Rien n’est acquis en politique… C’est la leçon que nous pouvons tirer de la séquence ouverte ces derniers mois à Bruxelles ! En octobre dernier, nous concluions au terme d’une longue et harassante négociation, un accord historique sur l’interdiction de vente des voitures thermiques neuves en 2035. Ce trilogue (réunissant le Parlement, la Commission et le Conseil) nous assurait une ratification de formalité puis une mise en œuvre sans discussion supplémentaire.
Le Parlement n’a pas trainé en ratifiant le texte le 14 février. Deux semaines plus tard… Patatras ! L’Allemagne abjure ses engagements et décide de faire obstacle à ce texte en rejoignant un groupe de pays récalcitrants, formant ainsi une minorité de blocage. Berlin exige que les carburants de synthèse échappent à cette interdiction.
Cette minorité parvient à faire plier la Commission européenne et à faire croire à toute l’Europe que tout est conforme à l’accord conclu en décembre, en brandissant le « considérant 11 ». L’existence d’un tel considérant est une aberration, introduite dans les textes à dessein, comme une bombe à retardement pour faire dynamiter l’accord. En vain ! Car si le revirement allemand est inédit à ce stade d’une négociation intra-communautaire, il va vite se heurter aux rouages d’une mécanique institutionnelle bien mieux rodée qu’on ne le croit.
Pour rappel, la pollution atmosphérique cause entre 400 000 et 800 000 morts prématurées par an en Europe. En outre, le Transport contribue à pratiquement un tiers des émissions de CO2… Il est le seul secteur à ne pas avoir baissé ses émissions depuis 1990. Ainsi, l’Allemagne passe par-dessus la jambe les enjeux climatiques et de santé publique de ce texte, en dépit des engagements européens de neutralité carbone.
D’autant que, et c’est le comble de cette séquence, l’accord finalement trouvé contrevient au concept même de carburant de synthèse puisque ceux-ci ne seront autorisés à la seule condition qu’ils soient neutres en carbone en 2035 à la sortie du pot d’échappement. Une nuance majeure puisque jusqu’ici, les industriels promettaient la neutralité des carburants de synthèse seulement sur l’ensemble du cycle de production par compensation au CO2 capté dans l’air nécessaire à leur fabrication.
A cela, il faudra ajouter le coût prohibitif de ce carburant qui pourrait tourner autour de 5 euros le litre (hors taxes), sans parler des insurmontables difficultés logistiques pour approvisionner les quelques richissimes clients. S’il y en a… L’électrique n’a pas encore dévoilé toutes ses promesses et pourrait devenir le vrai luxe de demain. Porsche et Ferrari feraient mieux de s’y mettre immédiatement plutôt qu’investir à fonds perdus dans un carburant condamné.
In fine, le gouvernement allemand s’est heurté à un texte robuste, techniquement exhaustif, fruit d’un travail de fond bien mieux rôdé qu’on ne pourrait le croire. Il n’empêche ! L’Allemagne aura entamé son crédit auprès de ses partenaires, ébranlé l’esprit des institutions européennes, créé un précédent dommageable en matière de parole donnée à un accord… Tout ça, pour une technologie sans avenir, vestige d’une industrie séculaire et coupable mortifère d’une pollution atmosphérique et sanitaire dont on n’a pas fini de payer les conséquences pour les cinq prochaines décennies, au moins.
Le gouvernement allemand pose également un obstacle sur notre feuille de route climatique, alors qu’il faudrait en réalité accélérer le rythme, comme nous le rappelle le dernier rapport du GIEC.
L’Europe gagnerait à vaincre définitivement les vieux réflexes protectionnistes et court-termistes. Elle gagnerait dans sa lutte pour le climat, mais également pour construire et défendre un leadership nouveau en matière environnemental qui sera demain, un gisement infini d’innovations et d’emplois. Avec l’Europe, nous sommes plus forts, nous devons désormais aller plus vite.
