Faisons des droits des femmes un enjeu de mobilisation des prochaines élections européennes

Pedro Sanchez vient d’être reconduit à la tête du gouvernement espagnol, jeudi 16 novembre, grâce à un accord conclu avec le Parti de gauche radicale Sumar et avec le parti indépendantiste catalan de Carles Puigdemont. Le scénario selon lequel le socialiste Pedro Sanchez pourrait rester à la tête du gouvernement espagnol était très improbable fin mai 2023 après la victoire de la droite aux élections municipales (qui avait provoqué la dissolution de l’Assemblée Nationale par Pedro Sanchez, remettant en jeu son poste), et a été largement permis par le vote des femmes.

En effet, lors de la campagne éclair qui a suivi, Pedro Sanchez s’est adressé en particulier aux femmes en les appelant à venir voter pour défendre leurs droits et contrer l’alliance des conservateurs du Partido popular et du parti d’extrême droite Vox, qu’il a qualifiée de « coalition contre les femmes ». En cas de victoire du Partido popular (PP, droite conservatrice), l’entrée de Vox au gouvernement n’était pas exclue, alors même que ce parti d’extrême droite nie l’existence des violences masculines contre les femmes et estime que l’État ne doit plus financer la lutte contre les violences conjugales. Le vice-président de la région de Castille-et-Léon issu de ce parti a également présenté en début d’année un plan pour freiner l’accès à l’avortement dans sa région autonome du nord-ouest du pays : inspiré des États américains les plus conservateurs, ce plan prévoit d’obliger les femmes à écouter les battements du cœur du fœtus et observer une échographie en 4D avant d’avorter.

Un mandat marqué par de nombreuses mesures féministes et des polémiques

Cette adresse à l’électorat féminin était nécessaire dans un contexte où les élections municipales du mois de mai avaient été marquées par une hausse importante du vote des femmes pour le PP et un recul de celui-ci pour le PSOE. Des polémiques avaient en effet émaillé les mois qui ont précédé les élections municipales, au premier rang desquelles la loi de la coalition de gauche au pouvoir sur les violences sexuelles dite « seul un oui est un oui » en avril 2023, qui a paradoxalement mené à la libération anticipée d’une centaine de personnes condamnées, ainsi que la loi votée fin 2022 qui permet de changer de nom et de sexe sur ses papiers d’identité dès 16 ans, poussée par Podemos, qui a suscité l’ire des militantes féministes historiques.

Au-delà de ces lois qui ont divisé jusque dans la majorité du gouvernement espagnol, c’est sur le bilan féministe par ailleurs solide de sa coalition que Pedro Sanchez s’est appuyé pour appeler au vote les femmes espagnoles : outre la nomination du gouvernement avec le plus de femmes que l’Espagne ait jamais connu (onze femmes et six hommes), les mesures de la coalition portées par la Ministre de l’Égalité Irene Montero (Podemos) vont de la formation accrue du personnel judiciaire à la question de la violence sexiste comme première mesure présentée au Parlement, sans oublier la récente loi votée en février renforçant l’accès à l’IVG en l’ouvrant sans l’accord des parents aux mineures de 16 et 17 ans et en renforçant son effectivité dans les hôpitaux publics, etc. Une mesure essentielle dans un pays où la tradition catholique pèse lourd et où les médecins mettant en avant leur “objection de conscience” sont nombreux.

Dans un contexte de possible arrivée du bloc de la droite conservatrice et de l’extrême droite au pouvoir, ce sont 750 000 femmes supplémentaires qui ont voté pour le bloc de gauche entre les élections législatives de 2019 et celles de 2023 en Espagne. Le schéma ci-dessous montre un vote des femmes espagnoles de plus en plus favorable à la gauche à partir de l’apparition de Vox dans le paysage politique espagnol à partir de 2018.

C’est aujourd’hui toute l’Europe qui est confrontée à une montée de l’extrême droite, avec, partout, une remise en cause des droits des femmes

En Italie, si la loi n’est pas officiellement remise en cause, l’accès à l’IVG se réduit fortement dans l’Italie de Georgia Meloni (fermeture de centres pratiquant l’IVG, médecins refusant de la pratiquer…) ; en Pologne, un arrêt de la Cour de justice proche du pouvoir a rendu quasiment impossible l’avortement sur son sol, entraînant la mort de plusieurs femmes qui auraient eu besoin d’une IVG pour survivre…

Les projections du futur Parlement européen font craindre une hausse substantielle de l’extrême droite, qui s’est toujours abstenue ou a toujours voté contre les droits des femmes dans ce cénacle (les exemples sur la dernière mandature ne manquent pas, d’une résolution pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles au sein même du Parlement européen aux mesures en faveur de l’égalité salariale ou de l’équilibre vie personnelle – vie professionnelle).

Dans ce contexte, alors que les partis politiques planchent sur l’élaboration de leurs programmes politiques pour les élections européennes, l’Espagne nous montre que les droits des femmes peuvent constituer un enjeu central de mobilisation pour l’électorat (malgré des polémiques qui promettent de se poursuivre, le PSOE et Sumar ayant renoncé, à la demande de ce dernier, à inscrire dans leur pacte de gouvernement l’abolition de la prostitution).

