pas les non-résidents ou les non-citoyens islandais du bénéfice de sa garantie. Ok mais franchement quel est l’épargnant moyen ou petit qui va faire 2.000 km pour placer ses économies près d’un volcan? Il est évident que plus de 90% des clients ayant un compte dans des banques islandaises installées dans le pays même sont Islandais et que la grande majorité des clients de ces mêmes banques inscrites au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas ne le sont pas. Il y a donc bien discrimination.
Globalement l’interprétation que fait l’Islande des textes européens me laisse dubitatif. Le fait que deux gouvernements successifs islandais, conservateur puis progressiste, aient cherché un règlement à l’amiable à ce conflit pour finalement accepter de rembourser les Anglais et les Hollandais, me laisse penser que les dirigeants islandais ont conscience d’être fautifs. Quand on a la certitude d’avoir le bon droit de son côté on ne s’incline pas devant la partie adverse, on préfère allez devant les tribunaux.
Par ailleurs en votant une loi sur la garantie illimitée des dépôts pour les banques situées en Islande, le gouvernement s’est tiré un balle dans le pied car il reconnait de facto que c’est l’état islandais qui a le rôle d’ultime garant.
Enfin un accord
Lorsque le président Ólafur Ragnar Grímsson refuse de promulguer la première loi votée par le parlement pour solder le contentieux avec le Royaume-Uni et les Pays-bas(sous la pression populaire, par mauvaise conscience ou par calcul politique, qui sait?), il s’attire les foudres de tous les dirigeants « responsables » du monde occidental (de Bruxelles au FMI en passant par les 27 pays de l’UE y compris ceux dirigés par des gouvernements de gauche), mais en même temps il devient le héros de la gauche et surtout de l’extrême-gauche qui verra dans le rejet « franc et massif » du référendum le rejet du capitalisme par le peuple. Quiconque connait un peu l’Islande et les islandais sait très bien que cette interprétation ne correspond en rien à la réalité.
Le référendum, organisé le 6 mars 2010, qu’il va provoquer montrera que 93% des électeurs rejetteront cette loi; le « peuple d’en bas » tenait enfin sa revanche contre les affreux banquiers. Le rejet aussi net de l’accord était prévisible pour deux raisons; demander à n’importe quel peuple de la planète si il veut hypothéquer son avenir et celui de ses enfants voir de ses petits enfants et vous aurez la même réponse mais de plus entre le moment où le parlement a voté et le moment où le peuple s’est exprimé, un nouvel accord,plus favorable avait été trouvé, mais pour des raisons de procédure le référendum a été maintenu. Même les députés qui avaient voté cette loi ont fait campagne contre elle!
Est-ce que ce rejet a été une bonne chose pour l’Islande? Ah que oui mon ami! Le gouvernement islandais, lors des négociations face au couple anglo-batave, il peut jouer sa petite musique; « nous, on veut bien
rembourser mais c’est notre peuple qui est intraitable, alors mieux vaut que vous ne soyez pas trop exigeant ».
Le tableau suivant montre les avantages acquis (on dirait un syndicaliste qui parle!) entre le premier accord trouvé et l’accord définitif.
L’addition s’il vous plait!
Le détail par protagoniste
Les clients; les particuliers après une grosse frayeur mais finalement s’en sortent très bien, puis grâce à une décision de autorités anglais et hollandaise, ils passent en effet de la « garantie islandaise sur les dépôts », parmi la plus faible d’Europe, avec 20.900 € garantis par déposant vers soit la « garantie hollandaise » qui se monte à 100.000 € ou la « garantie anglaise » de 60.000 €, selon la place où se trouve leurs banques. Les autres clients (entreprises, institutionnels etc.) ne bénéficiant pas de garantie sur les dépôts perdent ce qu’ils ont confié (injuste? le législateur des pays européens considère que le directeurs financiers sorti de HEC ou de Harvard est supposé maitriser plus l’art de gérer une trésorerie que le petit épargnant).
