La Grèce est elle une démocratie? Est-elle seulement un Etat?

1 Drachme 1973, période des colonels

« Une Grèce secrète repose au cœur de tous les hommes d’Occident »

C’est par ces paroles que Malraux rendit hommage à la Grèce lors d’un discours à l’Acropole d’Athènes le 28 mai 1959, signifiant ainsi la place qu’occupait la Grèce au sein de l’Europe. Cette position originelle, importante, vis-à-vis de l’Europe semble très éloignée de la situation actuelle. Ce pays, pointé du doigt par les instances européennes, internationales, les gouvernements, les autres peuples, est aujourd’hui réduit à un pays bouc émissaire, symbole des travers de la construction européenne et menace de sa ruine. Alors que le vote du 17 juin sera déterminant pour l’avenir de la Grèce et de l’Europe, l’apparente liberté de décision du peuple grec masque une situation politique chaotique, qui n’est pas sans rappeler d’autres époques sombres du pays.

Le vote législatif du 6 mai 2012, a été un révélateur du mécontentement de la population envers sa classe politique. Il y eu 35 % d’abstentionnistes, et 20 % des votants ont portés leur suffrage sur des partis réalisant un score inférieur à 3 %. Les deux partis historiques le PASOK et Nouvelle démocratie (respectivement la gauche et la droite grecque), ont totalisé à eux deux 30 % des voix exprimées, du jamais vu dans l’histoire. Les deux vainqueurs sont l’extrême gauche qui devance le PASOK et « Aube dorée » le parti d’extrême droite. Ce vote constitue un vote sanction contre la droite qui a maquillé les comptes et la gauche qui a mis en place la politique d’austérité demandée par l’Europe et le FMI. Mais il bloque également la situation politique et entraîne les nouvelles législatives qui doivent se tenir le dimanche 17 juin.

Le parti arrivé en tête doit se charger de la formation du gouvernement. Or la fragmentation des votes n’a pas permis de dégager une majorité. Entre les deux partis traditionnels qui souhaitent adopter le plan d’austérité du FMI et les autres partis qui le rejettent et/ou demandent des renégociations, l’entente n’a pas été possible. De surcroît, chacun des partis pensant pouvoir accroître son score, cet échec n’est pas exempte d’intérêts politiciens. Résultat, un « gouvernement technocratique » (appellation qui semble devenir malheureusement répandue en Europe) gère les affaires courantes…

Ce blocage est la marque de la faiblesse de la classe politique, et par là, de l’Etat lui-même. Comme en Espagne, la fin de la dictature s’est accompagnée de l’intégration de la Grèce au sein de l’Europe, à coups d’aides au développement, d’investissements, en pensant que la démocratisation et l’assainissement de la classe politique suivrait. Toutefois, c’est plus le clientélisme et la corruption qui se sont développés, accompagnés parfois par les instances européennes qui n’ont pas ouvert les yeux, ou les banquiers de Goldman Sachs qui n’ont pas été clairs dans le maquillage des comptes publics récemment. Ainsi l’Etat ne détient pas en Grèce ce que Max Weber appelle le « monopole de la violence physique légitime ». En ultime recours, l’Etat démocratique est le seul à pouvoir exercer légitimement la violence sur son territoire, mais auparavant il doit détenir l’autorité administrative, éducative, fiscale etc. Or c’est exactement ce que l’Etat grec n’arrive pas à faire : faire payer l’impôt, retrouver les exilés fiscaux, mettre l’Eglise sous un même régime fiscal, assurer la sécurité de ses administrés. Le marché noir est important, les fonctionnaires ne sont pas formés contre l’évasion fiscale (contrairement à l’Italie), et les agressions contre les étrangers ou immigrés ont augmenté. Et cette situation de presque vacance de l’Etat et du pouvoir est très dangereuse.

Dans le Monde du 12 mai, Daniel Cohn-Bendit s’inquiétait : « L’espace politique s’est effondré en Grèce. Il s’agit de donner un signal d’espoir. Si on laisse les Grecs se débrouiller seuls, on risque un coup d’Etat militaire. La chute du niveau de vie sera encore plus dramatique». Effectivement un contexte de crise économique et politique n’est jamais bon. Et la Grèce a connu deux périodes de dictature dans son histoire récente, où les mêmes causes provoquent les mêmes effets. D’abord le régime dit du « 4 août » de 1936 à 1945, instauré par le général Metaxás après une période d’instabilité du Parlement.Et l’instauration de « la dictature des colonels » de 1967 à 1975. Suite à l’élection de « l’Union des centres » dirigé par Papandréou (père), celui-ci veut remettre à sa place l’armée.Mais le roi Constantin le renverse grâce à des défections politiciennes de ce parti, puis après une suite de paralysies, sans alliances, avec un gouvernement technique et la vacance du pouvoir, l’armée prend le pouvoir. C’est malheureusement les causes de tous les régimes autoritaires qui se nourrissent de crise économiques et/ou instabilité économique.

