Le rapport Stoiber ou l’éloge du « light » en matière de réglementation

 

S’il existait un prix Nobel de réglementation, nul doute que d’aucuns seraient spontanément tentés de l’attribuer à l’Union européenne pour l’ensemble de son œuvre. « Tatillon », « pesant », « excessif », les qualificatifs ne manquent pas pour stigmatiser son appétit de régulation.

Rendu public le 14 octobre 2014, le rapport d’une autorité indépendante se penche sur la pertinence de cette image d’Epinal. Rédigé sous la direction d’Edmund Stoiber, ancien ministre-président du Land de Bavière, ce document couronne sept années de travaux assortis de nombreux avis et rapports intérimaires portant sur plus de 300 suggestions. C’est en effet en 2007 et à la demande du président Barroso que le « groupe Stoiber » a vu le jour. Composé de quinze personnalités bénévoles appartenant à divers milieux (experts en législation, représentants de l’industrie et des PME, organisations de protection de l’environnement et des consommateurs, partenaires sociaux), il a commencé ses travaux en janvier 2008. Son mandat a par la suite été prolongé et élargi à deux reprises, en 2010 puis en 2012. Nous en résumons ici les principales conclusions et recommandations.

Historiquement : le fléau, le glaive et la balance
A vrai dire, une première impulsion avait été donnée déjà en 2002 par la Commission , de plus en plus consciente de la lourdeur des coûts et autres charges induits par la réglementation et de sa responsabilité en la matière. C’est à cette époque, en effet, que le collège européen, sous la présidence de Romano Prodi, s’est lancé dans le programme « Mieux légiférer », destiné à simplifier et améliorer l’ensemble de l’environnement réglementaire de l’UE. Cette démarche s’est notamment traduite par le recours systématique à la consultation des intéressés pour toutes les initiatives de la Commission et par l’introduction d’analyses d’impact pour ses propositions les plus importantes.

Avec l’aval du Conseil européen, le dispositif a été complété en 2006 par un « programme d’action pour la réduction des charges administratives dans l’Union », visant à une réduction de 25 %, à l’horizon de 2012, des charges administratives pesant sur les entreprises. Non sans emphase, la Commission a par la suite plaidé en faveur d’une politique de « réglementation intelligente » (2010) puis mis au point un programme pour une réglementation « affûtée et performante » (REFIT – 2012) consistant à passer au crible de manière continue l’acquis réglementaire de l’UE afin d’en repérer les coûts induits, voire les lacunes ou les insuffisances (en qualité, non en quantité !). De l’aveu de la Commission, elle aurait elle-même abrogé plus de 6000 actes législatifs et retiré près de 300 propositions depuis 2005.

Les prescriptions du Docteur Stoiber
Mettant en exergue le jugement de Montesquieu selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » et tout en prenant acte de progrès significatifs accomplis par la Commission au niveau tant de l’allègement de la charge administrative que de la « réglementation intelligente », le rapport Stoiber est d’avis qu’il est possible et nécessaire d’en faire beaucoup plus.

En fait, le rapport ne limite pas ses recommandations à la seule Commission. Il appelle tous les protagonistes du processus législatif à faire preuve d’une plus grande ambition en termes de « régime », tout en prenant dûment en considération la protection des consommateurs et des travailleurs ainsi que les préoccupations sanitaires et environnementales. Ainsi :

– à l’intention de la Commission, le groupe insiste sur la nécessité d’adopter un nouveau programme d’action pour réduire les coûts administratifs et de publier des comptes annuels concernant les coûts ou le bénéfice net total des nouvelles propositions législatives. Il l’invite également à introduire un système permettant de compenser les nouvelles charges imposées aux entreprises par la législation européenne en supprimant certaines charges existantes ainsi qu’à appliquer rigoureusement le principe « Think Small First » (« Priorité aux PME »). D’une manière plus générale, le groupe préconise par ailleurs – souci familier à « Sauvons l’Europe » – d’améliorer sensiblement la couverture médiatique des activités de la Commission, en collaboration avec les Etats membres, afin de renforcer le soutien et la compréhension du public quant au travail réalisé par l’UE et de lutter contre les préjugés qui ternissent l’image des institutions européennes et de leurs activités ;
– à l’intention de toutes les institutions européennes, le rapport rappelle l’importance du principe de subsidiarité, en souhaitant un engagement politique à se concentrer uniquement sur les interventions indispensables au niveau européen. Il suggère en outre d’habiliter un Médiateur européen à faire office de point de contact paneuropéen pour les plaintes et suggestions en rapport avec les formalités administratives ;
– à l’intention des Etats membres, le groupe fait notamment valoir l’opportunité d’accélérer la mise en œuvre nationale de la législation européenne, voire d’expliquer pourquoi certains éléments des mesures de mise en œuvre au plan national vont au-delà des exigences fixées par la législation européenne. Les Etats membres sont également invités à échanger les bonnes pratiques de transposition de la législation européenne en droit national.

