La République en marche doit enfin parler de politique

Où va La République en marche (LRM), le mouvement d’Emmanuel Macron ? Personne ne peut nier l’urgence gouvernementale et la nécessité d’aller de l’avant. Le besoin que nous avons d’une Europe qui protège, rassemble et mobilise conduit justement à privilégier le souci d’une crédibilité européenne à toute autre préoccupation. Les défis sécuritaires et économiques auxquels notre pays est confronté semblent indiquer tout naturellement la voie à suivre. Mais cela ne peut faire oublier les limites du mouvement En marche ! Improvisé, il n’a pas encore su s’organiser. Se définissant négativement, par ce qu’il n’est pas, il peine à dire ce qu’il est. Il a réussi plusieurs coups gagnants, lors de la présidentielle puis des législatives : mais au prix d’ambiguïtés qui vont maintenant se dissiper, sauf à avoir des députés godillots. Impossible. Et pour les sénatoriales, l’essai n’a pas été transformé. Les grands électeurs sont restés méfiants et, dans l’ensemble, fidèles aux vieux partis. Il y avait aussi une fronde réelle des collectivités locales, car la mesure des enjeux territoriaux a été sous-estimée. La recomposition annoncée du paysage politique ne s’est donc qu’à moitié accomplie, et déjà l’on voit les forces politiques d’hier, quoique aux prises avec des difficultés internes, relever la tête. La droite conservatrice se rétablit plus vite qu’on aurait pu le croire du naufrage où l’a entraînée François Fillon – et elle a réussi à colmater la brèche des  » reconstructeurs « .

Se doter d’une doctrine fondatrice

Quant à la gauche, il faudra bien prendre acte du fait qu’elle a fourni l’essentiel des cadres et des militants d’En marche ! Certes, ces militants viennent d’une gauche non dogmatique, sociale-libérale ou démocrate si l’on veut, mais d’une gauche qui n’est pas près de renoncer à un idéal d’équité sociale, qui ne croit pas que le marché et la mondialisation libérale soient à eux seuls la solution, et qui pense que la nouvelle croissance doit d’abord répondre au risque climatique. Une gauche, enfin, qui refuse l’idée du tout-sécuritaire et qui croit à la capacité de la -société civile à fournir ses réponses propres. Bref, une gauche qui n’est pas sociale-étatiste. C’est cette gauche-là qui a fait le macronisme et qu’on a vue se lever avec ferveur, et même se porter avec bienveillance à la rencontre d’une droite réformiste.

Or, cette gauche-là est aujourd’hui désemparée : l’enthousiasme et l’énergie sont en défaut de perspective et de sens. Où va-t-on ? Les ordonnances réformant le droit du travail ont certes donné lieu à une vaste concertation, et proposent d’assouplir des rigidités sclérosantes. Mais ne faudrait-il pas dès maintenant prévoir la durée au bout de laquelle l’efficacité de ces mesures pourra être évaluée et esquisser d’ores et déjà les sécurités en contrepartie pour les travailleurs ? La sortie de l’état d’urgence et son intégration dans le droit commun exigent, outre l’efficacité opérationnelle, la protection des libertés individuelles. Bien sûr, ce gouvernement est démocrate, mais un autre, demain ? La clause de revoyure proposée dans les débats est une bonne idée. La baisse des APL, la suppression d’une partie des emplois aidés sont peut-être des nécessités budgétaires ; mais dans l’immédiat, de quel projet ces mesures sont-elles solidaires, même pour demain ? Le recentrage de l’ISF sur l’investissement productif est très certainement une bonne chose. Il faudra faire revenir – une partie, ne rêvons pas – les 60 à 80 milliards d’euros évadés chaque année. Mais la consommation de luxe relève-t-elle de l’investissement productif ?