Ainsi Konstantinos Plevris président de l’Aube dorée, une des figures émergentes des dernières élections, avait été arrêté à la fin de la dictature des colonels, en tant que membre du « Parti du 4 août »… la boucle est bouclée. Il déclare aujourd’hui suite aux élections : « l’heure de la peur a sonné pour les traîtres à la patrie », et un de ses députés a agressé et frappé deux députées le jeudi 7 juin en direct à la télévision.

Pressés d’adopter des mesures d’austérité, les grecs vivent comme un déni démocratique le fait de recevoir des injonctions du FMI ou de la commission européenne, alors qu’ils jugent que c’est leur classe politique qui est responsable de la situation. On ne peut malgré tout leur donner tort, car si certains peuvent frauder, au marché noir par exemple, le premier responsable est l’Etat et la classe politique qui doivent avoir le monopole légitime de faire respecter les lois. Or ce sentiment de déni, de perte de confiance est périlleux pour un peuple démocratique. Et la Grèce comme nous-mêmes ne pouvons ignorer ce fait.

Pour Platon (lequel préférait l’aristocratie des philosophes-rois à la démocratie), le régime démocratique place la liberté au centre de tout : « ce bien-là, tu entendras dire dans une cité gouvernée démocratiquement que c’est le bien le plus beau et que pour cette raison, la cité démocratique est la seule où un homme libre par sa naissance jugera digne de s’établir » (livre 8 de la République). Et au nom de sa défense, le peuple est prêt dans les pires moments à s’en remettre à un tyran, car en effet la tyrannie succède pour lui à la démocratie. Or actuellement celle dernière est ressentie comme menacée au niveau individuel comme collectif : par l’impression que les grecs ne maîtrisent plus leur destin en tant qu’individus et à l’échelle nationale. Mais surtout que leur place au sein de l’Europe est remise en cause, d’où la tentation de réappropriation de leur destin en choisissant des extrêmes. Espérons donc que cette Grèce « secrète » ne bascule pas, et qu’elle soit suffisamment présente dans notre « cœur » pour ne pas la pousser à bout non plus.

 

Bruno

 

 

 

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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8 Commentaires

  1. Excellent article Bruno. Une seule correction. La dictature du régime de 4 août, date à laquelle le Premier Ministre ayant obtenu le vote de confiance de la quasi totalité de députés – seuls 15 députés avaient voté contre, dont les 13 élus du Parti Communiste et le grand-père de l’ex-premier ministre Yorgos Papandreou – a duré jusqu’à la fin avril de 1941, aquand l’armée nazi est entrée à Athènes et installé un régime de collaborateurs.
    Pour le reste les choses sont telles que tu les décrit. Perte de confiance à la classe politique et à la raison.
    Pour le reste, SYRIZA, la Coalition de Gauche Radicale qui, jusqu’il y a quelques semaines, était une confédération de pâles copies de groupes trotskystes dea an »es ’30 peine à devenir la nouvelle colonne vertebrale du centre-gauche grec. Pari extrêmement dificile à gagner, d’autant plus que la droite alemande, néerlandaise et filandaise, parient sur l’expulsion exemplaire de la Grèce de l’Eurozone et de l’Union Européenne, pour masquer l’échec de la politique d’austérité qu’elles ont imposé à l’Europe.

  2. Il y a une « Europe » dont les Peuples ne veulent plus (je vous mets au défi de les consulter par référendum…!!),
    c’est :

    1/L’Europe dont l’exécutif n’a jamais été élu,mais coopté au sein d’une oligarchie constituée du groupe Bilderberg (Hermann Von Rompuy par exemple…),de la trilatérale,du Siècle,de Goldman Sachs (Le « club » des « Mario »par ex.) , au mépris des notions les plus élémentaires de la Démocratie ?

    2/L’Europe,dont le « parlement » est une farce, car privé du droit le plus élémentaire de tout parlement démocratique,le droit de faire les lois (même le régime Iranien est plus démocratique sur ce plan que l’UE… !!),lequel droit a soigneusement été accaparé par l’Exécutif non élu ?

