Après les attaques, la vie reprend son cours. Le Comité économique et social européen (CESE) a été renouvelé le 8 octobre dernier à Bruxelles. Il est composé de 350 conseillers issus des 28 États membres de l’Union européenne, répartis en trois groupes qui représentent les employeurs, les travailleurs et les intérêts divers.
À l’occasion de la séance plénière du 8 octobre dernier, Georges Dassis, syndicaliste grec, président du Groupe des travailleurs, a été élu président du CESE. À l’ouverture de la séance, des messages de différentes personnalités ont salué le travail qu’il a réalisé depuis de nombreuses années, notamment au sein du CESE. Dans ce cadre, Jacques Delors a adressé un message chaleureux, qui a été bien apprécié. Georges Dassis a prononcé un important discours, dont l’essentiel est repris sous forme ordonnée :
Premières impressions de président du CESE nouvellement élu
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à tous les membres du Comité économique et social européen, pour la confiance qu’ils m’ont témoignée, non seulement pendant les moments difficiles, mais aussi lors du vote à la Présidence
J’ai eu six voix contre. Heureusement, sinon on m’aurait accusé d’être stalinien. Eh bien, pour moi, c’est un grand honneur, et, même si c’était d’ores et déjà mon intention, cela m’oblige a fortiori à continuer à travailler dans un esprit de consensus.
Notre Comité, est l’expression d’une valeur réellement européenne. Il a été mis en place par les traités, à l’image de ce qui se faisait déjà dans certains pays, tels que la France ou l’Italie.
Les forces économiques de la société civile ont largement contribué à la reconstruction au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il y a aujourd’hui des gens qui me disent que c’est bien beau, ce que je raconte, mais qu’il n’est pas facile d’être Européen, voire que c’est difficile. Ma réponse est qu’à l’époque, il était bien plus difficile pour les citoyens allemands et français, pour les politiciens d’Allemagne et de France, de faire la paix et de proposer autre chose que la résolution des conflits par les canons. Aujourd’hui, la société civile, nous, nous avons un rôle analogue à jouer dans la construction de l’Europe de demain.
Rôle du CESE au sein des institutions européennes
L’existence même du Comité est un gage de démocratie, que l’Union, donc les institutions européennes de décision, devrait valoriser davantage aux yeux des citoyens. Dans un régime démocratique, il est très sain de financer un organe consultatif tel que le nôtre, qui peut entres autres critiquer les décideurs: il nous arrive de proposer, mais il nous arrive également, et c’est tout à fait normal, de critiquer.
Un pouvoir qui ne craint pas de donner la parole aux syndicats, aux organisations patronales, aux associations de citoyens dans le cadre d’un organe officiel de l’Union européenne est réellement un pouvoir qui peut se targuer d’être démocratique. Il ne craint ni la contradiction ni la critique. Il ne poursuit pas ceux qui le critiquent.
À propos du financement de fonctionnement, les Conseillers du CESE ne perçoivent aucune autre indemnité que le remboursement de leurs frais de voyage et de séjour, ce qui représente un pourcentage infiniment petit du budget du CESE, de l’ordre de 0,013 pour cent du budget de l’Union. Les membres du comité coûtent très peu dans ce processus démocratique.
Une autre des caractéristiques du Comité est qu’il est conçu pour exprimer les avis de l’ensemble de la société civile organisée. Employeurs, travailleurs, associations citoyennes sont consultés ensemble et doivent s’exprimer ensemble. C’est encore une originalité européenne.
D’autres grandes unions, et pour rester dans notre périmètre géographique, je mentionnerai l’Association européenne de libre-échange, ont existé mais se sont réduites. Ces associations étaient des associations commerciales, qui avaient principalement pour but d’échanger des marchandises tout en diminuant les droits de douane.
Responsabilités particulières du CESE
Si notre Union existe aujourd’hui et a perduré dans le temps, c’est parce qu’elle représente une originalité européenne, et cette originalité réside dans le fait qu’elle est gouvernée par un système apparu, je pense, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Dans ce système, notre Comité représente une réelle valeur ajoutée, car il permet de disposer d’avis solidement partagés. Pour les obtenir, nous sommes obligés, de rester autour de la table, de dialoguer et d’arrêter une position avant de nous adresser aux décideurs, au pouvoir européen en place, représenté par le Conseil et par le Parlement, ou à la Commission lorsqu’elle prépare une proposition de législation.
Mes ancêtres – vous savez, maintenant, «mes ancêtres», ils sont loin –, les Grecs anciens, et plus précisément Aristote, écrivaient que l’être humain était un politicon zôon, ce qu’on peut traduire par un «animal politique», c’est-à-dire un être social. Vivre dans la cité implique l’interaction avec autrui, la solidarité, l’association, l’union. D’ailleurs, pour les Grecs anciens, les individus qui ne s’occupaient pas de politique au sens large du terme, donc qui ne s’occupaient pas de la vie de la cité, étaient des citoyens inutiles. L’Europe de demain devrait être la cité qui aura fait la synthèse correcte de l’individuel et du collectif, évitant à la fois toute tyrannie sociale sur l’individu mais également toute tyrannie individuelle sur le social.
