Guillaume Duval est rédacteur en chef du magazine Alternatives économiques. Ingénieur de formation, il a travaillé plusieurs années dans l’industrie. Il a notamment écrit Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes (Seuil, 2013) et plus récemment Marre de cette Europe-là ? Moi aussi… (Textuel, 2015), ouvrage dans lequel il critique le fonctionnement actuel de l’Union Européenne, montre à quel point une sortie de l’Euro serait catastrophique pour la France et quelle Europe il faudrait construire. Il a accepté de répondre aux questions de Sauvons l’Europe sur l’Europe sociale et la lutte contre la pauvreté dans l’Union Européenne.
Sur le plan historique, la lutte contre la pauvreté est-elle une préoccupation de l’Union Européenne ?
Une préoccupation des Etats de l’Union Européenne oui, de l’UE en tant que telle beaucoup moins. Durant le XXème siècle, les nations européennes ont mis en place, chacune de leur côté, des systèmes sociaux plus ou moins protecteurs. L’Etat providence était donc comme son nom l’indique une préoccupation avant tout nationale. En revanche, l’Union Européenne s’est plutôt construite autour du marché. Dès 1957, le traité de Rome installe le marché commun. En 1986, l’Acte unique permit la mise en place du marché unique en 1993.
Mais cette logique de l’Europe marché a ouvert la voie au dumping social et fiscal à l’intérieur même de l’Union Européenne en installant la concurrence de tous contre tous. Pour attirer les capitaux et abaisser le coût du travail, les Etats de l’UE sont incités à baisser leurs prélèvements obligatoires. Cela est de nature à provoquer le délitement des systèmes sociaux.
Comment les pays européens ont-ils traversé la crise sur le plan social ? L’ont-ils mieux ou moins bien traversé que les Etats-Unis d’Amérique ?
Aux Etats-Unis d’Amérique, la crise a permis un accroissement de la protection sociale, notamment à travers la mise en place d’un embryon d’assurance maladie obligatoire généralisée sous l’impulsion de Barack Obama. Aujourd’hui, le chômage y est revenu au niveau d’avant la crise, même s’il convient de souligner que ce chiffre s’explique en partie par le fait qu’un certain nombre d’Américains ont dorénavant renoncé à chercher un emploi.
A l’inverse, en Europe, on a plutôt tenté de faire repartir la machine économique en mettant en place des politiques d’austérité qui ont dégradé la protection sociale. Cela a été particulièrement vrai dans les pays dits du « club med », la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
L’exemple de la Grande-Bretagne mérite également de s’y arrêter. N’étant pas membre de la zone euro, le pays applique sa propre politique monétaire beaucoup plus laxiste encore que celle de la BCE. La croissance y est revenue, non pas en améliorant la compétitivité industrielle du pays, mais en développant de nouveau la bulle immobilière. L’endettement des ménages est ainsi très élevé. L’apparente reprise britannique est donc fragile.
Et qu’en est-il du fameux modèle allemand ?
Au début des années 2000, le chancelier allemand Gerhard Schroeder a réformé le marché du travail en accroissant la dualité de celui-ci. En France, 95% des salariés sont protégés par une convention collective contre un peu plus de 50% seulement en Allemagne. Or, contrairement à une idée reçue, le droit du travail allemand est peu protecteur pour les salariés qui ne bénéficient pas de convention collective.
Les réformes Schroeder ont essentiellement consisté à créer des emplois peu rémunérés dans les secteurs d’activité dont les salariés ne bénéficiaient pas de convention collective. Il s’agit en particulier des fameux « mini-jobs » à 450 euros par mois. Grâce à cela , si avant la mise en place des réformes Schroeder, il y avait moins d’inégalité en Allemagne qu’en France, il y en a désormais plus.
La coalition SPD/CDU/CSU issue des dernières élections législatives tente de corriger cette dérive en adoptant des éléments essentiels du « modèle français » comme le SMIC et l’extension des conventions collectives à l’ensemble des salariés. Des réformes qui devraient diminuer la pauvreté dans ce pays.
Ne faut-il pas promouvoir ce que l’on appelle « l’Europe sociale » ?
De nombreuses voix s’élèvent en effet pour réclamer « l’Europe sociale ». En théorie, faire « l’Europe sociale » en mutualisant des systèmes sociaux tels que les retraites, l’assurance chômage ou l’assurance santé est une belle idée. Il est toutefois peu probable que les opinions publiques y consentent. Difficile en effet à l’heure actuelle de faire accepter aux travailleurs français le prélèvement d’une partie de leurs salaires pour payer les retraites roumaines, ce qui serait en pratique le cas, en raison des différences de richesses entre les deux pays, si un tel système était mis en place. Davantage que « l’Europe sociale », il faudrait surtout œuvrer pour que le fonctionnement économique de l’Europe cesse d’être antisocial.
Il faut lutter contre les facteurs qui incitent les Etats à abaisser leurs niveaux de protection sociale en affaiblissant leurs rentrées fiscales. La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales est ici la question centrale.