[author title= »Karima Delli » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2023/04/1620897598470-_1_.jpeg »]Karima Delli est eurodéputée écologiste, Présidente de la commission Transport et Tourisme au parlement européen.[/author]
Enfin, l’Allemagne reçoit une bonne leçon en matière de démocratie et de politique fiable. Il était temps de stopper ces libéraux qui n’ont pour priorité que les profits des grandes entreprises. Tous ces mensonges sur les mesures pour limiter la crise climatique, les Allemands se laissent peut-être faire sans trop râler à part certaines organisations comme la DUH dont les organisateurs reçoivent des menaces de la part des lobbies de l’industrie automobile.
Reste encore les autres, entre autres Macron qui semble avoir besoin d’une leçon lui aussi… Et puis il faut absolument bloquer le contrat avec Mercosur comme le TTIP il y a quelques années. Les politiques réitèrent, ils n’ont toujours rien compris ! Alors marchons dans la rue aussi longtemps qu’il le faut !
Bonjour.
Me semble t’il, la gouvernance européenne dans son ensemble était plus ou moins dominée par l’Allemagne, c’est un pays qui s’est investi beaucoup plus que d’autres dans le fonctionnement des instances européennes, a placer ses pions ou il fallait.
Quand à dire que l’UE impose un nouveau leadership, je demande à voir, ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Quand à l’interdiction des voitures thermiques pour 2035, ok si l’ensemble du cycle pour leurs fabrications et leurs fin de vie, pour l’énergie nécessaire pour les faire fonctionner sont moins énergivores et moins polluantes que les voitures thermiques.
En espérant également que nous ne déplacions pas notre dépendance vers d’autres pays pour l’obtention de certaines matières premières vitales en remplacement du carburant et autres.
Pour cet enjeu, L’Europe devrait tenir compte des aspirations et des possibilités financières des citoyens européens, éviter l’exclusion, être vraiment prêt pour un tel projet, ce qui est loin d’être le cas semble t’il actuellement.
Effectivement, le remplacement des moteurs thermique par des véhicules individuels électriques ne sera pas la solution idéale. Sans oublier l’énorme production d’électricité nécessaire et le nouveau développement prévisible de l’usage individuel de l’automobile avec une énergie soi-disant moins chère, les problèmes seront en amont et en aval et apparaîtrons hélas moins aux yeux des consommateurs. L’extraction des ressources indispensables à la fabrication des batteries (pollution des sols, consommation d’eau, « terres rares » qui ne se trouvent que dans quelques régions du globe et vont coûter chers à l’industrie européenne et aux équilibres politiques) est parfois mise en avant, mais les média oublient l’énorme consommation de cuivre nécessaire à la fabrication des moteurs et aux kilomètres de câblage mis en place dans chaque véhicule. Une production polluante d’aluminium est également en prévision pour alléger les carrosseries car les industriels ont bien conscience du poids des batteries transportées par les véhicules électriques. Les possibilités de recyclage de tous ces matériaux sont bien limitées. Tant que la notion de sobriété énergétique et d’égalité entre les hominidés consommateurs ne sera pas mise en avant , l’avenir n’est pas si radieux pour les européens.
Au moins en ce qui concerne l’aluminium, on peut être certains qu’un effort sera fait, tant refondre et réutiliser de l’aluminium est plus économique que transformer de la bauxite en aluminium ! C’est d’ailleurs vrai aussi pour d’autres ressources, y compris les terres rares pour lesquelles des filières de recyclage se mettent en place…
Je ne suis pas un spécialiste dans ces questions. Mais aussi l’électromobilité pose encore des très forts problèmes entre autres dans la production et aussi de caffuter les batteries épuisées. C’est aussi pour cela que je suis fortement pour une définition claire « Sans CO2 pollution », mais pour rester ouvert à des innovations en techniques et en productions. A lire a ce thème: https://de.wikipedia.org/wiki/Synthetischer_Kraftstoff qui est plus détaillé et actuel que l’article en francais: https://fr.wikipedia.org/wiki/Essence_synth%C3%A9tique . C’est pour cela que je suis pour laisser ouvert la réalisation et de fixer que l’objectiv à atteindre le plus tard en 2035.
il aurait été utile de rappeler que c’était un ministre des transports libéral (FDP) à la manoeuvre
Une façon comme une autre de mettre en place une politique de limitation du nombre d’individus sur terre, contrairement aux politiques menées depuis des siècles .
