Henri Malosse : En revenir à la méthode communautaire… d’urgence !

Les enseignements de la faillite de l’Union européenne face au COVID19

Alors que la « sortie de crise sanitaire » se profile tant bien que mal pour aux alentours de la mi-mai, sans réelle coordination entre nos pays, l’Union européenne semble n’avoir jamais été aussi fragmentée et divisée. L’espace Schengen n’existe plus et l’avenir de la monnaie unique est en question.

Nous en sommes arrivés là à cause du manque de courage et de vision des dirigeants européens (de Bruxelles et dans les capitales) qui n’ont rien su anticiper et n’ont pas cherché à agir de concert.

Il y a grosso-modo trois Europes aujourd’hui dans l’Union européenne, sans compter le Royaume-Uni qui, seul, semble également bien désorienté :

A l’Est, autour de la Pologne et de la Hongrie, se dessine une Europe souverainiste et conservatrice qui vit de plus en plus sa propre vie. Cette Europe est allergique globalement à tout ce qui vient de Bruxelles, en dehors des fonds européens. Déterminés à conduire leurs affaires comme ils l’entendent, même en dehors des principes généraux du droit des démocraties occidentales, climatosceptiques et hostiles aux grandes initiatives sur l’écologie, rétrogrades en matière de droits des femmes et sur les questions de société en général, leurs gouvernements sont par contre séduits par les sirènes, qui de Moscou, qui de Washington, qui de Pékin et parfois des trois. Nous payons aujourd’hui certainement un élargissement bâclé pendant lequel nous avons gâché la chance d’une réunification politique de l’Europe en mettant en avant uniquement les aspects économiques et financiers.

Au nord et autour de l’Allemagne, se dessine une Europe qui a été généralement moins touchée par l’épidémie parce que bien organisée et qui devrait sortir plus vite de la crise économique en raison des réserves budgétaires accumulées grâce à une gestion financière stricte. L’exaspération vis-à-vis des états du Sud mal gérés et dépensiers ne cesse de croître parmi leurs opinions publiques, en particulier aux Pays-Bas où l’idée d’un « Nedxit » n’est plus tabou. C’est aussi cette Europe qui devrait être la plus sensible à l’urgence écologique, même si, là aussi, des voix climatosceptiques se font de plus en plus entendre.

Et enfin, il y a l’Europe du Sud, avec notamment l’Italie, l’Espagne et la France, parmi les pays au monde où le Coronavirus a fait le plus de victimes, et qui vont sortir très affaiblis de la crise en raison aussi de leur situation budgétaire précaire. De manière surprenante le Portugal et la Grèce, qui ont été parmi les premiers pays à s’être protégés, ont été davantage épargnés.

La vraie grande surprise dans ce tableau est de voir la France se situer clairement du côté des pays du Sud au niveau des conséquences de la crise et réclamant, comme eux plus de solidarité européenne.

Jamais le fameux « moteur franco-allemand » n’a paru aussi absent, jusqu’à ce demander si la métaphore a encore un sens aujourd’hui tant nos deux pays ont pris des voies différentes et même opposées. L’Allemagne a été ainsi le premier pays de l’espace Schengen à fermer quasiment hermétiquement ses frontières, y compris avec la France, tout un symbole.

La France qui était aux côtés de l’Allemagne, l’un des deux pivots de l’Union, rééquilibrant le poids de l’Europe germanique vers le monde latin, n’est plus en mesure d’assumer ce rôle aujourd’hui ;

Les institutions européennes, pour leur part, se sont montrées peu réactives, fragilisées par leur complexité et les limites à leurs compétences imposées par des traités qui ne leur confient aucune responsabilité en matière de santé, en dehors d’une vague coordination entre les Etats membres qui a démontré son inefficacité. Elles ne sont réveillées que devant la question des frontières de l’espace Schengen et le risque de krach boursier. Sur la première, la Commission européenne n’a pu que constater les fermetures et restrictions pour lancer des appels à la libre circulation qui n’ont eu que très peu d’écho. Par contre, devant la crise économique et financière annoncée, Bruxelles et surtout Francfort, siège de la Banque Centrale européenne, ont fini par bouger sous la pression de gouvernements aux abois, en particulier l’Italie. Mais aucune des mesures annoncées, certes bienvenues, n’ont été jusqu’à présent à la hauteur des enjeux. Les centaines de milliards d’euros donnent certes le tournis mais ne sont que des lignes de crédit qu’il faudra rembourser un jour et sont assorties de conditions d’emploi qui font douter de leur réalité. Pour ce qui est des aides directes, bien plus modestes, l’expérience des fonds européens fait craindre des délais très longs et des entraves bureaucratiques colossales avant qu’elles n’arrivent aux destinataires.

Les seules réactions consistantes face au COVID19 ont eu lieu au niveau des Etats. Dans l’urgence, ce sont les Etats qui prennent leurs responsabilités.

L’idée même d’une Communauté solidaire a sombré devant la réalité de l’épidémie, comme, hélas, elle avait été bien malmenée lors de la crise grecque ou celle des migrants.

Jusqu’aux années 1980 force de progrès dans ses dialogues avec le reste du monde, notamment l’Afrique, l’Europe s’est recroquevillée aussi sur ce plan-là et est devenue l’idéologue du libre-échange mondial. Ce ne sont plus les politiques qui la gouvernent, mais des technocrates pour qui la globalisation n’a que du bon.

On peut dire : « on va se réinventer ». Mais comment et avec qui ? Le risque de dislocation est bien réel, y compris dans la zone Euro entre les partisans de la rigueur et les pays qui seront en grosse difficulté.

