A l’occasion des 50 ans du discours du président Charles De Gaulle à la jeunesse allemande, et dans le cadre des 50 ans du traité de l’Elysée, Sauvons l’Europe présentera avec ses partenaires son initiative « Qui va payer ? » lors de la conférence et de la visite conjointe de François Hollande et Angela Merkel le 22 septembre à Ludwigsbourg. Nous espérons vous y croiser nombreux !
Henri Lastenouse et Arthur Colin ont réalisé un entretien avec le Dr Stefan Seidendorf, de l’Institut franco-allemand de Ludwigsbourg qui organise cette manifestation à partir du 19 septembre.
Votre institut existe depuis 65 ans, êtes-vous le doyen des fondations politiques en Allemagne ?
L’Institut Franco-Allemand (Deutsch-Französisches Institut, DFI, www.dfi.de) existe depuis 1948, donc avant même la fondation de la République fédérale d’Allemagne (1949).
L’institut était, en zone d’occupation américaine, l’initiative et l’expression d’une société civile qui renaissait des cendres de la dictature et de la guerre. Soutenu moralement par les autorités françaises (qui n’avaient pas le droit d’intervenir en zone américaine), il était aussi une des premières expressions de la volonté de tirer les leçons des confrontations franco-allemandes du passé, d’œuvrer pour dépasser ce « conflit millénaire ».
Bien entendu, les fondateurs étaient des idéalistes minoritaires, mais qui allaient bientôt occuper des positions importantes dans l’Allemagne d’après-guerre. Par exemple le premier président de la République fédérale allemande Theodor Heuss ou encore Carlo Schmid, un franco-allemand qui fut vice-président du Bundestag jusqu’en 1972.
Pour être vraiment complet, l’institut est organisé sous la forme d’une association à but non lucrative, forme qui règle encore aujourd’hui nos statuts. Il n’est donc pas, à proprement parler, une fondation politique, ni la plus ancienne…
Quel a été votre rôle dans l’Allemagne et l’Europe de l’après-guerre ?
Dans un premier temps, le but était tout simplement d’informer, de travailler contre les malentendus mutuels qui pouvaient exister de part et d’autre du Rhin (c’est d’ailleurs toujours une grande partie de notre mission).
Rapidement se développa ensuite la dimension d’échanges et rencontres, bientôt baptisé « réconciliation » franco-allemande. C’est cet élan qui permit, en 1950, de fonder le tout premier jumelage entre Ludwigsburg, où l’institut a toujours son siège, et Montbéliard.
C’est aussi cette réputation, qui s’étendait déjà au-delà de la petite ville souabe, qui explique pourquoi le Président de Gaulle choisit, en 1962, Ludwigsburg pour terminer son voyage en Allemagne. Il y prononçait son fameux discours à la jeunesse en allemand que nous commémorons le 22 septembre
50 ans après ce discours, vous recevez François Hollande et Angela Merkel : quel sera votre bilan des 50 ans du traité de l’Elysée ?
Né d’une entente très réaliste sur le « plus petit dénominateur commun » entre le Chancelier allemand Konrad Adenauer et le Président français Charles de Gaulle, ce traité a eu quelques particularités qui font qu’il peut toujours être considéré comme un « modèle » de ce qui est possible entre deux pays qui aspirent à dépasser un passé conflictuel.
Ceci dit, il ne faut pas non plus sur-idéaliser cette relation bilatérale – mais sans l’existence du traité et de son œuvre à travers le temps, ces relations auraient très certainement pris une autre direction, moins constructive, ressemblant plus aux relations traditionnelles entre Etats.
Ce traité est plus souvent mentionné que vraiment lu ! Selon vous que doit on en retenir qui fonde sa particularité ?
D’abord l’obligation faite aux responsables politiques de se retrouver à des intervalles réguliers, très courts (toutes les six semaines, trois mois, six mois).
C’est cette régularité qui a d’abord crée une pression, une attente de la part de l’opinion publique envers les acteurs politiques : à l’issue de chaque mini-sommet, il fallait présenter un avancement de la relation franco-allemande aux citoyens.