Le secret bancaire va disparaître à l’intérieur de l’Europe. Suite au scandale lié à ce que l’on a appelé le « LuxLeaks », il faut aller plus loin et mettre fin à l’optimisation fiscale par les transferts de bénéfices. Pour cela, il faudrait taxer les bénéfices des entreprises européennes sur ce que l’on appelle une base commune harmonisée. Les bénéfices des entreprises européennes devraient être calculés pour l’ensemble du territoire de l’Union puis répartis entre les Etats selon des critères objectifs liés au nombre de salariés dans chaque Etat, l’investissement ou encore la valeur ajoutée produite. C’est d’ailleurs sous ce régime que sont imposées les sociétés aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada.
Propos recueillis par Mehdi Mahammedi-Bouzina
Que peut-on encore sauver de cette Europe-là? Le constat est terrible mais réaliste.
Guillaume Duval ne rêve même pas d’une Europe sociale, impossible…
Une Europe des marchés, ouverts à la concurrence totale, imposée, sans aucunes règles réussissant de force un maximum de pays de niveaux économiques et sociaux aussi différents, comment pourrait-elle survivre longtemps? Le nivèlement par le haut était un rêve et on le constate tous les jours…
Comment imaginer que supprimer les règles énomiques qui auraient pu protéger ces pays contre la concurrence sauvage, européenne mais aussi avec les pays tiers (qui eux, protégent leurs marchés par des règles, des taxes), pouvait nous rendre plus forts? Certains y ont cru!…
Dans tout débat le peuple est absent si bien que l’abstention est là et que les dirigeants et les médias véhiculent de fausses infos – Les usines VILLEROY et BOCH ont remplacés leurs ouvriers allemands par des lowcost payés 800 euros –
La CGPME -Rhône réclame la retraite à 67 ans et promet d’y parvenir par les accords ARGIRC/ARGOC !
On brade la FRANCE aux investisseurs étrangers : DENTRESSANGLE ! les investisseurs français gardent leur fond où ? l’ETAT vend ou brade ses acquis : après les autoroutes voilà les aéroports !
Comment voulez-vous redresser la France et que les Français (excellents travailleurs) restent opitimistes !
Les politiques n’arrêtent pas de se servir voir la Mise en place de la Métropole de LYON : on veut enlever du mille-feuilles mais on augmente les indemnités allouées de 20% ! BRAVO et HONTE ! ce n’est pas NOUS répondent-ils !!!!!
D’accord avec Guillaume, mais comment faire ? Je le répète, « Sauvons l’Europe » doit prendre des initiatives avec les associations citoyennes semblables à elle dans l’UE pour lancer un débat sur son renouveau démocratique. La situation l’exige parce qu’elle est inquiétante et que sa gouvernance actuelle tourne à vide. Cette relance du projet européen ne se fera pas avec les acteurs actuels. Elle nécessite l’apparition de l’acteur associatif pour ouvrir le débat. Ca urge !
Philippe Brachet: Le renouveau démocratique…
Si l’UE avait été créée sur une base démocratique, elle ne ressemblerait pas du tout à cette machinerie qui imite à s’y méprendre une dictature…
Mais pourquoi donc cela n’a pas été le cas? Vous vous êtes posé la question? Alors que tout était possible, il aurait peut-être été simple de partir sur des bases saines, démocratiques, de respect des idées, des opinions, des intérêts?
Mais comment regrouper des pays aussi dissemblables, avec des intérêts aussi différents autrement que par la contrainte. Et pourquoi accepter ces contraintes et comment les faire accepter?
Grâce aux mensonges…!
L’UE a été vendue aux peuples en sollicitant la part de rêve qui est en nous: ce sera la Paix, la Fraternité, la Solidarité, le progrès social, économique: enfin tout ce qui pouvait faire rêver… Et des peuples y ont cru, y croient encore. Et des États ont joué le jeu, sans jamais avoir lu et compris ce qu’ils avaient signé…
Maintenant que tout est en place, que ceux qui ont créé ce « Machin » sont totalement satisfaits de son fonctionnement et de ce qu’ils peuvent en retirer de bénéfices, vous voulez nous faire croire qu’il est encore temps de le rendre démocratique? Vous rêvez encore…
L’UE ne peut pas être démocratique, ne doit surtout pas l’être…
La moindre dose de démocratie ferait tout exploser du jour au lendemain.
L’apparence de démocratie nous donne l’illusion encore un moment que ce n’est pas une dicature…
Mais quel est le pouvoir réel de ce parlement de 751 élus par les 28? Aucun. Les décisions ne s’imposent pas et le parlement n’a même pas l’initiative de ses réflexions…
Continuons à rêver que cette UE a été créée dans l’intérêt des 28 en travaillant pour qu’elle devienne démocratique…
Et si, simplement, nous annulions ces traités pour repartir que de vraies bases démocratiques?
C’est bien la seule chose que nous pouvons faire puisque nous ne pouvons pas changer une ligne des traités sans l’unanimité des 28?
Ce serait passionnant d’essayer? Et de se rendre compte que, si l’on respecte les bases de la démocratie, ce ne serait pas possible….
Il faut choisir: une UE dictatoriale ou pas d’UE du tout?
De simples accords multi-latéraux seraient bien plus acceptables.
Moi, j’ai choisi…
D’ ici la fin 2017, le tiers payant sera généralisé à tous les Français!Actuellement seuls ceux qui avaient des minimas sociaux, ou en longue maladie en bénéficiaient!
Sachant que de nombreux patient faisaient des chèques en bois à leur médecin, voire ne payaient jamais…autant instaurer le tiers payant pour tous.. (c’est d’ ailleurs pas les plus pauvres qui arrivent sans argent chez le généraliste…)!..
je suis de plus en plus inquiète de ce futur traité transatlantique « Taffeta » ou autre appellation , qui ns pend au nez et dont aucun politique ou média ne parlent mais qui est tjrs d’actualité dans l’ombre ,,,
quand il sera signé , en douce , on aura plus qu’à se ronger les ongles d’être malmenés plus que jamais par les multinationales qui n’ont que faire de l’Europe sociale ,,,,
comment lancer le débat publique ?
comment demander un référendum tant les enjeux sont graves ? comment réveiller l’ensemble des citoyens à descendre ds les rues jusqu’à ce qu’il soit annulé ?
Payan Catherine, pourquoi vous inquiéter? Le TAFTA est négocié dans la plus totale transparence (…) par la Commission européenne. Paraît-il que nos gouvernants sont tenus au courant. Ils auront à se prononcer au moment opportun et même, les parlements des divers pays européens auront leur mot à dire…?
C’est ce que m’a affirmé un représentant de la délégation de la Commission européenne pas plus tard que samedi dernier: Cyril Champigneul. Moi, on me le dit, j’y crois; alors, ne vous inquiétez pas.
L’UE nous protège; elle ne cherche que notre bien et ce traité sera bon pour nous Européens, donc pour nous aussi Français!
(Désolé pour ce « grain de sel » un peu tardif… mais j’ai été momentanément éloigné de mon ordinateur)
On peut souscrire sans réserve aux observations de Guillaume Duval concernant les dérives du dumping social et la véritable nature de l’apparente reprise britannique.
Cela étant, le diagnostic d’ensemble ainsi émis sur les difficultés de l’Europe sociale appelle à être complété par au moins deux autres ordres de considérations. Ainsi:
– sur le plan historique, on doit remonter non seulement au traité de Rome instituant la CEE en 1957, mais aussi au précédent constitué par la CECA issue du traité de Paris de 1951.
Il ne faut pas en effet méconnaître que si, économiquement, la CECA visait, entre autres, à rendre l’approvisionnement des « Six » de l’époque en charbon et en acier moins dépendant d’importations en provenance des Etats-Unis, une certaine politique sociale a vu le jour en direction des mineurs et des sidérurgistes. On en trouve une illustration éloquente dans les aides à la construction accordées au niveau communautaire en faveur de ces catégories de travailleurs.
De même, lorsque les secteurs concernés ont commencé à connaître une situation de crise – et parallèlement a
(suite… après incident technique: comme ce n’est pas la première fois, je vais finir par croire que la CIA et la NSA se liguent pour étouffer ma petite voix au chapitre)… donc:
– et parallèlement aux aides à la reconversion accordées aux entreprises, des aides communautaires à la réadaptation des travailleurs ont contribué à atténuer les conséquences sociales de la crise.
En outre, si M.Duval souligne à juste titre que l’Acte unique de 1986 a permis la mise en place du marché unique de 1993, on ne peut non plus omettre que que c’est le même « traité », signé après les élargissements à la Grèce, à l’Espagne et au Portugal – trois nouveaux Etats membres « sensibles » quant à leur situation économique et sociale – qui a pourvu la Communauté d’une amorce de compétence en matière sociale.
– sur le plan juridique, précisément, on constatera que seules de timides avancées sociales ont pu voir le jour à l’échelle de l’UE. Au fil des traités, les négociateurs des Etats membres ont en effet toujours
veillé à conserver la prééminence de ces derniers en la matière et n’ont doté l’UE que de compétences limitées à cet égard. Celles-ci se sont longtemps cantonnées à lier un embryon de politique sociale au bon fonctionnement du « marché commun » , illustré, par exemple, par la promotion de la libre circulation des travailleurs.
Aujourd’hui encore, le traité de Lisbonne (articles 151 à 161 du TFUE) a confirmé l’existence d’une compétence partagée entre l’Union et les Etats membres. En fait, ce partage s’avère d’autant plus déséquilibré que le principe de subsidiarité pourrait également trouver matière à s’appliquer, ce qui sous-entend une marge appréciable de pouvoirs au niveau national. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que l’UE se cantonne essentiellement à un rôle de coordination dans le domaine social.