Passée la crise sanitaire, l’Union européenne va s’engluer dans une crise existentielle dont la question budgétaire en pourrait être la catharsis. On voit mal comment on pourra s’accorder entre partisans de la rigueur et le camp de ceux qui voudraient plus de dépenses sans de nouvelles recettes (et qui par ailleurs ne sont pas d’accord entre eux sur l’affectation de ces dépenses : aides structurelles, plan vert, agriculture, santé, défense.. ?)

Entre les fédéralistes qui rêvent de la disparition des Etats, les régionalistes qui préconisent une « Europe des Régions » et les souverainistes qui ne voient pas de salut en dehors des nations, la voie est étroite pour trouver une sortie, d’autant qu’aucune de ces pistes ne semble réaliste même si la dernière est celle qui, hélas, est de loin la plus populaire. Le retour à la simple coopération entre les gouvernements serait un retour à la case départ de l’Europe, c’est-à-dire aux années précédant les guerres mondiales. Le « statu quo » est, de toutes ces propositions, aussi très inquiétant car il conduirait tout droit à la dislocation.

Peut-on alors imaginer de reconstruire une Europe des résiliences à partir des gens et des territoires : échanger les bonnes pratiques, partager les moyens de recherche, de prospective, de prévention et de lutte contre les fléaux, organiser le dialogue à partir des problèmes réels de la vie ?

Les seuls signaux positifs émis pendant cette crise viennent de la coopération transfrontalière entre acteurs de terrains (Régions, Municipalités, Hôpitaux) ce qui semble monter que « l’Europe d’en bas fonctionne mieux que l’Europe d’en haut ». C’est aussi vrai en matière de protection de l’environnement.

Plutôt que de réinventer un projet européen, ne pourrait-on tout simplement le retrouver, en partant de la juste analyse des pères fondateurs sur la nécessité de définir des biens communs européens et de mettre en place un dispositif astucieux et pratique pour les gérer au mieux .
Simplement aujourd’hui, ces biens/intérêts communs ne s’appelleraient plus Charbon, Acier, Energie et Marché, mais Santé, Climat, Biodiversité. Les acteurs ne seraient plus exclusivement les Etats et les forces économiques et sociales, mais aussi la société civile, les territoires et les citoyens. Ces nouveaux acteurs seront appelés à s’organiser entre eux pour établir des chaînes de solidarités et des Communautés dépassant le cadre strict des frontières nationales, de manière flexible et pragmatique.

Nous n’avons rien à réinventer. La méthode communautaire a fait ses preuves. Mais les héritiers de Monnet, Schuman et Adenauer l’ont délaissé. Ils ont replacé l’intergouvernemental au centre du jeu. Ils ont remplacé une Communauté de pays et de peuples par une Union. Il est temps de revenir aux fondations…

[author title= »Henri Malosse » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2017/04/H_Malosse.jpg »]Henri Malosse est ancien président du Comité économique et social européen [/author]

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10 Commentaires

  1. Bref.
    Une confédération européenne d’états nations avec de fortes coopérations (volontaires), serait plus souple et respectueuse des identités/ choix des peuples.
    Pour l’euro : peut être des euros locaux et un euro international de la somme de ceux-ci (bancaire).

  2. CQFD : « Les élargissements successifs des Communautés et l’arrivée concomitante de nouveaux « pôles forts » ne peuvent (…) être considérés comme sans incidence sur les possibilités d’action du « couple » franco-allemand à d’autres échelons, à savoir ceux des Conseils des Ministres ou des négociations lors des conseils européens (…). En ces lieux, comme au Parlement européen, il nous semble que nous devrions probablement garder à l’esprit cette donnée fondamentale, à savoir que le « couple » ira nécessairement en s’affaiblissant à l’avenir (…). L’analyse du « couple » franco-allemand au Parlement européen nous a démontré, de par une dangereuse évolution depuis dix ans (1985) dans le sens de son affaiblissement, que la coopération franco-allemande n’est pas un acquis définitif. Sur le plan bilatéral, d »Etat à Etat, de parti à parti et d’assemblée à assemblée, elle ne paraît pas davantage acquise. »
    Source : Thèse de doctorat d’Etat de sciences politiques de Gilbert Germain, soutenue en 1995 à Sces Po Paris, sous la direction du regretté René Rémond. C’était il y a 25 ans…

  3. D’accord avec Henri Malosse, mais il faut avant tout sauver la zone Euro, et il va falloir sanctionner les pays qui reçoivent des fonds européens en incitant à la haine des valeurs de progrès européennes, il convient même de redéfinir l’union européenne et les critères d’appartenance si nous voulons que l’Europe existe encore en tant qu’entité dans peu d’années.

    • Exact.
      Une defense européenne indépendante est nécessaire (quelle que soit la structure d’une ‘Europe intégrée), avec un partenariat géostratégique égal entre un OTAN réduit et la Federation de Russie.

  4. « … les fédéralistes qui rêvent de la disparition des Etats.. »

    ???

    Tiens donc ?

    Je suis français, bien français, et je n’ai pas envie du tout de ne pas/plus être français. L’Etat français existe et je ne veux pas le voir disparaitre. Ce que je souhaite c’est que les compétences que les états ne sont plus susceptibles de gérer seuls ( ou alors avec plus inconvénients que d’avantages) soient transférés à un niveau supérieur qui aurait la main dessus. Je voudrais que les affaires européennes soient gérées par un organe politique européen (issu d’élections ), et non pas par un système de consensus long et mou de négociations/magouillages entre états.

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