La seule solution écologique à la mobilité des personnes et des marchandises réside dans le développement et la démocratisation des transports en commun par route, rail et voie fluviale aussi bien d’un point de vue local, régional, national qu’international. L’ère du camion de transport et de la voiture individuelle est révolue. L’électrification du parc automobile n’est qu’une tentative de faire concilier l’inconciliable c’est-à-dire le libéralisme économique avec l’écologie. Il s’agit là d’une véritable révolution copernicienne que l’Europe devrait porter. On en est loin, hélas !
Plus qu’une révolution copernicienne, c’est une révolution anthropologique qu’il faudrait initier ?!
En accord avec les trois derniers commentaires, je pense que nous serons « plombés » dans un horizon relativement proche par 50 années de mauvaises décisions. Pour paraphraser un français célèbre qui disait que « le XXIème sera spirituel ou ne sera pas », je pencherai devant notre absence totale de spiritualité, pour la seconde option évoquée….
Mme Delli, vous êtes gentille mais je suis plus âgé que vous et peut-être moins confiant envers celles et ceux qui détiennent le pouvoir aujourd’hui, je veux dire celles et ceux qui ont le plus de moyens, y compris ceux de destruction. Pour les cinq prochaines décennies je prédis que vivre sur Terre deviendra impossible, tant nous aurons, tout comme le commandant du Titanic, laissé les états et les multinationales dériver depuis les années 1970.
Dans les 5 prochaines décennies mes descendants, s’ils survivent, vivront au mieux sur Terre avec des masques ou des combinaisons. D’après ce que j’observe actuellement, incompétence totale de la part de la classe dirigeante et appétence d’une majorité pour l’Argent comme seule valeur commune reconnue, j’émets depuis quelques semaines l’hypothèse qu’après avoir tout détruit en surface, les survivants aux virus et aux catastrophes climatiques vivront probablement sous terre, comme des rats. Peut-être ne le verrai-je pas et aurai-je « la chance » d’être emporté par le énième pic de chaleur. Merci néanmoins pour votre contribution optimiste qui a eu le don de me faire sourire !
Cher Rahlf,
Plutôt que de se morfondre en prévisions catastrophistes, ne vaudrait-il pas mieux méditer la sentence de feu notre ami Pierre Dac : « Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir ! » Et puis aussi, faire confiance un peu en l’Homme et en son génie…
Bonjour.
Je rejoins les commentaires ci dessus, nous sommes lucides, quand le comprendront’ ils ?
Au delà des très réels problèmes techniques et industriels décrits ci dessus et qui en effet sont très loin d’être résolus, comment essayer d’éviter au maximum les conflits graves sur la politique climatique. Cette politique va couter cher, très cher. Toute l’infrastructure énergétique actuellement construite autour des énergies fossiles est à revoir alors qu’elle est à l’origine et a été le moteur de notre développement industriel, de notre société de consommation. Cette évolution que l’on voudrait rapide va créer de dangereuses tensions entre ceux qui sortiront gagnants et ceux qui sortiront perdants de ces transitions, tant au niveau national que mondial.
Au niveau national nous aurons à gérer de grandes disparités, au niveau mondial nous aurons tous les problèmes des migrations.
Nous devrons veiller à ne pas créer un vide entre les classes aisées progressistes qui aiment endosser le beau rôle : le climat et les migrations sont pour elles des chevaux de bataille moraux, tout en offrant guère de garanties quant aux conséquences à long terme des politiques qu’elles défendent sur l’économie et la cohésion sociale, et les autres, les communautés qui se sentent souvent abandonnées, non représentées des partis au pouvoir qui gouvernent au-dessus d’eux et non avec eux. Plus on vit loin de la grande conurbation et moins on est diplômé, plus ce sentiment d’être oublié et incompris est fort. Car les effets des politiques climatique et migratoire en mutation rapide se répercuteront de façon inégale sur les différents segments de la population. Eviter les divisions entre « bons élèves » et « pollueurs », entre métropoles et régions, entre villes glamours et quartiers déshérités, entre contents et mécontents.
On retrouve du plastique et des pesticides dans le sang et dans le lait maternel. Il serait temps que notre modèle économique se pose la question des finalités.