Les Pays-bas et le Royaume-uni (je n’ai pas parlé d’autres pays, dont l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Finlande, la Norvège, où opérait les banques Islandaises qui ont fait faillite car l’enjeu financier était bien moindre) ont perdu beaucoup. Même si une grande partie des pertes sera finalement payée pas l’Islande, il va leur rester un reliquat; la garantie des dépôts ayant été porté de 20.900 € à 100.000 € ou 60.000 €(pour le R.U.) la différence (au moins 1 milliards d’euro) sera à supporter par leurs contribuables (rien de neuf sous le soleil, on privatise les bénéfices et on nationalise les pertes). Par ailleurs l’accord trouvé avec Reykjavik fixent des taux d’intérêts relativement bas. Alors que les Pays-Bas, qui bénéficient de la meilleurs notation par les agences de rating, se financent fin janvier 2011 à 3,1% sur 10 ans, ils prêtent à l’Islande, émetteur de qualité moyenne selon les notes de Moody’s, sur 30 ans(théoriquement plus un emprunt porte sur une longue période plus son taux est élevé car plus l’incertitude est grande) à un prix inférieur à ce que l’Allemagne paierait.
Le grand perdant est bien sur l’Islande.
Commençons par les dégâts non-quantifiables; une perte de crédibilité internationale pour l’état, qu’est-ce que vaut la signature de l’Islande en bas d’un accord, d’une convention ou d’un traité si elle ne les respecte pas dès que le vent tourne? Quel confiance accorder à un pays membre de l’OTAN qui au plus fort de la crise va quémander un prêt à la Russie pour forcer la main à ses alliés?
Quand on vit sur une île isolée, qu’on entend parler à longueur de journée que le pays est ruiné et qu’on est condamné, soit-même, ses enfants et ses petits enfant à payer une dette monstrueuse, qu’on voit son salaire baisser de plus de 15%, et que la seule solution c’est de partir pour la Norvège, le Canada ou les U.S.A., il ne faut pas être étonné que le nombre de suicides soit en hausse et que le distributeur local de Prozac fasse fortune.
Les pertes directement liées aux faillites bancaires; le remboursement de 3,9 milliards d’euro de dépôts par ailleurs en 2006 la capitalisation boursière additionnée de Landsbanki, Kaupthing et Glinitir, qui dépassait les 15 milliards d’euro avant les faillites, sont partis en fumées et comme leurs principaux actionnaires sont islandais c’est une sacré perte pour les épargnants de ce pays mais aussi un gros manque à gagner pour les caisses de l’état à travers l’impôt.
Les dégâts collatéraux; Toutes les entreprises islandaises qui travaillent à l’international ont été victimes d’une suspicion concernant sur leurs situations financières. Les négociations commerciales et financières sont moins favorables.
Combien cette affaire va-t-elle couter précisément? Il ne faut jamais insulter l’avenir. Le coût final de la débâcle des banques islandaises ne peut à ce jour être connu avec précision et va dépendre d’une part de la valorisation des actifs, enfin ce qu’il en reste, donc de l’évolution des marchés immobiliers et boursiers, et d’autre part de l’issue des très nombreux procès sont en cours et à venir et qui portent souvent de gros montants, on connait tous la célérité de la justice. En cas de sortie de crise rapide avec une progression fulgurante de la valorisation de nombreux actifs et de nombreux procès gagné, tous le monde serait remboursés rubis sur l’ongle et il resterait même un bonus de liquidation…c’est le scénario pour les très optimistes.
Est-ce que l’état islandais peut se faire indemniser par les anciens dirigeants des banques concernées? Il ne faut pas trop y compter. D’abord il faudrait démontrer qu’ils ont commis des malversations et pas seulement qu’ils ont été des mauvais gestionnaires, version nordique de « responsables mais pas coupables ». Puis en cas d’éventuelles condamnations pour malversation, il faut pouvoir les appréhender, ensuite il faut qu’ils puissent payer les dommages et intérêts que la justice leur réclamerait, enfin il faut qu’il n’aient pas organisé leurs insolvabilités.Cela fait beaucoup de « si ».
