La crise ne détruit pas l’économie mais la politique

 

Deux de chutes, cette semaine, après l’Irlande, le Portugal, la Slovénie, ce sont les pouvoirs grecs et italiens qui ont été emportés par la crise, la pression des marchés financiers et les Thénardier de l’Europe, Merkel et Sarkozy. La crise ne détruit pas l’économie mais la politique. Au point que ce ne sont même plus les politiques qui tiennent la barre des Etats. Un ancien commissaire européen en Italie, un ancien vice-président de la BCE en Grèce et un gouvernement d’union nationale qui accorde quatre portefeuilles à l’extrême droite (c’est vrai que c’est mieux qu’un référendum…). L’idéal des marchés, c’est la Belgique, le seul Etat dont la dette a diminué… car il n’y a pas de gouvernement qui fait des investissements et des choix politiques. En juillet dernier, le pays a annoncé que sa prévision de déficit public pour 2011 passait de 3,6% à 3,3% et un assainissement budgétaire d’au moins 0,75% du PIB par an. La possibilité de choisir s’évapore et il ne reste plus que des gouvernements fantoches dont la raison d’être est d’avoir une apparence « rassurante » pour les marchés financiers. Leur côte de popularité se mesure en points de CAC 40 gagnés ou perdus, Dax de Francfort ou MIB de Milan. Tout le reste ne compte plus. « There is no alternative ».

 

L’Europe est le plus froid des monstres froids ?

 

L’épisode éphémère du référendum grec montre que le droit à la démocratie est proportionnel à l’encours de la dette et ce n’est pas acceptable. En un seul coup, Papandréou aurait pu recouvrer sa légitimité populaire et faire accepter le plan européen qui était en effet favorable au peuple grec. Et si le peuple avait dit non ? C’est une hypothèse, mais c’est aussi une ligne jaune que l’on ne peut pas franchir : la souveraineté populaire. Car la plaine est remplie de corbeaux. Ne les entendez-vous pas, ceux qui disent « vous voyez bien que l’Europe n’est pas démocratique » ? Après un référendum interdit et deux technocrates (certes bons techniciens) mis au pouvoir sans élection, il sera bien difficile de leur répondre. Ne les entendez-vous pas nous dire que l’Europe est « brutale et oppressante » ? Qu’allons-nous leur répondre maintenant qu’elle exige et obtient la tête de chefs de gouvernements ? A bon droit, on pouvait s’opposer de toutes ses forces à Berlusconi, mais qu’il soit destitué sur injonction des marchés et du G20 est proprement inacceptable. C’est même peut-être ce qui le remettra en scelle. De notre côté, nous disions que l’Europe nous protège dans la mondialisation et voilà que l’on va chercher les capitaux chinois pour soutenir le FESF. N’entendez-vous pas les corbeaux jubiler ? A force de sauver l’Europe pour la douzième fois, plus personne n’y croit. Et le problème n’est pas qu’économique : faute d’avoir créé les conditions d’un pilotage politique de l’Europe et les mécanismes de solidarité adéquates, montent des récriminations : pourquoi payer pour les autres ? Pourquoi être partisan de l’Europe quand l’euroscepticisme rapporte électoralement bien plus ? C’est en fait tout le modèle social européen, fondé sur un Etat-providence plus ou moins développé qui se trouve invalidé à force d’austérité.

 

Pour tout dire, c’est tout le modèle européen qui s’effondre. Regardons bien où se concentrent les crises : c’est au cœur battant de l’Europe que le politique est en train de faire faillite : en Belgique, à Bruxelles très précisément. Bruxelles, ça ne vous dit rien ? C’est dans la proximité immédiate de la plus grande place financière européenne qu’ont eu lieu les émeutes urbaines les plus violentes : à Londres. C’est enfin là où « l’european way of life » est le plus affirmé, en Norvège, que l’extrême droite fait 77 victimes sur l’île d’Utoya. Chaque élément de la crise à ses causes propres mais aussi ses fils invisibles qui relient à la même crise, celle de l’Europe.

 

Piège sémantique

 

En face, nous sommes bien trop faibles, accrochés aux lambeaux d’un rêve en morceau dont la première défaite est sémantique. Fédéralisme ne veut plus rien dire sauf dans quelques maisons de retraites. Progressisme est aussi un mot du passé qui ne soulève plus qu’un enthousiasme ultra-minoritaire à l’ère où la certitude que ses enfants vivront mieux que soi n’est plus. L’incertitude s’est incrustée partout. Comme le socialisme ne peut pas se contenter de « défendre les acquis sociaux », l’européisme ne peut pas se contenter de vénérer « l’acquis communautaire ». Certes, en cassant comme ils le font l’Europe, marchés financiers et dirigeants européens ont pris nos 20 ans – ceux d’Erasmus et de l’ouverture sur un autre horizon – ce n’est pas une raison pour en avoir 70.

