Nous avons donc un accord pour la prise d’effet réelle du Brexit. Sans aucune surprise, l’essentiel de la négociation s’est traduit par une acceptation des conditions européennes. Il y’a trois mois, voici littéralement ce que nous écrivions :
Ce qu’il dit à un instant ne renseigne en rien sur ce qu’il fera le jour suivant. […] On l’avait vu au moment de la signature de l’accord de retrait de l’Union européenne, quand il avait provoqué la chute de Theresa May en honnissant le texte qu’elle négociait, avant de multiplier les déclarations martiales, mettre fin aux négociations et signer soudainement un Traité plus dur pour son pays que celui qu’il avait repoussé.[…] On pouvait s’attendre à voir se répéter ce processus pour l’accord final entre Europe et Royaume-Uni : pas de négociation, puis un blocage sur la date de fin de discussion à mi-octobre, puis des déclarations très martiales sur… la pêche, maquereau brandi en conférence de presse. […] Ceci d’autant plus que le pays n’a absolument pas été préparé à un No-Deal et ne dispose pas des capacités de contrôle douanier nécessaires, même de loin. On s’orientait donc vers une acceptation en dernière minute par Boris Johnson des propositions européennes qu’il n’a jamais pris la peine de négocier, et l’angoisse montait plutôt sur la difficulté technique à respecter le calendrier.
Au-delà de quelques péripéties, c’est finalement exactement ce qui s’est joué. Et cet déroulement était prévisible, parce qu’il s’est déjà déroulé il y’a un an lors le l’accord de sortie. Surtout, chacun pouvait constater que le gouvernement de sa gracieuse Majesté ne préparait pas techniquement le No Deal : pas d’infrastructure, pas d’administration pour le gérer, pas d’instructions au secteur privé. Quand la France a testé la mise en place de son logiciel douanier à la frontière pendant une journée, un chaos a paralysé les routes du Kent sur une centaine de kilomètres. Il n’y a pas eu de test d’un logiciel britannique, parce que ce logiciel n’existe pas et n’est même pas encore en développement. La solution officielle annoncée était donc soit de déplacer les contrôles aux frontières du Kent, soit… de ne pas contrôler. La fermeture des frontières avec la France il y’a quelques jours devant la crainte d’une nouvelle souche du coronavirus n’a fait que confirmer la totale impréparation britannique à un No Deal, ce qui n’est le cas de l’Europe que dans une moindre mesure. Et comment penser que Boris Johnson, dont l’absence de conviction profonde est du domaine public, allait forcer un No Deal que son gouvernement a dédaigné de préparer ? A partir de là, tout n’est qu’habillage politique.
Le cœur de la négociation était bien entendu le caractère équitable de l’échange : les britanniques demandaient un accès sans réserve au marché européen, sans appliquer les normes sociales et environnementales notamment, ou les aides d’Etat. Ceci ouvrait donc le spectre d’un dumping fiscal, social ou environnemental.
Short break from intense 🇪🇺🇬🇧 negotiations in London.
Went looking for level playing fields… pic.twitter.com/2X4jbygorI
— Michel Barnier (@MichelBarnier) November 12, 2020
Mais de fait, on comprend la demande de Boris Johnson : soit il perd un accès sans contrôle au marché européen, dont on a vu qu’il ne l’a pas préparé, soit il applique les normes européennes et sa souveraineté retrouvée n’est qu’une fumée. La solution trouvée est à la fois imaginative, et un cauchemar bureaucratique à terme : les produits conformes aux normes de production européennes entrent sans difficulté, les produits qui s’en écartent sont frappés d’un droit de douane compensatoire. Le génie consiste à conserver la souveraineté de chacun en faisant évoluer avec le temps le cadre de l’accord aux choix respectifs des gouvernements britanniques et, bien sur, européens. Tant qu’ils restent alignés sur une classe de produits particuliers, ou lorsqu’ils le redeviennent, la circulation de ces biens est libre. Quand ils divergent au contraire, cette classe de bien est taxée pour sauvegarder la compétitivité des producteurs européens. La voie est donc ouverte pour une sortie progressive du marché unique, le Royaume-Uni restant d’abord intégré sans friction, puis s’en écartant au fur et à mesure de ses décisions de gestion de son économie.
Comme prévu, la pêche a été le point d’achoppement majeur de la négociation, car le chiffre du quota est compréhensible et très symbolique, donc politiquement coûteux. En réalité, non seulement la pêche est négligeable pour l’économie britannique, mais les pêcheurs britanniques en sont quasiment absents : l’essentiel des quotas britanniques est vendu à de grandes entreprises étrangères. Il était donc aisé de préserver le quota des petits pêcheurs sans sacrifier aucune substance de l’accord.
Il aurait pu être utile de permettre à Boris Johnson de sauver la face sur ce volet de la négociation, mais ce serait oublier que les gouvernements français, espagnols, irlandais et hollandais rencontrent les mêmes pressions de leurs opinion publique. Ils appartiennent à une grande puissance mondiale dans le domaine commercial, et les britanniques n’y appartiennent plus. Ce sont donc ces derniers qui ont cédé.
Difficile de dire mieux.
Parfaite analyse !
Je ne suis pas convaincu par cette analyse . Je pense que les forces du marché mondial et anglo saxon en particulier vont servir de point d’appui à un lobbying constant du UK pour imposer ses normes à l’Europe , avec la complicité des Allemands qui ont besoin du libre échange international pour son industrie , et des Hollandais , les commerçants par excellence , toujours alliés objectifs des Grands Bretons! N’oublions pas l’histoire .Il y a beaucoup de flexibilité dans l’accord et le UK en profitera au maximum .