C’est symbolique, direz-vous. Mais qu’est-ce que la politique, sinon, aussi, et parfois d’abord, du symbolique ? Bref, il faut fixer une stratégie et se doter d’une doctrine fondatrice qui aille au-delà de nos rangs. A cet égard, il faut bien dire qu’il est nécessaire de parler politique dans En marche ! – pas seulement de mesures ou de dispositifs, mais de projet, d’orientations et même de valeurs. Quelles alliances voulons-nous construire ? Pour quoi faire ? Le succès, décisif, d’Emmanuel Macron a été de marginaliser en France la réponse populiste nationaliste, qui continue de gagner du terrain en Europe, ainsi que la réponse populiste radicale. Mais pour y faire pièce durablement, c’est une grande alliance démocrate qu’il s’agit de conforter, des sociaux-démocrates, écologistes et démocrates-chrétiens aux libéraux, à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne. Il faut faire vivre la promesse démocratique et sa force d’égalité et de solidarité, sa capacité inclusive, son attachement à la paix. A LRM de réunir les siens et de convaincre les autres de la nécessité de cette fondation, sans prétention ni hégémonie, et, tout simplement, d’être fidèle à son nom.

 

Jean-Pierre Mignard et Joël Roman sont les présidents fondateurs de Sauvons l’Europe. Tribune publiée dans le Monde du 11 octobre 2017

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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6 Commentaires

  1. (J’ai déjà envoyé cette réponse directement à JP Mignard)
    J’ai été surpris par votre tribune dans lemonde.fr du 11/10. Je pense que En Marche fait de la politique depuis le début, sans être un parti, plutôt un rassemblement de bénévoles et d’élus chanceux mais « godillots » et interchangeables. Et une politique de droite bien affirmée, peut-être « moderne » mais je ne sais pas bien ce que cela veut dire, peut-être simplement dans son enthousiasme managérial plus rapide à nous amener vers l’abîme!
    La gauche qui a effectivement fourni pas mal de militants à En Marche ne s’y retrouverait pas, mais franchement, vous avez pu croire que Macron était de gauche? Il est bien « apolitique, c’est (à dire) quand on est de droite, qu’on n’ose pas encore le dire mais qu’on ne ment déjà plus en disant être de gauche » (ce n’est pas de moi). Evidemment ceux qui se forçaient à croire encore que Valls était de gauche et que Hollande faisait une politique de gauche n’ont pas été difficiles à convaincre!
    Que fallait-il faire à ces présidentielles qui ont poussé à l’extrême ce système monarchique, en plus, perverti maintenant par les primaires qui poussent les convaincus à se faire plaisir hors de toute chance de rassembler? Se faire plaisir en votant Hamon, tout de suite lâché par le gouvernement censé être du même bord? Pourquoi pas si on a une âme d’opposant éternel! Choisir Macron dès le premier tour comme l’a fait majoritairement la gauche socialiste déjà pour qu’il soit au second et ne pas avoir le piège absolu de se retrouver avec Melenchon contre Le Pen avec en plus la certitude que ce serait la seule opposition qui ferait élire Le Pen à coup sûr. Et voilà comment, moi comme bien d’autres, on se retrouve « couill… »!
    Pourquoi « couill… » si comme je le dis on est lucide depuis le début? Parce que j’espérais que Macron soit intelligent, pas l’intelligence de bien faire sa publicité, de bien réussir sa carrière, mais celle de comprendre qu’un monde où les happy-few sont de plus en plus happy et de plus en plus few, où 62 personnes possèdent autant que la moitié des humains, où ce nombre est divisé par 5 en 5 ans, où en 1 an le footballeur le plus cher voit son prix multiplié par 2, où les droits télé du football suivent une exponentielle positive à 2 chiffres, est anormal, mais surtout sans issue! L’intelligence de se rendre compte que notre humanité qui peu à peu progressait, revient en arrière vers la servitude et l’obscurantisme, vers un retour au religieux le plus obtus, vers un travail de plus en plus précaire, vers une existence low-cost pour ceux qui ont la chance de ne pas être pauvres, dans une Terre de plus en plus dévastée.
    Mais Macron n’est pas Chaban-Delmas qui après mai 68 avait compris qu’il fallait changer mais en cherchant le plus possible de consensus pour que ces changements soit acceptés et défendus par le plus grand nombre possible. A la décharge de Macron, Chaban-Delmas avait connu les combats et le bouillonnement d’idées de la résistance, Macron n’a connu que le monde de la finance et les ministères, il y a mieux pour aiguiser son intelligence!