Elle a ensuite permis, à travers le temps, de rapprocher les deux pays et d’abord leurs gouvernements – non pas dans le sens que nous connaissions moins de conflits aujourd’hui qu’hier, mais dans le sens que nous avons pris l’habitude de ces conflits – et surtout nous savons les dépasser : des instruments et des acteurs, des institutions et des mécanismes existent qui permettent un travail organisé pour trouver des compromis.
Le deuxième élément important est l’organisation de la société civile franco-allemande (qui existait déjà avant, nous l’avons vu), dans un cadre qui permet de la financer et de l’associer étroitement à la politique bilatérale entre les deux pays.
L’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), dont la création fut décidé avec le traité de l’Elysée, est ainsi devenu l’acteur historique responsable de la plus grande migration de tous les temps…plus de 8 millions de jeunes français et allemands, mais aussi d’autres pays, ont pu, grâce au travail de cette institution, participer à un échange avec l’autre pays.
Dans cet esprit, vous organisez en marge de la visite Hollande/Merkel un forum citoyen sur la démocratie en Europe. Avec quels objectifs ?
Tout d’abord, je tiens à préciser, avec un clin d’œil, que ce sont les responsables politiques qui viennent en marge de notre forum !
Ce forum, qui impliquera une centaine de délégués, venant d’une trentaine de groupes de neuf pays européens, aura impliqué (si l’on compte aussi sa phase interactive sur le web) presque mille personnes, et, par le travail de multiplicateurs certainement d’avantage. C’est donc en toute bonne foi que les participants se réunissent sous le titre « A nous l’Europe ! »
Nous voulons que les jeunes participants de ce forum prennent conscience de l’urgente nécessité pour eux de prendre leurs responsabilités, de s’impliquer et d’exiger de participer aux décisions et aux débats politiques d’aujourd’hui.
Effectivement, le débat politique est « attisé » par la crise de l’Euro avec, dans chaque pays, les mêmes questions du « pourquoi l’Europe ? » et «pour qui l’Euro ? »
Ni la crise de notre modèle économique et de croissance, ni le changement climatique et la question de l’énergie, et encore moins le vieillissement démographique peuvent être résolus par un Etat seul en Europe.
Nos destins sont plus que jamais liés, et les grands problèmes que nous affrontons ont ceci en commun : ils se caractérisent par une dépendance mutuelle entre Européens – c’est-à-dire que pas un acteur seul serait capable et en mesure de proposer une solution adéquate, mais que cette solution doit résulter des décisions de l’ensemble des Européens ; elle doit impliquer l’ensemble des Européens.
Décider ensemble politiquement nécessite l’existence d’un ordre politique européen qui permet de vraies décisions politiques. La Chancelière allemande a, à plusieurs reprises, appelé de ses vœux une telle Europe politique.
Cependant, cette évolution ne prendra pas place sans la pression, ni contre la volonté des citoyens…
A ce propos, comment l’opinion publique allemande assume-t-elle aujourd’hui son choix européen ? Quelle liberté laisse-t-elle à Angela Merkel, notamment dans sa gestion de la crise de l’Euro ?
Les Allemands, comme la plupart des Européens, ont aujourd’hui un sentiment diffus d’euroscepticisme – mais pas d’anti-européisme.
Si les raisons profondes derrière l’existence d’un ordre politique européen sont toujours largement consensuelles et partagées, c’est le jeu de dupes entre les Gouvernements européens qui est souvent décrié à travers les médias et dans l’opinion publique.
Les Allemands ne seront certainement pas prêts à accepter un ordre européen plus intégré, sans gagner d’avantage de pouvoir démocratique et participatif. En ceci, ils ne se distinguent pas des autres Européens.
Malgré ses annonces publiques, et tant que les autres Gouvernements se montrent hésitants, voir hostiles, Angela Merkel peut très commodément jongler entre son opinion publique à la maison et ses collègues sur la scène européenne. Elle prétend, à juste titre, qu’elle ne dispose visiblement pas d’une grande marge de manœuvre.
Ceci changerait fondamentalement si la pression vers plus d’Europe politique émanait d’un autre « poids lourd » de la zone euro, par exemple la France…à ce moment-là, la chancelière ne pourrait plus se cacher, mais serait obligé de dévoiler son jeu européen.
Au-delà de l’opinion publique allemande, la Cour constitutionnelle allemande joue un rôle particulier en Europe. Comment interprétez-vous son rôle dans le jeu démocratique allemand ?
