La « question » migratoire : naufrage des valeurs européennes ?

58 personnes, soit moins d’invités qu’à votre mariage.

58 personnes qui ont fui la Lybie, se sont retrouvées en mer dans une situation dramatique, avant d’être secourues par l’Aquarius, dernier navire affrété par les ONG SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières autorisé à sillonner la Méditerranée afin de porter secours aux migrants.

58 êtres humains, « refusés » (nouvelle entrée dans le dictionnaire : « refuser quelqu’un » lorsqu’il est question des droits fondamentaux) par l’Italie, qui se détourne sans vergogne de ses obligations internationales, puis par la France sous couvert – confortable et contestable – de respect du droit de la mer, avant d’être « acceptés » par Malte. Depuis la fermeture des ports italiens cet été, la nation des droits de l’Homme n’a jamais accepté de laisser débarquer des navires humanitaires.

Dès lors se pose la question de leur répartition, eux qui – rappelons-le – sont des personnes. Ils affrontent chaque jour l’objectivation du chiffre. Ils ne sont plus une personne, dotée d’un prénom et d’une identité, mais un numéro avec lequel « il faut faire », noyée dans la marée grand remplaçante. Comment faire pour répartir 58 personnes dans un continent qui comprend 512 millions d’habitants ? Non, ce n’est pas une plaisanterie, même si cette question semble aussi limpide que certains sujets de dissertation de philosophie à en juger par les mines déconfites des membres du gouvernement français.

Résultat : un sommet européen a été organisé il y a trois semaines pour, au bout de 2 jours de négociations directement entre les capitales, aboutir à une répartition entre… la France (18 personnes), l’Allemagne (15), l’Espagne (15) et le Portugal (10). 4 pays pour 58 personnes, le risque d’envahissement est effectivement indéniable.

L’Aquarius se retrouve ainsi, pour la troisième fois cette année, au cœur d’une crise diplomatique née d’une question simple, mais qui cristallise tout le paradoxe européen actuel : où débarquer ? Le dernier navire humanitaire en Méditerranée pourrait sous peu (re)devenir un bateau pirate, le Panama ayant décidé de lui retirer son pavillon, sans lequel il lui sera impossible de repartir en mer. Un Etat, européen je vous prie, aurait-il le courage de lui en octroyer un nouveau ?

Ces différentes crises illustrent la logique du cas par cas qui prévaut : aucune réelle politique migratoire européenne ne parvient à être mise en place, chacun accusant son voisin d’être plus fautif que lui, dans un fonctionnement totalement contraire à l’esprit de coopération et de solidarité voulu lors de la fondation de l’Union européenne. Cette cacophonie des futurs 27 alimente allègrement le discours des populistes de tous bords, qui se délectent à chaque polémique et ne cessent de gagner du terrain dans toute l’Europe…

Solen Menguy
Solen Menguy
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13 Commentaires

  1. Il me semble encore plus inquiétant que nous, qui croyions (encore?) dans la nécessité et la possibilité d’une UE démocratique, solidaire, ouverte nous nous arrivons pas à nous faire entendre et proposer une réelle alternative à l’agonie en cours du respect des droits humains.
    Pour finir, la Commission européenne, peut-être avec l’avaldu PE, pourrait proposer à l’Aquarius d’isser le pavillon de l’UE.

    • Bonne idée ce pavillon encore faudrait-il qu’il y ait le début d’une once de réflexion sur une politique migratoire commune !
      Malheureusement nos représentants actuels pensent plus aux conséquences nationales de leurs positions, influencés en cela par l’individualisation prônée par un capitalisme libéral forcené, qu’à s’unir avec leurs collègues européens pour réfléchir à cette politique.
      Une nouvelle démonstration d’une UE qui stagne sur les problématiques sociétales et n’arrive, pour l’instant, qu’à l’aboutissement d’un marché commun doté d’une monnaie unique.

    • L’idée d’un pavillon estampillé « UE » mérite en effet réflexion.

