Le 19 septembre dernier, Jacques Delors a délivré un discours dans lequel il salue le pas important réalisé par la France et l’Allemagne sur le principe d’un budget commun. Nous le reproduisons ici avec l’amble autorisation de l’Institut Jacques Delors.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et messieurs les députés,
Mesdames, messieurs, chers amis,
Je suis heureux de pouvoir m’adresser à vous au début de cette importante conférence sur l’avenir de l’Union économique et monétaire. Cette conférence, je l’ai ardemment souhaitée. Et je l’ai voulue ici, à Berlin, car l’avenir de l’UEM implique le concours décidé de l’Allemagne. J’aurais bien sûr voulu venir en débattre directement avec vous, si mes forces me le permettaient. Car c’est maintenant qu’il faut décider, maintenant qu’il faut agir, maintenant qu’il faut avancer. Es ist Zeit !
Certes, l’Europe va moins mal. La crise financière de 2008 et ses conséquences en Europe, la crise dite « de l’euro », sont aujourd’hui derrière nous. Le cadre institutionnel de l’Union s’est montré plus robuste que les marchés et les commentaires ne l’avaient estimé. Au premier rang, c’est la Banque centrale européenne, avec son président, qui, avec détermination et sang-froid, a joué un rôle-clé pour garantir que l’euro tienne solidement debout. Je suis pour cette raison particulièrement heureux et honoré que Mario Draghi participe à cette conférence et partage aujourd’hui avec nous ses idées sur l’avenir de l’Union économique et monétaire.
Au moment où l’Europe et ses valeurs fondamentales sont attaquées par des populistes de tout acabit, au moment où l’un de nos plus grands États membres a pris la décision brutale de nous quitter, nous ne pouvons pas nous contenter de contempler nos succès passés ou de seulement défendre ce qu’on a déjà bâti. L’heure est venue d’être, de nouveau, audacieux. Pour continuer de construire une Europe à la fois plus efficace, plus équilibrée et plus solidaire. Dans ce but, je remercie les Instituts Delors, de Berlin et de Paris, ensemble avec la Hertie School et la Fondation Bertelsmann, d’avoir mis sur pied ensemble cette conférence et que les deux instituts s’engagent activement, avec leurs idées et propositions, dans le débat sur l’avenir de l’UEM, offrant leurs perspectives uniques de Paris et de Berlin.
Pour bien prendre toute la mesure de ce qui nous reste à accomplir, permettez-moi de resituer l’UEM dans le temps long. L’intégration monétaire n’a été ni un accident de l’Histoire, ni un projet purement politique, comme on le dit trop souvent. C’était d’abord la conséquence logique d’avoir bâti un marché unique avec les quatre inséparables libertés. C’était un complément indispensable. Une monnaie unique est un élément incontournable d’un marché unique – la cinquième liberté si vous voulez. En ce sens, l’euro est une assurance collective, et je suis convaincu qu’il nous a tous aidés, la France comme l’Allemagne et l’Espagne comme la Finlande, à gérer la crise bien mieux que chacun ne l’aurait fait, laissé à son propre destin.
Mais il est aussi vrai que, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, l’UEM a été créée en mettant beaucoup de poids sur le « M » – l’intégration monétaire – et pas assez sur le « E » – la convergence et l’intégration économiques. Et dès que nous parlons de l’économique, nous ne pouvons pas la séparer du social. Lorsqu’on a créé le marché unique, on a établi les fonds structurels afin d’accompagner les atouts de l’intégration de nos marchés avec des instruments capables de faire du nouveau marché unique une promesse de prospérité pour tous. Mais lorsqu’on a créé la monnaie unique, on n’a pas développé suffisamment les outils assurant que l’atout d’intégrer nos monnaies mène à une Europe qui converge, à une Europe socialement équilibrée pour tous. Ce sont ces deux piliers de l’UEM, l’économique et le social, que l’on doit bâtir dans les années à venir. Je l’ai toujours dit et je le répète aujourd’hui à Berlin : l’euro a besoin de ses deux jambes pour marcher, la seule jambe monétaire ne suffit pas et ne suffira jamais.
L’avenir de l’UEM
Je nourris l’espoir que l’Europe aujourd’hui l’a compris. Après le vote historique de sortie du Royaume-Uni, l’Union se montre plus unie, plus forte, plus déterminée dans un contexte mondial que d’aucuns veulent bouleverser. Les Vingt-Sept font montre, depuis le début des négociations avec Londres, d’une cohésion tenace. Devant cette cohésion, le Brexit, que je déplore pour l’Europe comme pour nos amis britanniques, apporte la claire démonstration qu’appartenir à l’Union européenne donne un atout pour tous. Et la quitter représente une erreur, maintenant et pour l’avenir. D’ailleurs aucun dirigeant continental n’envisage sérieusement aujourd’hui de sortir de l’Union européenne.