    3/L’Europe,dont le fonctionnement est régi par le « traité de Lisbonne »,texte qui a été démocratiquement rejeté par les quelques Peuples (dont le Peuple Français,à 54%,et qui représente la deuxième puissance de l’UE) qui ont été autorisés à se prononcer par voie référendaire ?

    4/L’Europe,dont l »indépendance » de la banque centrale,n’est en fait que l’indépendance envers les Peuples Européens,mais en fait constitue une dépendance totale envers GOLDMAN SACHS et les BANKSTERS, grâce à l’article 123 du « traité » de Lisbonne,qui impose aux états Européens de se financer auprès des banques privées à des taux USURAIRES,faisant de la dette publique une prison pour les Peuples ?

    5/L’Europe du « MES »,qui n’est rien d’autre que la création ex-nihilo d’un conglomérat BANKSTER de DROIT PRIVE (!!!),et à l’abri de toute poursuite judiciaire sur ses activité,(immunité judiciaire totale pour tous ses acteurs,ce qui laisse augurer toutes sorte de malversation à grande échelle…!!)
    Le « MES » n’étant que la partie émergée d’un nouveau HOLD-UP sur le dos des populations…!!

    6/L’Europe,enfin,de l’OTAN
    (ORGANISATION TERRORISTE ATLANTIQUE NORD), guerrière, agressive,arrogante,criminelle ( cf. la Libye et la ville de Syrte par ex., ou bien la guerre en Afghanistan) et qui signe notre soumission totale à l’Empire Etat Unien ?

    Cette « Europe »,les Peuples Européens n’en veulent plus !!

    Et encore moins sur un mode « FÉDÉRAL » !!!

    Alors oubliez dès maintenant vos illusions…

    Et s’il vous plait,épargner moi les arguments « à deux balles » ou à « deux euros » (!!!) du genre « repli sur soi » ou « manque d’ouverture »…pas à moi qui ai travaillé dans toutes les régions du monde et qui parle trois langues Européennes …

    • Du tout. Nous sommes une organisation qui promeut une europe démocratique et sociale. Techniquement, c’est une europe fédérale. Mais il peut tout aussi bien exister (et il existe largement) une europe fédérale technocratique et relais de l’industrie financière (pour les USA c’est moins vrai: voir Irak). a ce type de fédéralisme, nous nous opposons. Nous ne sommes donc pas fédéralistes par principe, ni partisans de l’Europe existante. Nous menons un combat politique vers une Europe de progrès. Notre reproche principal aux forces du Non est, dans la vraie vie, de ne pas mener ce combat et de se contenter de grognonner.

  3. Cher Arthur,

    Vous écrivez: »Notre reproche principal aux forces du Non est, dans la vraie vie, de ne pas mener ce combat et de se contenter de grognonner. »

    Il me semble que les six points que j’ai soulevés dans mon précédent post ne relèvent pas du « grognonage ».

    Ces six points sont purement factuels,ils constituent l’âme,la charpente de cette construction inique que constitue l’UE.

    Comprenez,cher Arthur,qu’à la vue de ce qui nous est imposé,nous rejetions avec la plus grande force toute idée d’aller « plus loin » dans ce projet,vers une Europe « plus fédérale ».

    Les « T.I.N.A. » des
    euro- fédéralistes sont d’ailleurs de moins en moins opérants,même si la politique de la peur,utilisée en Grèce,par ces « représentants » de l’UE pour influencer le vote des Grecs (au mépris,là encore,de tout principe Démocratique…)a encore fonctionné le WE dernier.

    Bien sûr,en ce qui concerne l' »intégration fédérale » de l’UE, nous nous attendons à un passage en force,selon la « stratégie du choc »…

    Mais vous voulez débattre de l’UE,vous ne pouvez pas contourner ces six points.

    Sachez enfin,que l’on ne fait rien de durable contre la volonté des Peuples.

    • Rebonjour,

      ça dépend de votre position. Si vous militez pour une destruction de l’Union européenne, c’est une chose. Nous sommes en désaccord, mais ça arrive en démocratie. Si vous voulez « pas cette Europe là » mais une autre, alors ma question est: au-delà de votre dénonciation de ces points, que nous partageons pour partie mais dont l’Europe n’a certainement pas le monopole (cf la puissance des différent lobbies en France bien nationale), que faites-vous concrètement? En ce qui nous concerne, nous cherchons à voir sur quel points on peut améliorer la démocratie, etc. Et nous faisons des campagnes politiques. La plupart des nonistes « de gauche » refusent de se colleter au monde européen. Or le combat est là, pas ailleurs.