      En rebondissant sur le thème, permettez-moi une modeste évocation historique qui, aujourd’hui, a sans doute été un peu perdue de vue, en dépit de sa haute valeur symbolique: à savoir qu’à la fin des années 70 un voilier à l’emblème de « Sail for Europe » et appelé à participer à de nombreuses compétitions avec un équipage multinational portait le nom de « Traité de Rome ».

  2. Bel article !

    La France était la nation des droits de l’Homme.
    Depuis peu en effet, nous faisons une distinction subtile entre les droits humains et les droits de l’Homme.
    Nous ne pouvons pas, apparemment, être « en même temps » la nation des droits de l’Homme et accéder à des droits humanitaires. Comme nous allons « en même temps » défendre la langue française en parlant de cette langue en swahili, en russe ou en anglais.
    Excusez-moi mais dans ces cas, pour moi, la complexité a tout d’un paravent schizoprhénique.

    • Je partage votre avis sur la qualité de l’article… tout en souhaitant bénéficier de quelques explications complémentaires de votre part au sujet de la « distinction subtile existant depuis peu » entre les droits humains et les droits de l’homme.

      J’étais en effet resté sur une explication peut-être simpliste mettant en évidence que:

      – la formulation « droits humains » permettait de surmonter la connotation de « genre » attachée aux termes « de l’homme »

      – cette même expression correspondait à l’anglais apparemment plus neutre et générale de « human rights ».

      Merci donc d’éclairer ma lanterne sur la subtilité dont vous vous faites l’écho. Ce sera tout bénéfice pour les étudiants auxquels j’inflige des réflexions sur les « valeurs » de l’UE.

      • Bonjour,

        Merci de me demander cette précision. Le distinguo que je ressens personnellement est assez subtil mais est issu de mes différentes lectures et tire son impression de la sémantique politique. Pour ma part il n’y a pas de différence entre Droits de l’Homme et droits humains.
        A l’attention de vos étudiants, je voulais dire que notre pays s’enorgueillit toujours d’être la patrie des Droits de l’Homme et d’en assumer la paternité alors que dans les faits ces derniers temps, il tente plutôt.de s’en exonérer, voire de les oublier, en tout cas de ne pas trop s’en vanter.
        Concernant les droits humains, j’aurais d’ailleurs du écrire devoirs humanitaires, elle y accède et les remplit encore, en traînant les pieds et par le fait même de l’existence des Droits de l’Homme.
        Mais ne parlons pas de cette notion même mieux, oublions là pour la remplacer par le devoir (comptable) de faire preuve d’un peu d’humanité, au risque de choquer l’opinion. Le pays ne permet plus un accès aisé à des Droits qu’il a lui même établit mais il fait (encore) son devoir en négociant les migrants comme des marchandises d’importation.
        Il y a là à mon sens une grande perte de valeur républicaine et de rayonnement à l’international de la France en tant que patrie de ces Droits.
        Avec ce glissement sémantique, que peut-être je suis seul à percevoir, un jour, avec un autre gouvernement, la France pourrait « oublier » ses devoirs.

        • Merci pour ces précisions. Je crois comprendre que l’explication « sémantique » que je tentais de donner à l’effacement de la dénomination « droits de l’homme » au profit de celle de « droits humains » conserve une certaine valeur.

          Je note par ailleurs que la « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » incorporée au Traité de Lisbonne depuis 2007 a prudemment contourné la difficulté en utilisant précisément dans son intitulé les termes « droits fondamentaux ».