    12/10/2017 Jean-Louis Rambion
    citoyen français et européen
    mais aussi d’Occitanie Pyrénées-Méditerranée et du monde
    3 enfants, 4 petits-enfants, retraité de l’enseignement
    aucune décoration

  2. Très déçue par votre tribune et je rejoins largement Jean-Louis Rambion dans ses commentaires.
    Avec quelques nuances, cependant. Par exemple je n’ai jamais espéré que Macron « soit intelligent » au sens où il l’entend. Il m’avait suffit de lire son CV pour en être convaincue.

    Par ailleurs, vous écrivez « Personne ne peut nier l’urgence gouvernementale et la nécessité d’aller de l’avant. » Eh bien, désolé, moi je nie. Alors le « Personne » est de trop. Je nie, parce que « aller de l’avant » signifie suivre la direction actuelle dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne nous mène pas vers « le bonheur commun » de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen …

    • Mais chère Julie, le bonheur commun passe par des clés fondamentales et incontournables :

      1/ Tenir nos engagements sur l’endettement. Si on laisse faire alors on se vassalise auprès de nos créanciers. La vraie souveraineté s’obtient dans ce sens. Des extrémistes veulent ignorer la dette et nous parlent de souveraineté….
      2/ Obtenir une France forte car c’est toujours d’elle que viennent les propositions en Europe. Quand Sarkozy ou Hollande venaient proposer telle ou telle réforme, on leur demandait aussitôt de tenir déjà leurs engagements.

      3/ Résoudre la fraude fiscale : Inutile de sortir de Saint Cyr pour comprendre que l’harmonisation fiscale européenne est la clé pour résoudre la fraude fiscale. Les Google et compagnie seront obligés de casquer plutôt que de jouer sur nos divisions !

      4/ Si le bonheur commence par faire baisser fortement le chômage alors il faut créer de l’activité (usines, bureaux etc…) . Mais pour cela, il faut des investisseurs. Or la France ne représente que 1% de la population mondiale ! Donc les investisseurs potentiels sont d’abord étrangers. Pour qu’ils investissement en France plutôt qu’ailleurs, que faut-il ? Il faut juste s’aligner sur les moyennes (taux imposition) et avoir une main d’œuvre libre de pouvoir s’adapter aux changements via la formation ! C’est la clé !
      Ainsi le flux de création d’entreprises devient grand par rapport au flux des départs ou arrêts. Inutile de perdre son temps à se lamenter et retenir celles qui veulent partir.

      5/ Un projet libéral incluant l’humanisme avec des règles strictes, dans un monde devenu connecté, il faut plus que les 1% de Français pour imposer cela au monde. Il faut toute l’Europe ! C’est le vrai rêve de MACRON et plus modestement, le mien ! D’où ses propositions qui vont dans ce sens.

      Voilà, pour atteindre plus de bonheur, il faut passer par ces mesures et ce dans le cadre de la bienveillance. Tout projet de type franco-français (type Mélanchon ou Lepen) mène à la Corée du Nord,

      Le monde est devenu connecté et nous devons penser à nous y insérer avec nos valeurs et nos compétences.

  3. La gauche quand elle est au pouvoir est obligée de suivre les diktats de Berlin… et ne peut plus pratiquer une politique de gauche, même modérée. La loi du marché, si on la suit vraiment, implique des politiques austéritaires et avec l’argent tout puissant, la satisfaction des investisseurs est le but ultime de toute la politique suivie en Europe. ;Macron est dans ce créneau-là…
    Les Grecs payent encore aujourd’hui durement le prix de leurs emprunts successifs, et sont en train de ne payer que les intérêts de leur dette qui mathématiquement se creuse chaque jour un peu plus… je me demande comment ils acceptent encore ce jeu macabre. Et la France et l’Allemagne en sont les premiers bénéficiaires

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