 

FXP

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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4 Commentaires

  1. le 11novembre j’avais écrit ceci:
    …L’événement politique sera-t-il plus décisif.? mais d’abord de quel événement s’agit-il ? installer aux commandes de pays ruinés deux économistes, soit l’ancien directeur de la Banque centrale grecque, soit l’ancien Commissaire européen à la concurrence (« libre et non faussée »). Deux économistes avec un tel background: qui pourrait croire qu’il s’agit d’apporter une réponse politique à la crise ? Il s’agit d’abord d’ »apaiser les marchés ». que dit, qu’a eu l’occasion de dire le peuple souverain ? Au niveau européen on sait qu’il n’a le pouvoir de rien décider. Et au niveau national qui croira qu’aucun de ces deux-là a un projet politique ? une capacité comptable, oui, sans doute, c’est ce qui est attendu, mais pour le reste, pour un gouvernement démocratique au service du peuple, qui croira qu’ils le représentent à aucun moment ?

    Il fut un temps où dans l’Europe libérale la classe politique avec ses défauts était plus forte que les acteurs économiques. Ce temps est révolu au XXIème siècle. La classe politique s’efface, On n’en voit plus que les figures, apaisantes pour les marchés, des politiciens économistes. Qui d’ailleurs aimerait être aux commandes dans la situation actuelle des comptes de chaque nation ? Même à gauche, au PS grec, au PD italien et bien évidemment chez nous au Parti socialiste, il y en a même qui pensent et théorisent que de toute façon le pouvoir économique a gagné et que la politique ne doit plus servir qu’à l’administration…

  2. Merci pour la littérature mais c’est la politique qui a suscité La crise et l’entretient, c’est la démocratie qui n’est pas européiste. jm b

  3. Je t’ai connu plus optimiste!

    Moi je crois au contraire, et malgré la déception de voir à la barre le capitaine Merkozy, une extraordinaire opportunité pour l’Europe politique dans cette crise.

    Sortir de la crise économique, c’est accepter un pas en avant dans le fédéralisme budgétaire. Malgré toutes les tergiversations, c’est bien vers là qu’on se dirige, avec toutes les variantes à soupeser.
    Il y a donc un grand pas en avant qui va se faire, et autant s’en réjouir, on l’a espéré suffisamment longtemps. Mais évidemment il faut penser au coup d’après, et je te sais fin stratège. Pas question de laisser tous ça aux technos, même très bons, je suis d’accord.

    A nous de jouer à fond l’opportunité historique qui se présente d’enclencher enfin la dynamique démocratique. S’il est une chose que la crise a au moins permis et qu’il faut savourer à sa juste valeur, c’est d’avoir imposé un débat sur l’Europe, son sens, sa raison d’être, à tous les pays européens en même temps. Mieux qu’une élection! Une opinion publique européenne se forme, une conscience d’appartenir à un même projet, à un même destin. C’est ça le terreau de la démocratie.

    Pour finir je propose deux mesures sur lesquels il va falloir se battre pour avancer en matière politique:
    1. Mettre le Parlement européen et le Conseil européen sur un strict pied d’égalité dans tous les domaines, pour traduire l’égalité des droits des peuples et des citoyens européens au niveau institutionnel.
    2. Faire élire le président de la Commission européenne au suffrage universel.

    A bientôt pour en discuter 🙂

    • La crise detruit bien l’économie et, par conséquent, le politique. On ne faira l’impasse de remettre de l’ordre dans les économies, car le disordre dans l’économie est aussi une conséquence de la mauvaise politique : de la politique des privilèges, de la politiques des dépenses joyeuses, de la vie au dessus des moyens d’un pays, de la politique irresponsable qui n’a pas su conditionner les pouvoirs économiques et financiers. Qu’ils soient les bienvenus ces « économistes » à la tête des gouvernements : ils ne metteront pas de l’ordre seulement dans les économies mais, inévitablement, également dans la conduite politique des pays. De plus, grâce à leurs passé européen, ces « économistes » pourront être des alliés précieux de tous ceux en Europe qui commencent enfin, à l’occasion de la « crise », à reflechir à des avancées serieuses dans l’integration européenne. Il a toujours fallu des crises à l’Europe pour avancer.

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