  3. Toujours les mêmes constats, toujours les mêmes lamentations, toujours les mêmes arguments.
    Mais personne ne répond à ces questions, pourtant légitimes :
    – l’opinion publique est-elle favorable pour accueillir de nouveaux réfugiés ?
    – a-t-on jamais posé la question de savoir si les « européens » acceptaient ces « nouvelles » immigrations ?
    – est-il vraiment pertinent de tenter d’imposer l’accueil de ces migrants, dans un pays qui compte des millions de chômeurs, auquel, par ailleurs, on impose déjà des centaines de milliers de « travailleurs détachés » ?
    – comment se fait-il que ces migrations soient devenues un état de fait ? Sauf erreur, le terme « migrants » a fait son apparition il y a quelques années seulement. Jusque-là, les arrivées d’émigrés étaient quasi inexistantes, n’étaient pas un problème, ne faisaient pas les unes des médias.
    – sauf erreur toujours, ces migrations sont plus ou moins les conséquences des interventions illégales et répétées de l’OTAN au Moyen-Orient, auxquelles les populations européennes étaient majoritairement opposées, malgré les « justifications » relayées continuellement dans les médias. Nous aurions, ainsi, probablement pour « réparer », un « devoir » d’accueil ?
    En réalité, il y a une différence évidente d’échelle entre les migrations historiques que la France a connu, que la population acceptait, qui ont permis d’accueillir et d’intégrer un nombre significatif de migrants qui souhaitaient s’établir dans notre pays et devenir Français, et ces vagues massives, permanentes, de migrants, soutenus par des ONG mais pas par les pays, qui viennent, pour les meilleurs chercher un cadre de vie plus sûr et, pour les moins bons, pour tirer du pays le maximum possible d’avantages, en n’ayant aucune intention de s’assimiler, ou peut-être même sans réel respect pour notre pays…
    Comme d’habitude, on n’obtiendra aucune réponse à ces questions pressantes (dont on connaît en gros les réponses) et on continuera imperturbablement à maudire la xénophobie de nos concitoyens et leur intérêt croissant pour des partis politiques « populistes » et méprisés.

    • Vous dites que personne ne veut vous donner une réponse à vos questions, je vais donc essayer de vous en donner une.
      1. Des enquêtes visant à savoir si les « européens » acceptent les nouvelles migrations existent.
      2. En général la majorité des personnes n’y sont pas favorables. Toutefois, ces personnes estiment majoritairement aussi que les immigrés sont deux fois plus nombreux qu’ils ne le sont réellement. L’avis est donc fondé sur une désinformation importante.
      3. Le chômage existerait sans les immigrés.
      4. Le problème des travailleurs « détachés » existe. Ceux qui en tirent un profit injustifié sont avant tout les entrepreneurs locaux.
      5. Le terme migrants est en effet trompeur. Il regroupe les réfugiés politiques, économiques et écologiques, le regroupement familial, les étudiants étrangers, etc. Vous n’indiquez pas de qui vous parlez.
      6. Le lien que vous établissez entre les 5 millions de pauvres et l’immigration induit en erreur. Les immigrés ne sont pas à l’origine de la pauvreté et leur arrivée ne maintient pas les français dans la pauvreté. C’est la politique générale de la France qu’il faut analyser. Un exemple : la fraude fiscale de 100 milliards par an représente une fraude de 20 000 euros par an pour chaque pauvre ! De quoi mettre fin à la pauvreté sans aucune action par rapport à l’immigration. Pourquoi ne pas indiquer cette donnée dans votre analyse ?
      7. Votre explication politique fondée sur des opérations « illégales » est simpliste. Les raisons de l’immigration sont en effet multiples. Les gens ne s’expatrient pas de gaieté de cœur.
      8. Oui, la France s’est engagée à accueillir les réfugiés politiques par la signature de la Convention de Genève. Pour mettre en œuvre cette Convention, elle doit examiner toutes les demandes présentées – ce qu’elle fait dans de très mauvaises conditions aujourd’hui.
      9. Le regroupement familial et les étudiants étrangers font partie d’échanges habituels entre États. N’oublions pas que de nombreux français bénéficient d’un accueil à l’étranger.
      10. Il n’est pas vrai que les migrations passées étaient auparavant bien acceptées par la population locale. Au contraire, les immigrés ont toujours connu la discrimination et le refus. Dans le passé, tout comme aujourd’hui, on ne veut pas accepter l’étranger, on invente plein de prétextes et on désinforme la population. Non, l’immigration n’enlève pas le travail, ne fait pas baisser les salaires, ne coûte pas cher à la société, ne représente pas un risque pour « l’identité nationale », ne représente pas une vague massive qui viendra submerger le pays.
      11. Non, les immigrés ne viennent pas pour profiter du système. La grande majorité voudrait rester chez elle si les conditions y étaient acceptables.
      12. Tout ceci a été confirmé par des études, mais la désinformation persiste. Ceux qui soignent cette désinformation essaient d’en tirer profit et d’accaparer le pouvoir, d’affaiblir la démocratie et de museler la liberté de la presse.
      13. Oui, la xénophobie existe réellement (le racisme aussi). Elle est basée sur une mauvaise connaissance des chiffres réels de l’immigration, une peur de l’étranger, un manque de connaissance et l’égoïsme. Ceci s’est manifesté tout au long de l’histoire – ici et ailleurs.
      14. On oublie que les européens ont jadis émigré en nombre et ont été contents de pouvoir le faire, même s’ils ont été discriminés dans leurs pays de destination – car ils y étaient des immigrés !
      15. Voici donc ma réponse. Vous pouvez y réagir si vous voulez. Je m’en tiendrai là.
      16. J’ai oublié de préciser : je suis un immigré.