Des mesures comme l’inscription du droit à l’IVG dans les Traités européens (qui permettrait d’engager des procédures judiciaires comme tout Etat le remettant en cause) devraient être mises en avant par les partis politiques de gauche pour mobiliser autour des droits des femmes, dans un contexte de menace croissante sur ceux-ci.

Osez le Féminisme
Osez le Féminisme
Par Gabrielle Siry, autrice de "La République des hommes" (Bouquins, 2021) ; Alyssa Ahrabare d'Osez le Féminisme (Association féministe, universaliste, laïque, progressiste et abolitionniste créée en 2009) et Céline Thiébault Martinez, présidente de la CLEF (Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes).

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5 Commentaires

  1. Il faut arrêter de demander à l’Union de se substituer aux Etats membres. Le droit des femmes, des homosexuels, ou de toute minorité est déjà protégé par la charte des droits fondamentaux, qui proscrit les discriminations et qui s’impose à tous les Etats membres. Il n’y a pas lieu d’en rajouter, au risque de limiter la souveraineté des Etats membres. Le doit des personnes, au-delà du respect de la charte, est du domaine des Etats membres et il n’y pas lieu d’instituer un droit européen dans ces domaines sensibles, sauf à vouloir encore plus dresser contre l’Union les électeurs qui trouvent que l’Union empiète déjà trop sur la souveraineté des Etats membres. Ce n’est pas ainsi qu’on luttera contre le populisme montant. Ce sera au contraire donner des arguments à tous les souverainistes en Europe.

  2. Bonsoir.

    La montée des partis d’extrêmes droite en Europe est la conséquence de l’incompétence de nos gouvernants actuels, qu’ils soient nationaux ou européens, ils ne répondent pas aux aspirations légitimes des européens concernant la sécurité, la défense, une répartitions plus équitables des richesses en taxant les super profits et les revenus des plus nantis, une véritable lutte contre les paradis fiscaux de plus européen (CHYPRE), une écologie équitable et non punitive, etc, etc…. .

    De fait, si l’extrême droite progresse, elle mettra en danger les droits des femmes et de nombreuses minorités.

    J’ai l’impression que nous allons malheureusement revivre pour ces élections ce que nous avons vécu en France pour les législatives, Monsieur MACRON par ses magouilles à réussi à se maintenir au pouvoir, les Français lui ont fait payé en ne lui donnant pas de majorité, son programme électoral ne répondait pas aux aspirations d’une grande majorité de Français, il a permis au RN de continuer à s’implanter et de progresser.
    Il a rendu la France ingouvernable au sens parlementaire, l’utilisation du 49-3 est une insulte à la démocratie, nous sommes en démocrature.

    Beaucoup de Français et s’en doute d’Européens sont en désaccord avec la gouvernance de l’Europe telle qu’elle est faîte, manque de clarté, d’anticipation, beaucoup de cupidité, de mensonges et d’égoïsme, le but ultime de la création d’une véritable nation européenne est constamment oublié par nos différents leaders, ils ne nous font pas rêvés, l’extrême droite risque de faire une percée spectaculaire, que se passera t’il alors ?
    Ne risquons nous pas de le payer très cher.

  3. Elections UE : En 2005, il y a presque 20 ans, c’est la dernière fois que l’UE a permis à ses peuples de s’exprimer par referendum sur une question engageant leur avenir: la constitution de l’UE. Le peuple français a voté « contre » parce qu’il estimait que cette constitution, concoctée par une petite élite dirigeante, faisait la part belle au marché, aux lobbies aux dépends du bien commun, du social, et on vérifie rétrospectivement que sa peur était fondée. Ce « non » aurait du invalider ce projet constitutionnel et on a vu par quel procédé anti-démocratique on s’est moqué du résultat du choix populaire, qu’on l’a contourné et les peuples se sont détournés des élections car ils ont compris que de toute façon on ferait sans lui, sans hésiter de bafouer les principes fondateurs.

    Aujourd’hui, en 2024, la demande première de tout parti politique est d’exiger une nouvelle constitution UE intégrant les désirs de plus plus pressants des peuples de plus de démocratie directe et de droits comme: les droits de femmes (parité salariale, disposer librement de son corps, avortement, au libre consentement…), les droits des LGBT, le droit de choisir sa mort, le droit d’écocide, de respect du vivant (à pollueur payeur), et surtout de pouvoir vivre en paix, en toute sécurité, le droit au logement, à un travail digne, à des transports accessibles, une éducation, une santé, une alimentation de qualité.

    L’UE doit aussi s’engager à dépendre de plus en plus d’elle-même, à dépendre de moins en moins des USA ou des BRICS, à privilégier son marché, à construire une défense commune,

    Sans une nouvelle constitution qui privilégie les biens communs des peuples, leurs aspirations, il n’y aura que des changements de façade pour permettre aux lobbies de nous faire payer leur transition écologique, leurs erreurs, de garder leur pouvoir, leurs profits !

  4. Bonjour ZORRO.

    Une nouvelle fois, 100% d’accord avec votre commentaire, il rejoins les miens, pourquoi le bon sens dont nous faisons preuve n’est-il pas repris par tous ?

    Non content de bafouer les aspirations des européens, ils vont permettre à l’extrême droite d’arriver à ses fins, quelle honte ?

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