      • La réponse à la question de « une autre Europe » réside dans le vote populaire et seulement là.
        Et puis pourquoi,une autre « Europe »?

        Est ce un dogme?

        Est ce obligatoire?

        TINA ???

        Je milite,en ce qui me concerne,pour un retour aux frontières de notre pays afin de garantir le périmètre de la démocratie.

        L’expérience UE nous prouve tous les jours que l’abandon de la souveraineté résulte en un abandon de la Démocratie car nous n’en maîtrisons pas le périmètre.

        Désolé,mais il aurait fallu soumettre toute décision de transfert de souveraineté,tout traité, au vote populaire direct,par voie référendaire.

        Cela n’a pas été fait,et risque de condamner pour longtemps,non seulement l’UE actuelle car elle n’a pas la légitimité populaire,mais également à l’avenir toute prochaine tentative d' »union »,quelle qu’elle soit.

        (cf.la scandaleuse ratification du traité de Lisbonne,contre le vote des peuples. )

  4. D’accord… donc on revient sur le débat dedans / dehors… Eh bien nous sommes en désaccord, mais cordial je l’espère 🙂

  5. Battant le rappel dans les coulisses, sonnant la charge comme le tocsin, prenant en responsabilité les affaires publiques, les serviteurs de la République administrent la cité dans le respect des valeurs républicaines et démocratiques. Est-il besoin de préciser qu’est « POLITIQUE », ce qui est « relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée, au gouvernement d’un État ». « Il ne sert à rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la Terre », écrivit François MAURIAC. Face à la menace du réchauffement climatique, et si nous cessions enfin de regarder « ailleurs » ?

    Au-delà de la diplomatie apaisante antidote à la cruauté des mots, le « Kern » de Res publica, l’essence même de la chose publique, pose la cruciale question des conditions de survie de l’espèce humaine, eu égard les continuelles dérives écologiques, économiques et sociales traversant la société contemporaine. Avocate et ancienne Ministre de l’environnement, Corinne Lepage livre une réflexion sans concession dans son essai intitulé Vivre autrement: « savoir marier temps court et temps long. Survivre dans l’un et l’autre n’a pas le même sens. Mais, il est inimaginable de sacrifier la survie à long terme au très court terme, comme il n’est pas pensable de ne pas répondre concrètement à l’immédiat, faute de quoi il n’y a pas d’avenir ». La naissante génération de « responsabilisation environnementale » a l’ imminent devoir d’assurer la « capacité des générations présentes à satisfaire leurs besoins sans compromettre l’aptitude des générations futures à couvrir leurs propres besoins ».

    Actrice de la paix et garante de la prospérité, l’Union européenne, élabore démocratiquement un projet européen d’intégration de l’énergie conciliant responsabilité sociale et croissance économique. Quelles sont les pierres angulaires de la réforme globale obéissant aux impératifs du développement durable ? Harmonisée à l’échelle communautaire, une nouvelle politique fiscale du carbone ouvrira la transition vers une économie à « basse intensité en carbone », car une politique fiscale idoine sert d’instrument destiné à faire évoluer les comportements. Oswald SPENGLER écrivit: « la technique est la tactique de la vie ». Sachant la fragilité de la Terre, notre « maison commune », devons-nous mettre un terme aux pillages des ressources naturelles (sources énergétiques et matières premières comprises), pouvons-nous changer la technique par l’intégration de nouvelles normes induisant ipso facto des comportements écologiquement soutenables. Forte de sa conscience environnementale, une nouvelle société de « responsabilisation environnementale » exprimant son fort besoin de vivre autrement gagne « un degré de supplément d’âme ». Sortons de l’inertie ambiante, retrouvons la voie de l’audace énergétique, veillons à l’intégrité et à la transparence du marché de l’énergie et mettons un terme définitif aux abus de marché. Faisons fi du passé, lequel n’ayant d’autre fonction que d’expliciter pour quelles raisons notre modernité s’inscrit, soit dans une rupture soit dans une continuité, portons sans plus attendre un ambitieux projet européen de l’énergie combinant efficacité énergétique, intégration au marché européen, déplacement technologique, sécurité de l’approvisionnement et renforcement de la dimension extérieure. Afin d’enrayer les risques, intégrons très en amont 3 points de vigilance: la gestion des réseaux, la sécurité énergétique et la cohérence des politiques d’achat de gaz. Le sursaut européen s’avère d’une vitale nécessité et il débouchera sur une société régénérée au sein de laquelle les citoyens incarneront la génération de la « responsabilisation environnementale ».

    Pierre-Franck Herbinet

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