Dans la catégorie homme, centre droit et venant d’un Etat traditionnel, le lauréat est Hermann van Rompuy, premier ministre belge dont la capacité à créer un consensus est amplement démontrée par le fait que la Belgique existe encore au moment où on écrit ces lignes.
Dans la catégorie social-démocrate, si possible non-homme et si possible venant d’un pays extérieur au noyau historique, la lauréate est Catherine Ashton, actuellement, euh. Ah, Commissaire au commerce !
Après avoir écarté de facto la candidature Blair à la présidence du Conseil, le consensus des chefs d’Etat s’est orienté vers des personnalités moins clivantes, c’est-à-dire présentant moins d’angles. C’est sans doute ce qui a coûté sa désignation au bouillant Juncker (bouillant en comparaison des autres candidats). Le hollandais Balkenende a disparu de la shortlist sans qu’on sache trop pourquoi. Quant à la lettone Vike-Freiberga, qui voulait être un visage humain pour l’Europe et mettre son pays au centre de l’Europe et qui aurait au moins été distrayante, il se dit qu’elle a été écartée parce que les chefs d’Etat ne la connaissaient pas, ni ses idées. Il est peu probable que ce soit la raison principale puisque cela n’a pas empêché la désignation de Van Rompuy, ni surtout celle d’Ashton.
Pour le poste de Haut représentant aux affaires étrangères, le favori depuis la déconfiture de Blair était David Miliband,
Ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni. Mais celui-ci ayant fermement indiqué qu’il ne souhaitait pas faire don de sa personne à l’Europe, on recherchait d’autres sociaux-démocrates d’expérience, le nom de Massimo d’Alema revenant avec insistance (barré selon la rumeur pour être trop défavorable à Israël). Pour éviter de perdre sur les deux tableaux, Londres a eu l’habileté de retirer officiellement la candidature de Blair à la présidence dès l’ouverture du sommet, et de soutenir en contrepartie celle d’Ashton. Ceci a permis un accord très rapide et à l’unanimité des chefs d’Etat présents, alors qu’on s’attendait à un sommet très difficile et pas nécessairement conclusif.
Spécialiste du handicap et des familles monoparentales, Catherine Ashton a été successivement sous-Secrétaire d’Etat à l’Education chargée du soutien à la petite enfance, puis sous-Secrétaire d’Etat chargée des archives nationales et de l’Autorité de contrôle des tutelles, avant de devenir Ministre des relations avec le Parlement. En 2008, elle est alors nommée Commissaire européen au commerce, poste pour lequel son parcours antérieur la recommandait hautement. Il s’agit en effet d’un des sièges les plus importants de Bruxelles, l’Union européenne disposant d’un pouvoir complet dans ce domaine et le commerce international ayant l’importance que l’on sait. Succédant à Sir Leon Brittan, Pascal Lamy et Peter Mandelson, Catherine Ashton ne s’est pas vraiment fait un nom. En fait, le personnage qui négocie les traités commerciaux de l’Europe à l’OMC, ou plus directement avec les Etats-Unis ou la Chine, n’a de page Wikipédia française à son nom que depuis juin dernier et il se révèle difficile de trouver des photos d’elle sur internet.
Il est donc naturel que sa désignation comme ministre des affaires étrangères de l’Europe se soit imposée très rapidement à l’unanimité, son expérience et ses compétences ne prêtant manifestement pas à débat.
Que dire ? Que dire, sinon que les institutions européennes sont à bout de souffle et aboutissent à un résultat grotesque ? Que la recherche absolue du consensus à presque trente ne peut conduire qu’à désigner des personnes garantes de ce que les institutions ne prendront aucune orientation, au point de surprendre Manuel Barroso qui a pourtant donné quelques gages personnels en ce sens ? Que ces maquignonnages absurdes ridiculisent l’idée d’une démocratie au niveau européen, et par contagion l’idée de démocratie tout court ? Sans relancer un cycle de réforme constitutionnel voué à l’échec, il faut laisser respirer les institutions : le Parlement européen est le seul organe de l’Union a être issu d’élections spécifiques, occasion de parler d’Europe. Il est le seul lieu qui puisse à terme devenir le centre de gravité politique de l’Europe, où sont tranchés les choix d’orientation majeurs.