La Cour constitutionnelle a comme mission de protéger et défendre la constitution allemande, cette à dire les principes fondamentaux contenues dans la loi fondamentale allemande.
La Cour a montré par sa décision sur le Mécanisme européen de stabilité (MES) qu’elle ne s’oppose pas par principe à la construction européenne.
Si elle s’intéresse plus particulièrement au cas de l’Allemagne en Europe, et interprète la plupart des questions européennes qui lui sont soumises dans une perspective plutôt « nationale » que « européenne », elle y est pleinement dans sa mission (préserver la constitution allemande).
La Cour a pris, avec ses récentes décisions, en tournant vers une interprétation plus « démocratique » et moins « essentialiste » de la constitution allemande et représente, en quelque sorte, la voix des eurosceptiques, mais pas europhobes, en Allemagne – concerné par la question de la démocratie, mais pas opposé à la construction européenne.
Cependant, tant que la construction européenne ne se recentre pas d’avantage sur une résolution de la question démocratique, la Cour restera très prudente et tâchera de préserver les éléments essentiels d’un ordre démocratique, au niveau national, à défaut d’être responsable du niveau européen.
« Ce blocage démocratique » de l’Europe tient notamment au blocage français sur la question du fédéralisme Européen ; et cela malgré les « contorsions deloriennes » ! Quelle est votre analyse en la matière ?
La question du fédéralisme en Europe peut être résumée de la façon suivante : A chaque fois que l’Allemagne a fait une offre avantageuse à un gouvernement français – de gauche comme de droite – les responsables français se sont opportunément tus et ont réussi à noyer l’initiative dans un dialogue de sourds.
C’est ce qui s’est passé avec l’initiative des députes Wolfang Schäuble et Karl Lamers en 1994, quand ils proposaient une Europe à noyau dur.
Et c’est ce qui s’est aussi passé avec le fameux discours du ministre (vert) des affaires étrangères Joschka Fischer (en 2000), quand Hubert Védrine s’est opposé à cette vision, manifestement sans avoir compris le fond de la vision de Fischer.
Et c’était encore la réaction française aux tentatives d’Angela Merkel de remettre la question sur la table en 2011 et 2012.
Par contre, à chaque fois que l’Europe a « de fait » progressé vers plus de fédéralisme, cette avancée est intervenu grâce à une décision courageuse d’un responsable français – c’était le cas avec Robert Schuman et Guy Mollet, c’était la situation de François Mitterrand et Jacques Delors, mais même aussi (un peu…) avec Jacques Chirac et Lionel Jospin.
A chaque fois, il s’est agit d’une question politique très difficile, contesté dans la majorité même du président au pouvoir – et à chaque fois, une telle décision a montré la dimension historique d’un homme politique. L’avenir proche montrera d’ailleurs si François Hollande est de l’étoffe de ces prédécesseurs …
Il confirme bien ce que j’écrivais hier : ce sont les Français qui bloquent. C’est triste. quant à Mitterrand, Chirac et Jospin ils n’ont pas eu des positions en faveur de l’intégration fédérale bien au contraire. Là-dessus il se trompe. D’ailleurs Védrine exprimait bien la politique de Mitterrand.
Puissent les socialistes qui, comme Ségolène, sont en faveur d’une Europe fédérale, décider Hollande aux paroles et gestes décisifs !
Sans une Europe unie démocratique, les Américains continueront à mener le monde à leur façon qui malgré ses aspects positifs, demeure « impérialiste » au sens où, pour eux, ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour le monde et réciproquement !
Article très intéressant, remettant parfaitement en perspective les données de la problématique européenne. Dommage, simplement, qu’il soit truffé de fautes d’orthographe !
Sé des chozes ki arivent
La France se voit toujours comme la Grande Nation… Dommage, à cet égard, qu’elle ait été classée au rang des « puissances victorieuses » en 1945-46 … L’anti -fédéralisme européen de la droite française relève de cette vision de plus en plus erronée du poids réel de la France sur la scène internationale… Pour une partie de la gauche française, c’est la crainte qu’une Europe fédérale constitue un obstacle à une traduction concrète de vision idéologique qu’elle a de l’économie et de l’entreprise, à la différence des partis sociaux-démocrates d’autres pays européens soucieux de concilier pragmatisme et équité, efficacité et solidarité… La France, comme le Royaume-uni, a une classe politique à dominante passéiste: elle est largement « obsolète » serait-on tentée de dire… Quant à M. Védrine, il vient de déclarer récemment dans un récent Nouvel Obs qu’il était contre une large extension du Vote à la Majorité Qualifiée (VMQ) au sein d l’UE, au motif que « la France y serait régulièrement en minorité »: inquiétant comme conception de la démocratie, et pas seulement de l’UE, n’est-ce pas ?