Et maintenant : le joker de Juncker ?

Le rapport Stoiber s’inscrit donc dans une réflexion engagée depuis plus d’une décennie. Mais il trouve aussi un écho non dénué d’intérêt dans le profil de la nouvelle Commission modelé par Jean-Claude Juncker.

On sait l’importance que ce dernier accorde à la fonction de vice-président au sein du collège qu’il préside. Or, parmi les sept vice-présidents récemment désignés, émerge la figure de Frans Timmermans – primus inter pares : c’est à lui que le président a expressément confié la responsabilité de l’amélioration de la réglementation, en plus de ses compétences en matière de relations interinstitutionnelles et de celles relatives à l’Etat de droit et à la Charte des droits fondamentaux. Une telle consécration concrétise une intention exprimée par le futur président de la nouvelle Commission au cours de l’exposé de ses orientations politiques devant le Parlement européen le 15 juillet 2014 : donner au vice-président concerné le mandat d’identifier, de concert avec le Parlement et le Conseil, les excès de formalité administrative tant au niveau européen que national qui pourraient être rapidement supprimés, ceci en cohérence avec son programme-phare en faveur de l’emploi, de la croissance et de l’investissement censé donner un nouvel élan pour l’Europe.

Sous-titré « L’Europe peut mieux faire », le rapport Stoiber chiffre à 41 milliards d’euros les économies qui pourraient être réalisées chaque année sur la base de ses travaux. Il n’est cependant pas indifférent de noter que quatre membres du groupe se sont démarqués du rapport, estimant qu’il servait un « objectif clair de déréglementation », pas nécessairement pertinent. Le débat reste donc ouvert, sachant qu’une approche de type « Montignac » combat la surcharge pondérale mais ne garantit pas en elle-même l’affermissement des muscles.

Gerard Vernier

 

 

 

Gérard Vernier, ancien fonctionnaire à la Commission européenne et ancien enseignant à l’Université de Paris X

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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6 Commentaires

  1. N’y a-t-il pas une grosse contradiction entre les propositions 10 et 8

    Comment concilier sans coût ni délai additionnel

    (10) accélérer autant que possible le processus législatif, sans compromettre l’engagement et la consultation des parties prenantes ou le processus démocratique.

    tout en créant

    (8) un organisme indépendant habilité à examiner les analyses d’impact de la Commission avant qu’elle n’adopte une proposition législative et à évaluer la base factuelle, les coûts et les bénéfices qui étayent les amendements législatifs du Parlement européen et du Conseil avant l’adoption de l’acte législatif;

  2. Il est vital de répondre aux critiques adressées à l’Europe de toutes parts : chasse aux règlementations inutiles, subsidiarité certes, mais sans limiter le rapprochement des législations dans tous les états et la création de structures communes.

  3. j’espère que l’Europe ne défend pas le TAFTA qui grâce à ses tribunaux spéciaux détruira petit à petit tous les services publics des pays qui gênent la concurrence, permettra l’invasion de produits dont nous ne voulons pas et supprimera plein d’emplois, ruinera les paysans comme au Mexique.
    L’Europe c’était une belle idée, mais pas celle des lobbies!

    • Si cela peut répondre à votre souci, vous pouvez consulter des extraits de l’intervention de Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen à l’occasion de l’investiture de la nouvelle Commission – en particulier le point « différends entre investisseurs et Etats ». Ces extraits sont accessibles sur le site de la Commission sous la référence électronique suivante:
      SPEECH-14-705_FR-1.pdf

      GV

  4. Le rappel de l’aphorisme de Montesquieu est très judicieux.
    Mais il n’y a pas de loi sans groupe, sans peuple auquel l’appliquer. Où est le « peuple européen » ? Ne faudrait-il pas commence par forger l’identité européenne, le sentiment d’appartenir au même peuple ? les lois inutiles tomberont d’elles-mêmes.

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