Chaque individu doit donc être pleinement libre, respecté et investi de ses droits, mais en même temps, la démarche qui consiste à s’organiser librement, dans la société où l’on vit, et à négocier collectivement, doit être encouragée et avoir le poids qu’elle mérite.
Selon les termes mêmes du traité, le Comité est composé des «représentants des organisations» et il n’est, par conséquent, pas un collège d’experts. Je tiens à clarifier ce point, car on nous compare souvent à des experts ou bien à des lobbyistes. Il n’en est rien et, toujours selon le traité, le rôle du Comité est de relayer les positions des unions d’entreprises, d’employeurs, de syndicats, d’autres associations de la société civile, des citoyens, des organisations socio-professionnelles et de tout autre mouvement associatif.
Le Comité économique et social représente par ailleurs une forme de solution à la question du lobbying. Chacun de nous représente, dans la transparence la plus totale, l’organisation dont il est issu. Nous ne nous cachons pas d’œuvrer pour les entreprises, les salariés, des associations.
Nous sommes fiers de porter le drapeau de nos associations et nous agissons en toute transparence. Nous n’agissons pas dans les couloirs afin d’influencer tel ou tel fonctionnaire pour qu’il rédige de telle ou telle manière une proposition de législation au niveau de l’Union. Nous publions nos avis au journal officiel, nos débats sont publics et nos documents consultables par tous les citoyens. Nous n’acceptons pas que l’on nous compare à des lobbyistes : Nous sommes des représentants de la société civile organisée.
Quelques réflexions sur les politiques européennes
Vous savez, déjà dans le traité de Rome, il y avait de belles choses, mais plus récemment, dans le traité de Lisbonne, il est inscrit à l’article 2 que le but de l’Union européenne est de promouvoir, je cite, «la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples». Depuis la mise en place de la première communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, en 1952, nous sommes passés de six pays à vingt-huit États membres, et qui sait, après-demain, nous serons peut-être vingt-neuf ou trente et nous parviendrons peut-être à faire de l’Europe géographique une Europe politique, sociale, économique.
La communauté à six pays était réellement attrayante, tellement attrayante que d’autres États ont voulu adhérer, et non des moindres. Pour diverses raisons. Je ne peux pas les citer toutes, mais je vais citer celles qui étaient très simples: L’espace des Communautés européennes était un espace de paix, de liberté, de démocratie, de dignité et de bien-être. Un espace qui, petit à petit, a mis en place des mesures tendant à garantir une certaine cohésion économique et sociale. L’Union a connu de tels moments de réussite qu’elle a presque fini par être considérée comme un «acquis pour toujours», Malheureusement, vous le savez très bien, rien n’est acquis pour toujours. Rien.
L’amour que vous portez à votre compagne ou à votre épouse, ou inversement, l’amour que vous portez à votre compagnon ou à votre époux n’est pas un «acquis pour toujours». Vous le savez bien: cet amour a besoin d’être entretenu. Il a besoin d’être nourri. De même, l’Union a besoin d’être entretenue pour durer. Or ces dernières années, notre Union est malade: elle traverse une crise grave et profonde. Les difficultés économiques et financières ont mis en évidence les faiblesses de sa gouvernance, l’insuffisance de son intégration, le risque tangible de fractures graves et la perte de ce qui faisait la force du projet européen: l’adhésion de ses peuples et même l’enthousiasme d’une part importante des citoyens.
Notre Union, aujourd’hui, n’est pas assez unie, et comme l’a très bien déclaré Jean-Claude Juncker, le président de la Commission– et il a eu raison de le dire –, notre Union ne peut avoir de sens que si elle a l’être humain pour finalité.
C’est par l’esprit d’entreprise, par le travail mais aussi par la solidarité que se construit l’Union européenne. La solidarité a cruellement fait défaut dans certains domaines, ces derniers temps en Europe, et notamment dans le domaine de l’accueil des réfugiés. Elle a même été complètement oubliée, alors qu’elle est l’un des fondements de notre Union. Ce n’est pas en se repliant chacun sur soi qu’on trouvera la compétitivité dont on nous rabâche les oreilles. Ce n’est pas en se repliant sur soi qu’on va réduire le chômage et la pauvreté, qu’on empêchera les nationaux-extrémistes, les racistes, de berner les citoyens vulnérables en leur promettant monts et merveilles ou en leur promettant des «aubes dorées», pour reprendre une expression tristement célèbre dans mon pays. Ces forces n’aspirent qu’à une chose: à ce que l’Union se disloque, qu’elle soit démantelée. Par contre, on barrera la route à tous ceux qui prônent la haine en envoyant des signaux concrets qui montrent que cette Union est là pour les citoyens, en montrant avec courage et ingéniosité que l’Union fait la force.
