Le choc du Brexit continue de produire ses ondes, et entretient un processus de décomposition économique, politique et finalement démocratique.
La chute est économique, certainement. Il est encore difficile d’apprécier le devenir des implantations industrielles ou de la place financière de Londres. Mais les groupes transnationaux ont déjà commencé à demander des compensations en ce sens, et le gouvernement japonais a adressé une lettre extrêmement peu diplomatique sur les conséquences du non-respect par le Royaume-Uni de ses engagements en termes d’accès au marché européen.
S’agit-il de sortir de l’Union européenne, mais de rester sous une forme ou sous une autre dans le monde du marché unique, et donc des normes qui le régissent ? Ou bien s’agit-il de retrouver une indépendance totale par rapport au droit et aux juges européens, mais dehors ? Ces incertitudes sont synthétisées par les marchés financiers dans la chute de la livre sterling, qui a atteint un plus bas niveau historique depuis 150 ans. Ceci n’est pas un pur phénomène déconnecté du monde réel mais matérialise l’estimation par le monde financier de l’impact économique du Brexit, c’est à dire de la valeur de l’inclusion dans le monde européen. « Unis, nous sommes plus forts » n’est pas un simple slogan.
La chute est politique, à l’évidence, et le Royaume-Uni semble un canard sans tête. David Cameron, a démissionné sans organiser sa succession, comme le leader du parti nationaliste Ukip puis celle qui lui a succédé dans l’urgence. Le parti conservateur, par défaut, a porté au pouvoir une ministre de l’intérieur dont chacun s’accordait à ne rien dire jusqu’alors. Et le Labour, enfin, s’occupe à contempler intensément son nombril.
Mais la chute est surtout démocratique. C’est très paradoxal : Ne s’agit-il pas d’un référendum, qui a permis directement au peuple souverain de s’exprimer ? Ne s’agit-il pas d’un recentrage vers une sphère nationale où la pratique démocratique est bien ancrée ? Ce qu’on observe en vérité, c’est le délitement à grande vitesse de ces pratiques démocratiques nationales et des valeurs humanistes qui les accompagnent. On voit prévaloir une imagerie de la souveraineté démocratique dans laquelle le lien direct avec le peuple écrase tout autre canal d’échange et d’ajustement.
Le Gouvernement May ne demandera au Parlement ni l’autorisation de déclarer la sortie de l’UE, ni même une validation d’un mandat de négociation. Mais ce qui est en jeu est surtout le mode de démocratie partagée mis en place ces dernières décennies entre les différentes nations du Royaume-Uni. L’Angleterre et le pays de Galles ont voté pour partir. L’Irlande du Nord, l’Ecosse et Gibraltar pour rester. La logique démocratique voudrait que les institutions représentatives de ces nations soient associées à la question. Nenni. Pas l’Irlande du Nord, pourtant cogérée avec l’Irlande sur ce sujet. Pas l’Ecosse, pourtant au bord de l’indépendance. Le gouvernement central, qui résulte uniquement d’un équilibre accidentel interne au parti conservateur, est en train d’imposer ses choix hors de tout contrôle démocratique parlementaire ou des « nations » du Royaume-Uni.
Plus le Brexit s’installe, plus on mesure concrètement l’influence de l’Europe dans la sauvegarde de nos libertés. Et l’on se prend à s’interroger : nous avons eu un serpent monétaire européen, n’est-il pas temps de créer un serpent démocratique européen ?
Article paru initialement dans Témoignage chrétien du 27 octobre 2016
L’idée d’un serpent démocratique européen me plait bien.
En effet la crise démocratique ne touche pas que le Royaume Uni, tant s’en faut.
Au Royaume Uni il y a un problème de « hiérarchie des normes démocratiques » entre le résultat du référendum de juin dernier et la position de la chambre des communes, vraisemblablement hostile au Brexit. Dans le pays qui a inventé la démocratie parlementaire, ce n’est pas une mince affaire.
J’y suis sensible car, pour ce type de démocratie, je suis loin de partager le mépris des rédacteurs de notre constitution et je ne suis pas un fanatique des referendums, qui parfois ressemblent à des plebiscites! Il y a eu cet été un article intéressant de Pierre Rosanvallon sur la démocratie représentative:
http://www.lemonde.fr/festival/article/2016/07/14/pierre-rosanvallon-creer-un-sentiment-de-democratie-permanente-de-democratie-continue_4969444_4415198.html
Il y a surtout 30 millions d’électeurs potentiels qui ne votent jamais. La démocratie n’est donc pas du tout « représentative ». Elle ne représente que ceux et celles qui s’imaginent que leur vote peut changer quelque chose …
Certes, mais quand on fait un référendum il y a aussi des abstentionnistes. J’ai oublié combien il y en avait en Grande Bretagne le 23 juin ?
ne pas opposer démocratie directe et démocratie représentative serait un premier principe
donner les mêmes moyens financier a chaque forme de démocratie serait un deuxième principe
on serait peut être dans une autre situation démocratique!!
C’est un principe cher à Rosanvallon! je conseille la lecture de l’entretien que j’ai cité en référence
Il me semble que le problème vient surtout que nos gouvernements et les gens qu’ils nomment ne se préoccupent guère de l’opinion des électeurs, ce qui explique le déficit démocratique matérialisé par l’abstention ou le vote de rejet ! Si j’étais un dirigeant européen (ça doit exister, non ?) je serais également sensible au fait que des sociétés transnationales aient choisi Londres comme tête du pont pour investir l’Europe, et qu’elles se sentent grugées, je vous laisse réfléchir à cette situation nouvelle qui pour moi a une morale évidente !
Amusant que vous proposiez que l’Ecosse et Gibraltar soient consultées, quand on sait le foin quia été fait dans l’UE quand la Wallonie a osé donner son avis sur le CETA. Les objection qui paraissent fondées dans cet article s’effondrent quand on les applique de manière symétrique à la construction européenne. Car dès lors on observe que ceux qui ont l’audace de vouloir dire stop ou s’opposer dans les règles voient leurs oppositions contournées, leurs votes bafoués.