  4. Moins nous réfléchirons au niveau européen au « comment accueillir » et accompagner, comment faciliter l’intégration, et plus nous génèrerons de sentiments de rejets. Les situations où nous avons (mal) accueilli des migrants étaient radicalement différentes, qu’on le veuille ou non : Il y avait d’abord une proximité culturelle forte, et surtout un contexte de besoins de main d’œuvre qui permettait de donner une place au populations qui fuyaient la misère où le fascisme.
    Le contexte est totalement différent aujourd’hui, où la « misère économique » de plus de 5 millions de pauvres en France (pour ne prendre que ce pays) par exemple rend mois soutenable l’effort à consentir par des populations qui sont de fait en relégation sociale et n’acceptent plus d’être laissées sur la touche alors qu’on déploie tant d’efforts pour des peuples qu’ils ne comprennent pas.
    On peut toujours se draper dans un bel idéal de terre d’accueil, encore faut-il que cette terre ait de quoi offrir des perspectives d’intégration durables, et là, on en est bien loin.

  5. Gandhi a dit un jour que notre planète à de quoi toute l’humanité, mais pas asses de richesse pour satisfaire l’égoïsme d’une seule personne. Voilà où nous sommes. Cela je le dis non pas pour donner des leçons mais uniquement afin que nous puisons nous libérer des nous propres bandeaux d’égoïsme qui nous rendent aveugles et sourds aux souffrances des nos proches : les 5 millions de pauvres en France et les quelques desperados qui essaient de travers la Méditerranée.

  6. Dans le souci de faire apparaître deux points de comparaison quant à l’ampleur de l’accueil que la France a pu réserver à des émigrés dans un passé relativement lointain, je voudrais mettre en évidence juste deux éléments statistiques:

    – on estime qu’à la fin de la Guerre d’Espagne près de 500 000 Républicains s’étaient réfugiés en France (la « Retirada »)

    – en 1962, ce sont environ 800 000 « Pieds Noirs » qui ont quitté l’Algérie devenue indépendante pour gagner l’ex-Métropole. Certes, la plupart d’entre eux ne sont pas à considérer comme des « étrangers » par rapport à la France, mais ce mouvement de grande ampleur n’a pas été sans quelques répercussions – à commencer par la hausse du prix de l’immobilier qu’il a entraîné (bien que jeune à l’époque, j’en ai été le témoin)… et je ne parle pas de la situation, encore préoccupante aujourd’hui, de ceux que l’on a appelé les « Harkis », musulmans ayant choisi l’exil.

    Il me semble que ces chiffres sont sans commune mesure avec les 58 passagers de l’Aquarius…

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