Conclusions provisoires
L’Union fait la force, par exemple, pour résister aux spéculateurs, pour financer les entreprises et les infrastructures de nos régions, pour être mieux entendus sur la scène internationale. L’Union fait la force pour réindustrialiser l’Europe, pour financer la recherche et le développement, pour offrir un avenir meilleur aux jeunes, pour garantir à toutes et à tous des conditions de vie décentes. Nous n’avons pas le droit de laisser les jeunes dans le désespoir. C’est en travaillant ensemble, et j’insiste sur ce point, vraiment ensemble, dans un esprit de consensus, que nous, les représentants de la société civile, contribuerons de manière significative à ce que notre Union reste un espace de paix, de liberté, de démocratie, à ce que notre Union devienne plus unie, plus solidaire plus européenne. C’est ensemble que nous mènerons ce que je suis tenté d’appeler «ce combat», afin que notre Europe continue d’être l’espoir des peuples et afin que les citoyens puissent être convaincus que leur avenir, l’avenir de leurs enfants, se trouve dans cette Europe unie et solidaire.
Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon membre fondateur de Sauvons l’Europe, sur la base du discours d’investiture de Georges Dassis prononcé le 8 octobre 2015, devant l’assemblée plénière du CESE
Pour en savoir plus : http://www.eesc.europa.eu/?i=portal.fr.home
Le CESE européen parait aussi indispensable que son homologue français, Georges Dassis déclarant lui même qu’il « arrive » au CESE de faire des propositions!
Le CESE européen ne verse pas de salaires, juste des défraiements.
Je crains que cette enceinte, réservée aux camarades syndiqués et aux dûment estampillés, soit un lieu de bavardages et d’inaction. Georges Dassis le confirme dans ce discours ramassis d’incantations et de nombrilisme.
Il ne me parait pas que l’Europe ait la moindre chance d’être « sauvée » par de tels comités Théodule.
L’Europe des Nations giscardienne suit son train-train de chemin, alors qu’elle est aujourd’hui la cible de forces qui veulent sa destruction. Il est temps que les fédéralistes européens se réveillent pour défendre leurs idées concernant l’Europe de demain, l’Europe des Peuples, l’Europe du Peuple européen..
En attendant l’Europe intelligente (fédérale) il faudrait au moins que Bruxelles tienne compte de la mission militaire de la France qui (mine de rien) protège l’Europe à ses frais. Que chacun des pays apporte son quota et nous pourrons alors atteindre les 3% de déficit.
Mon propos n’est pas de faire l’apologie du CES européen. Celui-ci n’a sans doute pas l’aura des « institutions » reconnues comme telles (Parlement, Conseil, Commission, Cour de justice…). Cette enceinte de dialogue me paraît toutefois avoir acquis une certaine place dans le jeu institutionnel de l’UE, au-delà d’un rôle modestement consultatif prévu lors de sa création par le traité de Rome en 1957.
En-dehors de la possibilité pour le CESE d’émettre, de son propre chef, des « avis d’initiative », sa fonction consultative s’exerce à l’égard des différentes institutions. Ainsi, pas moins de 29 articles du TFUE prévoient la consultation du Comité, essentiellement dans le cadre de la procédure législative – et ce dans des volets des politiques de l’UE aussi différents que l’agriculture, les transports, la liberté de circulation des travailleurs , la fiscalité, la politique sociale, la protection des consommateurs, l’environnement ou l’énergie.
Concrètement, en 2014 – outre les débats en séance plénière – le CESE a, par exemple, adopté 61 avis sur saisine du Parlement, tandis que 139 réunions ont été organisées avec des représentants de ce dernier. De même, pour la même année de référence, une dizaine d’avis exploratoires ont été rendus à la demande soit du Conseil, soit de la Commission, et une soixantaine de réunions se sont tenues avec de hauts responsables de la Commission, tandis que des membres du Comité ont participé à une quinzaine de réunions ministérielles de l’UE.
On n’oubliera pas non plus que le TFUE prévoit que le Comité fait partie des destinataires habituels de rapports rédigés, en vertu du traité, par d’autres institutions (rapports sur la non-discrimination et la citoyenneté, sur la réalisation des objectifs sociaux ou sur les progrès de la politique de cohésion économique, sociale et territoriale).
Au stade le plus récent de l’histoire du Comité, le traité de Lisbonne a mis en évidence la nécessité que ce dernier soit représentatif de toutes les composantes de la société civile – et pas seulement de celles à caractère économique et social: ceci inclut notamment les domaines civique et culturel.
Dans un ordre d’idées voisin, on ne peut non plus négliger le rôle que le CESE a entendu jouer, dans le contexte de la « démocratie participative », en regard du nouvel instrument que constitue l’ « initiative citoyenne européenne »: un rôle de « facilitateur » destiné à permettre aux promoteurs d’initiatives de ce genre d’établir des contacts; un rôle de « mentor » par le biais d’auditions ou d’avis susceptibles d’aider la Commission à évaluer telle ou telle initiative.
Que l’on me pardonne la longueur de ce « rappel aux faits ». Ce faisant, je n’avais d’autre intention, dans le prolongement des propos de SLE, que de faire écho, à ma modeste place, à l’avertissement de Victor Hugo s’exclamant, devant la représentation nationale en 1848: « Le silence autour des assemblées, c’est bientôt le silence dans les assemblées ».
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