Le président Ólafur Ragnar Grímsson va-t-il appeler à nouveau ses concitoyens pour un nouveau référendum concernant ce dernier accord? Surement pas, pour trois raisons.
1- Les Islandais ont intérêt a accepter cet accord qui est très avantageux financièrement pour eux, aussi bien La Haye que Londres n’iront pas plus loin (la crise de la dette publique les touche aussi, ce n’est donc pas le moment de faire des cadeaux). Si l’affaire devait finir devant une cour internationale l’addition risque d’être bien plus lourde pour Reykjavik qui d’après de nombreux juristes a peu de chance de l’emporter.
2- Les Islandais veulent tourner la page, d’ailleurs un sondage montre qu’une 47% sont favorables à cet accord contre 35% qui y sont opposé.
3- Les Pays-Bas et surtout le Royaume-Uni ont de nombreux moyens de rétorsion comme par exemple ne plus respecter la zone économique d’exclusivité concernant la pêche, première source de devise pour la petite île ou opposer leur véto à toute aide venant du FMI.
Epilogue
La politiques menée par le gouvernement islandais a été, selon moi, responsable en grande partie du désastre subi par l’Islande. La même majorité conservatrice dont est issu le gouvernement dirigé par Geir Haarde et qui dirige le pays presque sans interruption depuis 50 ans (ils ne peuvent donc même pas invoqué l’excuse de « l’héritage laissé par l’équipe précédente ») n’a ni fait preuve de prévoyance avant la crise ni su gérer la crise bancaire.
Imprévoyant, le gouvernement l’a été en n’assumant pas ou mal son rôle de régulateur du secteur bancaire. La banque n’est pas une activité économique comme les autres. Quel autre secteur économique peut faire payer l’addition de ses erreur de gestion ou de ses fraudes par les contribuables de son pays. David Oddsson qui fût premier ministre de 1991 à 2004 avait lancé sous son mandat une grande campagne de privatisation (Landsbanki a été privatisé en 1997) puis dirigeât la banque centrale islandaise en 2005.
Incompétent et irresponsable; le gouvernement islandais n’a pas honoré ni les traités ni les engagements qui le lient aux autres pays de l’Espace Économique Européen.
Les citoyens islandais ne peuvent pas s’exonérer de leurs responsabilités car l’Islande est une démocratie et ce gouvernement émane d’un parlement élu par eux. On oublie toujours le principe de base de la démocratie, représentative; le peuple désigne ses représentants et ces derniers agissent au nom de peuple et les engagent y compris lors de la signature de traités internationaux. Si les Islandais se choisissent des « pieds nickelés » pour gouverner ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
L’Europe a aussi sa part de responsabilité. La libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes est à mes yeux une très bonne chose, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Les co-signataires des traités européens ont des droits mais aussi des devoirs. Il semble que personne ne se soit soucié, par exemple, du respect des devoirs en matières de fonds de garantie des dépôts. Si tout le monde a compris l’intérêt d’instaurer un fonds de garantie des dépôt peut de personne s’interroge sur la solvabilité de ces fonds. En effet à quoi sert un filet de sécurité avec un gros trou au milieu. Le seul problème est que ce fonds n’est viable que dans le cas de la faillite d’une petite ou moyenne banque mais qu’il est totalement virtuel si la plus grosse banque d’un pays fait faillite et à fortiori dans l’hypothèse d’un faillite systémique (un grand nombre de banques d’un pays font faillite en même temps), la loi de Murphy appliquée au système bancaire en somme. Ce constat est valable pour l’Islande mais aussi pour tous les pays de l’UE.
Le Taulier, avec son aimable autorisation
Publié originellement sur: