Dans son Discours sur l’Europe prononcé le 25 avril dernier à la Sorbonne, Emmanuel Macron a appelé à un « choc d’investissements commun » en doublant « la capacité d’action financière » de l’Europe. Il a repris à son compte les chiffres avancés par la Commission européenne d’un besoin en investissements situé entre 650 et 1000 milliards d’euros d’investissements publics et privés par an au cours de la prochaine décennie pour réaliser les engagements de l’Union européenne afin d’accompagner les transitions verte et numérique.
Si le Président de la République a ciblé les domaines à ses yeux prioritaires pour ces investissements, à savoir « la défense et la sécurité, l’intelligence artificielle, la décarbonation de nos économies et les Clean tech« , il n’a pas mentionné les deux plus grands instruments d’investissements dont l’Union européenne dispose actuellement : le Plan de Relance européen, qui s’appuie essentiellement sur la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR), et la politique de cohésion.
Tandis que la politique de cohésion représente un budget de 392 milliards d’euros de 2021 à 2027, la FRR, mise en place en février 2021 en réaction aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid19, constitue — avec 385 milliards d’euros de prêts et 338 milliards d’euros de subventions pour un montant combiné de 723 milliards d’euros — le programme d’investissement européen le plus important de tous les temps. En France, le plan de relance national de 100 milliards d’euros repose sur 40 milliards en provenance de la FRR, mais force est de constater que « France Relance » communique assez peu sur l’origine européenne de ses crédits.
Le silence du Président Macron sur le Plan de relance européen
Aussi légitime que ce soit l’objectif d’un « choc d’investissement européen », pourquoi Emmanuel Macron n’a-t-il donc pas fait référence au Plan de relance européen alors que les investissements dans ce cadre sont encore possibles jusqu’au 31 décembre 2026 ?
Une première explication tient peut-être au fait qu’il ressort de l’évaluation à mi-parcours de la FRR que la Commission a présentée le 21 février dernier que la part de l’enveloppe totale décaissée au printemps 2024 se situe à seulement 27 %.
Une autre explication, pour ne pas mettre en avant le rôle du Plan de relance européen, est probablement liée à la difficulté d’évaluer l’impact du Plan. En effet, la Commission indique sur base d’une modélisation que les investissements réalisés au titre du Plan de relance peuvent « potentiellement induire une augmentation du PIB réel de l’UE pouvant atteindre 1,4 % en 2026 par rapport à un scénario sans (plan de relance) ». Or ce chiffre apparaît cependant très nettement en deçà des estimations faites en 2020 par la Commission, qui anticipaient un PIB de l’Union de 2,3% plus élevé en 2024 grâce aux investissements du Plan de relance. Par ailleurs, la modélisation de la Commission prend pour hypothèse de départ une additionnalité de 100 % pour les investissements publics financés sur base du Plan de relance, c’est-à-dire que l’intégralité de ces investissements publics n’aurait pas eu lieu en son absence.
Trois raisons factuelles de valoriser ce Plan de relance
Malgré ces résultats mitigés, c’est une erreur de ne pas mettre plus en valeur le Plan de relance européen pour au moins trois raisons.
La première raison tient au fait qu’indépendamment de l’impact macroéconomique sur le moyen terme, le Plan de relance a grandement contribué à un moment très critique de rétablir un climat de confiance dans l’économie européenne.
Par ailleurs, politiquement, une plus grande clarté dans la communication et la valorisation du Plan aurait un effet non négligeable pour contrer les discours extrémistes favorables à la déconstruction de l’Europe.
Enfin, le Plan de relance européen a été en effet un « moment hamiltonien » d’approfondissement de l’intégration européenne car il a fallu surmonter des réticences importantes de la part des Etats membres « frugaux » pour cette grande première : l’endettement commun pour financer un grand plan d’investissement. Or, dans son second discours de la Sorbonne, le Président de la République n’évoque pas la perspective d’un nouvel emprunt européen à effet budgétaire immédiat au profit d’un « un tas de ressources propres supplémentaires (qui ne devront) jamais peser sur les citoyens européens« : taxe carbone aux frontières, recettes du système européen d’échange de quotas carbone, taxe sur les transactions financières, imposition des bénéfices des multinationales et les ressources issues d’ETIAS, la taxe payée par les ressortissants extracommunautaires lorsqu’ils entrent sur le sol de l’Union. Mais le problème demeure que le volume potentiel de ces ressources, déjà mises en place pour partie, est très éloigné de celui que permettrait de lever un nouvel emprunt européen.
En tout état de cause, il apparaît à ce stade urgent de sauver le Plan de relance européen et ce sans attendre que la nouvelle mandature des institutions européennes soit en place.
Ce sauvetage pourrait prendre appui sur les quatre propositions suivantes
Tout d’abord, étant donné qu’il apparaît peu probable que l’intégralité des fonds du Plan de relance puisse être décaissée avant son expiration fin 2026, il faut d’ores et déjà envisager une extension de la période de décaissement jusqu’à la fin 2027 ou 2028 (ce qui requiert un amendement de la base légale).
Si un minimum de 37% des dépenses du Plan de relance doivent être liées au climat et 20% à la transition numérique, la dimension sociale, que le Président de la République n’a pas évoquée, reste le parent pauvre du Plan. Une redirection des moyens non engagés vers les secteurs sociaux également très fortement impactés par les crises sanitaire et géopolitiques doit être possible, d’autant que « les études montrent que, lorsqu’il est fléché vers les infrastructures sociales, comme les hôpitaux ou les écoles, l’argent européen contribue à réduire le vote antisystème », comme le souligne Andrés Rodriguez-Pose, professeur d’économie géographique à l’Ecole d’économie de Londres et président du groupe à haut-veau de la Commission européenne sur la réforme de la politique de cohésion, dans un entretien avec Le Monde.
Troisièmement, force est de constater qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre un grand plan d’investissement sans l’implication des collectivités territoriales, qui en France sont responsables de près de 60% de l’investissement public.
Comme le confirme une enquête conjointe du Comité européen des régions (CdR) et du Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE) auprès des associations de collectivités sur la mise en place de la FRR présentée le 16 avril 2024, ce constat n’est d’ailleurs pas propre à la France. En effet, la gestion très centralisée de la FRR par les États membres a abouti notamment à une charge administrative plus élevée que prévu de la FRR, au constat que l’absence de définition des réformes éligibles pose non seulement des questions de traçabilité des financements mais soulève également un problème de subsidiarité et de valeur ajoutée du Plan de relance par rapport aux traditionnels fonds structurels et d’investissement européens. Il est nécessaire de revoir l’approche en promouvant une gouvernance collaborative avec les collectivités.
En effet, si par exemple dans le Département de la Sarthe MaPrimeRénov’, la reconversion d’un site industriel de pâte à papier en usine de fabrication de gants de protection à Bessé-sur-Bré, ou encore la rénovation de la cathédrale du Mans ont été des traductions concrètes de la FRR, l’absence d’implication des collectivités dans la conception du plan national de relance et de résilience n’a pas permis la prise en compte de l’urgence absolue en matière de construction et de rénovation de logements pour un grand nombre de villes sarthoises.
Dernière recommandation pour sauver le Plan de relance : éviter les chevauchements avec la politique de cohésion. Dans la phase post-Covis, la FRR a en effet bénéficié d’une priorité en termes de mise en œuvre par rapport à la politique de cohésion. Des effets de substitution au détriment de la politique de cohésion ont ainsi été observés dans plusieurs pays. Cela s’explique par le fait que ce fonds de relance s’est souvent traduit par un refinancement des dépenses de l’Etat et une répartition vers les Régions qui ont la plus grande capacité d’ingénierie pour la mise en œuvre. Mais il faut éviter de déshabiller Pierre (la politique de cohésion) pour habiller Paul (le plan de relance). Le Plan de relance européen a vocation à répondre à une situation d’urgence tandis que la politique de cohésion est une politique d’investissement à long terme qui permet notamment de remédier les déficiences du marché intérieur et de permettre la participation de l’ensemble des territoires européens à une croissance durable au sein de l’Union européenne.
En somme, pour préparer le « choc d’investissements commun » que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux, l’enjeu immédiat est de sauver le Plan de relance européen et de confirmer la politique de cohésion. Il reste quelques jours pour que la campagne des élections européennes se saisisse de ce thème car il est impératif de passer aux actes concrets le lundi 10 juin 2024.
Nous sommes d’accord sur l’analyse de situation. On remarque cependant la difficulté que rencontre l’UE pour assoir une politique cohérente à sn niveau. Il serait pourtant urgent ide le faire.
Bonjour LEYGONIE.
Vous avez raison, il serait urgent de réorganiser la gouvernance européenne pour une plus grande efficacité (nation européenne), homogénéité, pour éviter l’individualisme des Etats qui ne cesse de croître.
Comme je l’ai déjà écrit, on a mis la charrue avant les bœufs, les problèmes que nous rencontrons en sont la conséquence et sont de fait inévitables.
Dans ce plan de relance, l’auteur de l’article n’évoque pas le manque de préparation dans notre engagement dans le conflit Ukrainien, son cout ne va t’il pas l’ impacter, l’argent facile se paie à un moment donné, la FRANCE en est le parfait exemple.
Voir mon.precedent message
« Yaka-faukon », cela ne coûte rien et n’engage à rien ! Les élus le sont par le peuple et normalement pour porter sa voix, répondre à ses besoins, ses attentes réelles. Pourquoi la moitié des peuples UE ne vote pas aux élections UE ? A aucun moment les élus ne représentent une majorité sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour légitimer leurs choix partisans! La question, et y répondre, semble prioritaire. On ne peut prétendre réformer démocratiquement l’UE si une moitié s’en moque ou s’y oppose.
Les élites qui gouvernent cette UE se moquent complétement des attentes réelles de leurs peuples qui sont : la précarité de l’emploi, la stagnation des salaires, la gestion humaine du vieillissement, la réduction des libertés, l’augmentation des contrôles des masses, la désécurisation, la privatisation des services publics, la santé, l’éducation, le logement, les transports, l’écologie…et on voit que face à ces problèmes, qu’à chaque fois qu’il y a une crise, c’est la débandade, les réactions autoritaires en urgence, que chaque nation fait à sa guise.
On ne peut prétendre réformer l’UE sans changement constitutionnel, structurel, pour plus de transparence, de démocratie. Continuer avec les mêmes est une aberration. Il faut en finir avec la majorité absolue qui freine toute avance, passer à une majorité 51%, en finir avec la toute puissance de la commission UE non élue démocratiquement, consulter davantage le peuple sur les orientations majeures concernant leur destin, un véritable contrat social et écologique…
Concernant l’UE de la défense, cette tarte à la crème manipulée par chacun pour ses intérêts propres ou sales, qui revient périodiquement sur le tapis depuis la création de l’UE, qui revient à chaque crise, et qui est occultée de nouveau le danger écarté parce qu’on sait qu’elle risque de remuer des sujets sensibles que l’on a pas voulu régler à la fin de la dernière guerre et qui remontent peu à peu comme un retour du refoulé, la renazification, le leadership de l’UE aux mains pour l’instant du pays le plus peuplé, l’Allemagne… Plus on approche de la frontière russe et plus les pays proches font plus confiance à l’OTAN-US qu’au parapluie français surtout quand il est proposé par un Macron aussi fiable qu’une anguille qui rêve de devenir le leadership UE en attendant de retrouver son poste en 2032 ! Une grande partie des problèmes mondiaux sont la conséquence de l’irresponsabilité des envahisseurs occidentaux qui se sont partagés le monde en établissant des frontières de papier selon leurs intérêts économiques ne correspondant en rien aux intérêts, à l’histoire des peuples colonisés. Peuples occidentaux passant leur temps à payer la légèreté, les erreurs, l’irresponsabilité, l’inconséquence à long terme de leurs dirigeants cupides !
Ce n’est que maintenant que l’UE fait semblant de découvrir l’intérêt stratégique de l’Ukraine alors qu’elle aurait du l’intégrer à l’Otan dés 1994 ! Nous faire croire que pour Poutine c’est la même chose d’envahir l’Ukraine que d’envahir un pays de l’Otan nucléarisée, de l’UE, est une belle hypocrisie ! De toute façon, au delà de tous les habituels et circonstanciels coassements électoraux d’élites cacophoniques prêtes à s’entretuer, à toutes les promesses, qui pour accéder au fauteuil rembourré qui pour le garder, nous savons le résultat des élections UE et leurs conséquences et pour l’UE et pour la France, qui seront les éternels cocus de l’histoire, qui paiera les pots cassés du show, les sacrifiés de l’austérité !
Comme souvent, votre commentaire s’avère pertinent par bien des aspects. Mais, une fois de plus, malheureusement , il pèche sur un point fondamental.
Ce point concerne la ritournelle plutôt facile qui consiste à attribuer la toute-puissance à une Commission non élue, appréciation qui occulte la réalité du fonctionnement de l’UE – à savoir que ce sont les Etats membres qui détiennent cette puissance, à l’image des « impulsions » politiques déterminantes forgées au sein du Conseil européen réunissant les chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE, certes en présence du président de la Commission. Mais des Etats membres dont les plus hauts responsables ne sont pas nécessairement « élus », eux non plus, directement par les citoyens, le cas de la France étant à cet égard assez singulier. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, je n’ai jamais été invité, à un autre niveau, à élire un ministre. Or, ne nous méprenons pas: c’est le Conseil de l’UE, qui réunit ces ministres « nommés » (comme les membres de la Commission, avec toutefois l’aval du Parlement européen pour ces derniers) , qui, jusqu’à preuve du contraire, tient fermement la barre de la nef européenne. Un suivi attentif de la vie concrète de l’Union en témoigne à volonté.
Bonjour ZORRO.
Encore une fois, vous résumez parfaitement ce que pensent beaucoup d’entre nous.
Monsieur VERNIER que je salue, nous dit que c’est le conseil de l’UE qui tient la barre de la nef (désuni pour moi) européenne, est ce vraiment cela ?
Le citoyen lambda comme moi a la nette impression que la commission européenne et sa présidente gouverne dans les faits, manipulation, cupidité et compromis stupides et déroutants (dossier Orban) sont les marques de cette gouvernance.
Tout en effet n’est pas à jeter, j’en conviens mais ils nous ont engagé dans le conflit UKRAINIEN s’en en avoir analyser les conséquences, s’en avoir anticiper ses répercussions (appauvrissement de l’Europe au profit des USA, morts de milliers d’individus pour peut-être rien, etc..), en ne tenant pas compte de la mondialisation et des puissants pays qui ne sont pas solidaires, c’est condamnable et pour moi passible d’un jugement devant des tribunaux.
En effet, cher Mylord, le citoyen Lambda « a l’impression » comme vous le mentionnez à juste titre.
Mais, précisément, l’ « impression » reste quelque chose de très subjectif. Encore une fois, un suivi attentif de ce qui se passe à « Bruxelles » montre qu’au fil du temps la barre est nettement passée aux mains des Etats membres, par le biais soit du Conseil européen au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement, soit du Conseil (tout court) au niveau des ministres – malheureuse paresse sémantique par l’utilisation du même terme (Conseil) … alors que le citoyen Lambda serait sans doute plus sensible à l’appellation « Sommet européen » qui est parfois encore employée dans les médias (voire dans les autobus bruxellois pour signaler des embarras prévisibles de circulation aux abords des lieux de réunion).
Si l’on reste dans le registre de l’imagerie maritime, la Commission, à mon sens, fait plutôt office de boussole… et le Parlement européen celui du matelot perché en haut du mât en scrupuleux guetteur d’une terre plus ou moins promise.
Mais tout cela mériterait sans doute un article explicatif plus détaillé, exemples concrets à l’appui, qu’un simple commentaire de réponse.
Mais tout
Mais tout cela
Rectificatif: l’ajout final « Mais tout, mais tout cela » ne correspond pas à l’introduction d’un poème. C’est une erreur de manipulation du clavier aperçue trop tard !
Merci Christophe pour ce bon plaidoyer. D’accord avec toi, parlons du plan de relance européen, de ses forces et limites, et pas seulement de ce que nous pouvons souhaiter à l’avenir. Maladie bien française, à mon avis : les décideurs politiques préfèrent souvent l’énoncé de propositions nouvelles à une solide évaluation préalable des décisions déjà prises, dont nous devrions ici être fiers.
je partage ce point de vue mais ne comprends toujours pas le vote négatif de Glucksmann alors que les socialistes européens ont voté pour au parlement européen