Une chose est sûre : le prochain traité européen ne retiendra pas l’article sur les symboles inscrit dans le Traité Constitutionnel rejeté par la France et par les Pays Bas et non ratifié par sept autres pays. Cet article I.8 était ainsi rédigé : « le drapeau de l’Union représente un cercle de douze étoiles d’or sur fond bleu. L’hymne de l’Union est tiré de « l’Ode à la joie » de la Neuvième symphonie de Ludwig Van Beethoven. La devise de l’Union est : « Unie dans la diversité ». La monnaie de l’Union est l’Euro. La journée de l’Europe est célébrée le 9 mai dans toute l’Union ».
Un symbole n’est pas une politique. Mais il est nécessaire pour consolider une appartenance. Aujourd’hui, il s’agit moins de réaliser la construction européenne que de forger une conscience européenne depuis la réunification du continent. Valéry Giscard d’Estaing a jugé cette décision « piteuse » ajoutant qu’elle « serait risible si elle ne blessait pas notre fierté encore fragile de nous sentir Européens » (Le Monde 15 juin 2007).
Le drapeau étoilé n’aura donc pas d’existence officielle. Il figurera pourtant sur la photo du portrait officiel du Président de la République Française, pour la première fois. Il flotte sur le toit du Ministère des Affaires Etrangères aux côtés du drapeau tricolore. Il pourrait figurer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, cœur démocratique de notre communauté politique. Il continuera de flotter aux balcons et fenêtres de milliers de mairies. Il figurera sur les plaques minéralogiques de nos voitures. Chaque projet subventionné mentionnera l’existence des fonds européens par le drapeau. Bref, il sera partout, sauf dans un Traité. Concession faite aux Britanniques, Polonais, Tchèques, souverainistes en chef parmi les 27.
Ce drapeau a lui-même une histoire. De couleur bleue et or, il était à l’origine en 1950 celui du Conseil de l’Europe. Le chiffre de douze étoiles n’a pas été retenu au hasard : il incarne la perfection et la plénitude : les douze heures de la journée, les douze mois de l’année, les douze signes du zodiaque. C’est un dessinateur alsacien qui l’a mis en forme : Arsène Heitz. Il n’a pas caché l’inspiration religieuse de son travail. Elle provient de la médaille miraculeuse de la chapelle de la rue du Bac. Les douze étoiles appartiennent en effet au culte de Marie. Il avait également lu l’Apocalypse : « Un grand signe apparut dans le ciel, une femme vêtue de soleil (son manteau était bleu) avec la lune sous ses pieds et sur sa tête, une couronne de douze étoiles ».
Tout cela fut occulté par la suite et largement sécularisé. La couleur bleue devint celle du ciel et non celle d’un manteau ; les douze étoiles représentèrent les peuples, leur disposition en cercle leur union et non une couronne.
C’est le Parlement européen qui décida de s’approprier ce drapeau qui appartenait au Conseil de l’Europe. Il dut patienter pour obtenir les accords de tous. Il réussit en 1986, à une époque où l’Union comptait douze membres, le même nombre que les étoiles.
Tous les organismes et institutions européennes adoptèrent cet étendard et il fut décidé d’en rester aux douze étoiles. L’Union n’est pas une fédération comme les Etats-Unis où on ajoute une étoile à chaque Etat supplémentaire.
L’hymne à la joie lui aussi disparaît du projet. C’est un chant d’espoir et de fraternité, souvent joué en même temps que l’hymne national. Ce fut le cas le 14 juillet dernier, place de la Concorde. Lui aussi a été décidé par le Conseil de l’Europe dans sa résolution 492 des 7 et 8 juillet 1971. Elle précise : « Il convient de porter le choix sur une œuvre musicale représentative du génie de l’Europe et dont l’utilisation dans les manifestations à caractère européen constitue déjà l’ébauche d’une tradition ». Le rapport indiquait qu’il ne sera proposé aucun texte accompagnant la musique et qu’il fallait « laisser passer un certain temps ». Chaque pays peut le faire mais il n’y en a aucun de commun pour les 27.
L’hymne rentre cependant de plus en plus dans les habitudes. Il est largement reconnu par les citoyens. Français, je me souviens de ce 21 mai 1981, jour de la passation des pouvoirs pour François Mitterrand. L’Ode à la joie est interprétée par l’Orchestre de Paris et cent cinquante choristes dirigés par Daniel Darenboïm tandis que le nouveau Président gravit la rue Soufflot avant de pénétrer dans l’enceinte du Panthéon. La Marseillaise orchestrée par Berlioz sera l’œuvre musicale incluse dans le programme officiel de la journée.
L’hymne européen est toujours là et le restera, traité ou pas. Au Conseil de l’Europe, en 1985, un député de l’Assemblée parlementaire, Monsieur Tummers, a voulu le changer en demandant à un jeune compositeur contemporain de le remplacer par une création de toutes pièces. Un texte l’accompagnerait, traduit et chanté dans chaque langue. Sa résolution restera sans lendemain.
Les citoyens finiront par imposer le drapeau et l’hymne à leurs Chefs d’Etat et de Gouvernement. Ces deux symboles de la Communauté européenne (nom de l’époque) ont été officiellement présentés le 29 mai 1986 à Bruxelles devant le siège de la Commission. La cérémonie a commencé par l’envoi des douze drapeaux nationaux avant le drapeau aux douze étoiles. Pendant l’envoi des couleurs européennes sur le treizième mât de l’esplanade, un orchestre joue et un chœur chante l’hymne à la joie. Jacques Delors, Président de la Commission prononce son discours et déclare : « que ce drapeau bleu et or soit pour ses citoyens le symbole de l’espoir sans cesse nourri par notre idéal et par notre combat ».
Aucun traité ne pourra effacer cet espoir.
Bernard Poignant
Député européen