Mais j’ai aussi l’impression qu’avec la crise les esprits ont évolué quant à l’Union économique et monétaire. Le récent accord de Meseberg, entre les gouvernements français et allemand, a ouvert la porte pour un compromis, qui pourrait être acceptable partout en Europe. Je salue le ministre allemand des finances, Olaf Scholz, ci-présent, d’avoir accompli ce travail avec son homologue français pour achever ce compromis, qui mérite d’être pris au sérieux et regardé de près. Je trouve ce compromis pertinent : non pas parce qu’il serait le plus ambitieux que l’on puisse imaginer. Non, il est intéressant parce qu’il est à la fois pragmatique et novateur, parce qu’il aborde le futur de notre monnaie autrement que par le seul biais des marchés financiers. L’union bancaire était sûrement un pas essentiel, le pas d’intégration le plus important au plan économique depuis Maastricht. Mais, on le sait, l’UEM est bien plus qu’un cadre technique financier. Elle doit se doter des outils pour faire converger nos économies qui feront la prospérité de l’Europe, notre objectif commun.
Et j’ai l’impression qu’avec leur proposition d’un vrai budget pour la zone euro, l’Allemagne et la France ont fait un pas important vers cet objectif. J’espère vraiment que nos deux pays poursuivent ce chemin et y soient rejoints par d’autres. Nous ne pourrons pas aborder les élections européennes de mai prochain, qui approchent et dont les enjeux seront, cette fois-ci, plus importants que d’ordinaire, sans avoir avancé résolument sur ce chemin de la convergence économique et sociale, qui répond aux attentes de nos concitoyens depuis qu’ils ont l’euro en poche. Je forme le vœu que cette conférence nous aide à progresser.
Un rappel utile pour terminer. Lorsque fut adopté l’Acte unique, matrice du grand marché, de ses 4 libertés et des politiques structurelles, je fis mentionner la perspective d’une monnaie unique comme les petits cailloux du petit poucet avec perspective et confiance. Et sans me lasser, je répétais cette formule symbolique :
La croissance qui nous stimule, la cohésion qui nous rend plus fort, la solidarité qui nous unit.
Je souhaite ardemment que ce triptyque anime l’esprit de réformes de l’UEM. C’est la condition pour rendre l’Union européenne enfin consciente d’elle-même, lui donner cette force créatrice, d’influence, de paix et de progrès humain.
Je pleure en lisant ce texte en forme de testament !
Nous n’avons plus de dirigeants en Europe capables de parler de la sorte, brillamment, et « en même temps », simplement et de façon claire à chaque citoyen européen.
Puisse-t-il être entendu et compris dans le sens où, sa pensée, qui n’est pas complexe mais simple et droite, puisse encore avoir une influence sur l’avenir de l’Union, pour nos enfants.
Croissance, cohésion, solidarité : les trois mamelles de l’Europe future ?
Merci pour ce commentaire qui exprime « simplement et de façon claire » ce en quoi je souhaite de tout mon cœur européen et même mondial que nos enfants puissent encore croire!
Est-il encore temps pour que cette perspective – croissance, cohésion, solidarité, avec pour vecteur un budget commun – devienne celle d’une campagne commune aux prochaines élections européennes?
Non vedo quale credibilità possa avere un’istituzione che promuove l’uccisione di esseri indifesi nel grembo materno e i privilegi lgbt
Je ne vois pas d’adéquation entre votre commentaire et l’article. Il n’y est nullement question d’avortement ni de mariage lgbt.
Alors dites nous plutôt en quoi un budget européen qui favoriserait la croissance grâce à des efforts partagés de façon solidaire mais aussi socialement responsables vous dérange. Sinon les lecteurs risquent de vous prendre pour un intégriste, ce que peut-être vous êtes ??
Amitiés de la part d’un Romain.
Incroyable, qu’il n’aie toujours rien compris, le mal qu’il a fait, non seulement les morts en Grèce, en Espagne, mais le mal qu’il a fait à l’Europe.
« Une monnaie unique est un élément incontournable d’un marché unique »,… clairement regardez la Suède, le Denmark, la Pologne, le R.U. (avant le Brexit), comme il se portent mal !!! Lisez le livre de Stieglitz, pour comprendre à quel point l’Euro non seulement ne fut pas nécessaire, mais un échec par rapport à ses objectifs. Delors se félicite que l’Europe de l’Euro ait survécu à sa bêtise! Quel mesure de succès….
