Les crises se succèdent en Europe. Trouvez-vous les dirigeants européens à la hauteur des enjeux?
Les dirigeants européens se révèlent faibles, désorganisés et confus. Il n’y a pas de cap clairement fixé, qui rassure les citoyens et les acteurs économiques. Cette indécision augmente les dangers de la crise.
Que faudrait-il faire?
L’Union européenne et la zone euro doivent fixer le but à atteindre et la vision à porter: il faut annoncer au monde que l’euro sera défendu envers et contre tout ! C’est une obligation historique: rendre la parole et l’autorité aux décideurs politiques, par rapport à l’univers des décideurs bancaires qu’on appelle «marchés». Il faut donc construire une politique de défense de l’euro autour de la Banque centrale européenne : le premier pas, c’est la mutualisation des emprunts avec la création d’obligations européennes. Les emprunts ne seront plus réalisés par les Etats chacun pour leur compte, mais solidairement par l’ensemble de la zone euro. S’il le faut, pourquoi la BCE, comme les autres banques centrales, ne prêterait-elle pas directement aux Etats? Ce type de soutien créera instantanément trois obligations: renforcer le sérieux de la gestion financière dans tous les pays solidaires, harmoniser peu à peu les fiscalités, choisir les mêmes priorités économiques.
Mais les Allemands y sont opposés!
Il est assez rare que je me trouve en désaccord de fond avec les dirigeants allemands. Mais je n’approuve pas aujourd’hui leur attitude crispée, comme s’il fallait punir ceux qui sont en crise, comme si on leur demandait à eux des aides ou des subventions. On ne leur demande rien de tout cela: on demande une organisation commune du crédit à des pays en difficulté. Je rappelle que dans les années 90, il y a eu une immense polémique en France parce que nous avons accepté des taux d’intérêt très élevés, jusqu’à 12 %, pour rester solidaires, à l’intérieur du système monétaire européen de l’époque, avec l’Allemagne qui construisait sa réunification. A l’époque, j’ai soutenu cette solidarité qui nous coûtait très cher. Tout le monde doit comprendre que nous sommes dans le même bateau. Au lieu de pousser les plus faibles en dehors pour sauver les plus forts, les pays européens devraient s’inspirer de la tactique des troupeaux de bisons pourchassés par les loups: s’ils choisissent la fuite en avant, les plus faibles, les plus jeunes, les malades, ne peuvent pas suivre, ils décrochent, et les loups les dévorent. Si au contraire, ils mettent les plus faibles au milieu et les plus forts à la périphérie pour les défendre, les loups abandonnent la partie. Face aux spéculateurs, dont la condition est de chasser en meute, c’est la seule solution.
Certains militent pour une autre solution: la sortie de l’euro, qui permettrait de doper nos exportations.
Ce serait une catastrophe épouvantable et la misère pour beaucoup de Français, particulièrement les classes moyennes ! La dette française vogue vers les 1800 milliards d’euros. Avec des taux d’intérêt à 3 %, la charge de la dette s’élève à 45 milliards d’euros par an. C’est le premier budget de l’Etat devant celui de l’Education nationale. Si on quitte l’euro, les taux d’intérêt exploseront. S’ils montent à 9 ou 10 % (situation de l’Irlande aujourd’hui), il faudra trouver 100 milliards de plus dans la poche des Français ! Cela équivaut à tripler l’impôt sur le revenu. Les emprunts pour la maison, pour la voiture, deviendront hors de prix. Je me refuse à toute indulgence à propos d’une telle folie.
Le Figaro, 12 décembre 2010
Attitude réaliste, l’euro fonde la solidarité européenne. Il faut aller plus loin que cela cependant, fonder la machine à créer la richesse européenne, en fabricant les technologies de demain et en les vendant au monde entier. Cela suppose un lieu nouveau, une nouvelle capitale économique et culturelle, appelons-là, Schuman-Kanfen.
Merci pour la diffusion de cet entretien. Puisqu’il nous faut chasser et neutraliser « les meutes » toujours prêtes à reparaître, à se repaître, rappelons-nous que l’espérance et l’idéal s’inscrivent dans le nom même que nous portons ensemble :
au-delà de la figure mythique et presque folklorique de son enlèvment, EUROPE est VASTE-VUE, à commencer par les arts nautiques et la technique alphabétique dont l’essor phénicien s’est répandu en même temps que la légende d’EUROPE à partir du Proche-Orient, et a porté à long terme l’élan démocratique toujours en cours et partout nécessaire.
A nous, Eurocitoyens, de le relayer, de l’incarner, de lui donner forme, bref de l’ancrer – avec détermination et concertation – dans nos sociétés éprises en profondeur de paix comme de justice, par le VIVRE ENSEMBLE auquel les inventions révolutionnaires venues, voilà trois millénaires, de l’actuel Liban donnent sa chance et son souffle exceptionnels.
Je voudrais, évidemment et sans tarder, restituer l’-è- enlevé… à « enlèvement » !