La question de « l’étoffe européenne » de F. Hollande se pose, mais est-elle à ce point centrale, voir décisive ? Sauf à lui supposer un charisme en la matière à la Schumann, à la Delors ou à la Willy Brandt – ce dont on peut douter -, on se retrouvera dans l’éternel duo franco-allemand. Duo explicable historiquement et dont l’importance se justifie par le poids des deux nations et par l’efficacité de quelques tandems : De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Miterrand-Kohl. Mais le reste de l’Europe ? La place récemment (re)prise par les Italiens, malgré leur difficultés, le retour au bercail des Néerlandais mériteraient d’être davantage pris en compte.Il faut rouvrir le jeu européen.
Bonjour,
Europe fédérale, mais pour quel enjeu ?
La république européenne, laïque, démocratique et sociale ?
Si oui, chiche,
Sinon, passez votre chemin !
J’entends l’argument que pour sauver l’Europe, il faut davantage d’intégration. Aller vers le fédéralisme, oui. Mais il faut d’abord nous mettre d’accord sur quelle Europe. Quelle politique monétaire? Pourquoi les états ne se financeraient-ils pas directement auprés de la banque centrale à 0 ou 1% d’intérêt plutôt que sur les marchés? Quelle mission donner à la banque centrale? Quelle politique étrangère et de défense? Quelle politique sociale? On ne peut pas faire une telle avancée institutionnelle sans nous mettre d’accord au préalable sur ces questions.
Tout le monde parle de « parvenir à une Fédération européenne »… comme si ça pouvait être pour demain matin (bon.. j’exagère…).
Soyons réalistes et pragmatiques. En fait, sans l’énoncer expressément, tout le monde a en tête l’exemple de la Fédération… des États-Unis d’Amérique : un gouvernement fédéral qui s’occupe des questions internationales et militaires, macro-économiques, monétaires, constitutionnelles, ainsi que de la garantie des minimas communs : protection des citoyens, santé (on a vu les déboires d’Obama avec Medicare !), etc… À chaque état fédéré d’exercer, lui, sa « souveraineté restreinte »… sur ce qui reste !
Franchement… nos nations européennes (nation au sens anglo-saxon du terme : « Black Nation », « Indian Nation »..) sont-elles prêtes, ici et maintenant, à consentir de tels restrictions à leurs sacro-saintes « souverainetés » ??
Honnêtement…
Quand les treize « ex »-Colonies britanniques se sont réunies dans la Convention de Philadelphie en 1787, elles venaient à peine de sortir de la guerre d’Indépendance. C’étaient de jeunes nations, pleines de vigueur et pour elles, une constitution fédérale était tout simplement… le moyen de SURVIVRE !
Les 27 entités formant l’Union Européenne aujourd’hui sont, si je ne me trompe, des peuples recrus d’Histoire, et blanchis sous le harnais… La situation actuelle (délimitations culturelles et étatiques) a été acquise au bout de combien de millénaires de guerres, de traités et de compromis ?
C’est, à mon avis, un « miracle » que cette Union en soit DÉJÀ arrivée là où elle en est aujourd’hui ! Imaginons : nous avons construit le SEUL parlement supranational qui ait jamais existé sur cette planète, avec des pouvoirs toujours plus renforcés !
L’état de « Fédération Européenne » ne sera pas institué au cours d’une grande cérémonie d’ouverture solennelle d’un Congrès Continental (comme en 1774)…
Il faudra, pendant pas mal de temps encore, je le crains, grignoter sans relâche pour instaurer, par consensus successifs, les institutions communes qui feront qu’un jour, on se retrouvera en structure fédéralisée.. sans même s’en être aperçu ! ! !
C’est peut-être moins théatral qu’une Constitution signée en grande pompe devant le Parthénon illuminé, mais bougrement plus efficace !