Il parle de 5ième Liberté, une monnaie unique. La conséquence est qu’un état perd la possibilité de réagir à une conjoncture économique particulière, ce qui va pour l’Allemagne et la France, et tant pis si ça n’arrange pas les autres. Où est la liberté?
La monnaie unique implique donc un état fédéral, très bien pour ceux qui sont euro-fédéralistes, mais qu’en est-il pour la grande majorité de citoyens européens qui ne le sont pas ? Mais outre ce manque patent de démocratie, ce que je reproche à l’euro-fédéralisme c’est l’absence totale de psychologie humaine dans son projet économique, une logique simpliste et mathématique sans rapport avec le réel. C’est une attitude qui se veut bien pensante, mais a un fond de totalitarisme. C’est pas l’Europe que je veux. Que nous voulons. Delors a fait suffisamment de mal (et du bien aussi, je l’accorde), qu’il se casse et nous foute la paix.
Permettez-moi de rebondir sur la parenthèse quasi finale qui clôt votre commentaire: « (et du bien aussi, je l’accorde) ». Voilà qui prédispose au dialogue et m’incite à saisir la perche.
Tout être humain ayant ses défauts, mais aussi ses qualités, c’est en effet en évoquant celles-ci en la personne de Jacques Delors que je souhaiterais rééquilibrer vos propos.
En premier lieu, au sujet de l’homme politique. Vous passez sous silence un élément qui a permis à celui-ci de mettre le pied à l’étrier – et ce n’est pas négligeable non plus pour sa carrière ultérieure à la tête de la Commission européenne: à savoir l’influence qu’il a pu exercer de 1969 à 1972 en tant que chargé de mission auprès de Jacques Chaban Delmas, alors Premier ministre de la France: c’est grâce à sa fibre sociale d’ex-syndicaliste que Delors contribuera à la promotion de l’idée de « nouvelle société » – surtout après les secousses de mai 68 – en contrepoint des orientations beaucoup plus « libérales » chères à d’autres sphères du pouvoir. Si la récolte n’a pas toujours correspondu aux attentes, la graine était déjà semée dans le terreau.
En second lieu, quant à l’apport de Jacques Delors à la relance de la construction européenne. Alors que nombre de politiciens s’essoufflaient à tourner en vain la manivelle de cette relance, il a eu l’idée simple de réviser le moteur avec les outils de l’achèvement du marché intérieur et d’y mettre de l’huile grâce à la création de l’euro. C’est notamment sur ce point que vous me semblez faire fausse route – Stiglitz n’étant, après tout, qu’une opinion parmi d’autres, fût-il auréolé d’un prix Nobel qui, certes, force le respect. Ainsi:
– j’ignore si vous vous déplacez fréquemment à l’intérieur de la zone euro; mais, personnellement, j’apprécie déjà ne serait-ce que le raccourcissement des files aux bureaux de change lorsqu’on passe d’un pays à l’autre: quelle délivrance par rapport à la situation qui prévalait avant l’instauration de la monnaie unique !
– ayant vécu les dévaluations successives du franc que même de Gaulle ne pouvait endiguer, j’avoue ne pas souffrir excessivement aujourd’hui d’une incontestable stabilisation de ce côté-là du miroir monétaire;
– il est louable de vouloir se faire l’interprète de ce que vous pensez être une opinion populaire… mais, outre le fait que personne ne peut s’en arroger le monopole, ne négligez pas totalement le fait que, selon diverses enquêtes d’opinion, les Français restent en majorité attachés à l’euro. Même des partis politiques peu enclins à l’ « europhilie » semblent avoir compris l’ineptie de leurs ritournelles en faveur de la sortie de l’euro;
– qui ne se sentirait pas interpellé par les difficultés rencontrées par la Grèce au cours d’une période récente et par les maladresses commises par nombre de « docteurs » se relayant à son chevet ? Mais qui a usé du forcing pour favoriser l’accession de ce pays à la zone euro ? Certainement pas la Commission européenne, dont j’ai le souvenir des hésitations qu’elle avait manifestées à l’époque – alors que nombre d’Etats membres, soucieux de ne pas déplaire à leurs banquiers,poussaient à la roue (roue = anagramme d’euro 🙂 ;
-enfin, pour en revenir à Jacques Delors, ne conviendrait-il pas de lui rendre justice au moins sur un point: le regret qu’il n’a cessé de faire valoir en déplorant que l »introduction de l’euro ait été par trop « unijambiste », faute, d’un accompagnement plus décisif par l’autre pas qu’aurait constitué une meilleure gouvernance économique en termes de puissance publique ?
Merci à Gérard de mettre ou remettre les pendules à l’heure.Des propos en dehors de toutes réalités concrètes font perdre le bien foncé de l’approche et la pertinence de ces commentaires Bonne journée J
Jean-Pierre Bobichon