L’affaire Barroso devient politique

Début juillet, l’ancien Président de la Commission et premier ministre du Portugal José Manuel Barroso et la banque  Goldman Sachs annonçaient leurs noces. La réprobation morale était unanime, mais les institutions se résignaient dans l’instant à considérer que le respect formel d’un délai de 18 mois entre sa sortie de fonction et sa nouvelle vie de « conseil » donnait tout droit à M Barroso de suivre sa nouvelle carrière.

Nous avons estimé que cette première réaction était un peu légère et rapide. En pratique, au -delà de l’effet désastreux sur l’opinion, nous avons comme avocat de la City dans les négociations du Brexit le précédent Président de la Commission. D’un point de vue extrêmement basique, la confiance qu’il est possible d’avoir dans le caractère protecteur des institutions est est immédiatement ébranlée. Le trouble ne fait que s’accroître si l’on veut bien se rappeler que face à Michel Barnier, José Manuel Barroso s’est fortement investi en tant que Président sur la réforme des marchés financiers européens, et pas forcément dans le sens d’un meilleur contrôle ni d’une plus stricte régulation.

Nous avons donc immédiatement réagi en recherchant des parlementaires européens qui souhaitent porter ce combat à travers une déclaration écrite du Parlement européen. Ce travail a nécessité deux semaines et nous sommes heureux de pouvoir annoncer que, début août, cette déclaration écrite a été déposée par les députés suivants: Pervenche Berès (S&D), Sylvie Guillaume (S&D), Emmanuel Maurel (S&D), Julie Ward (S&D), Hugues Bayet (S&D), Karima Delli (Verts/ALE), Eva Joly (Verts/ALE), Sven Giegold (Verts/ALE), Gérard Deprez (ALDE), Fabio De Masi (GUE/NGL). Nous tenons à les remercier chaleureusement de s’être emparés de ce sujet!

Passée la torpeur estivale, le dépôt de la déclaration écrite a été enregistré et celle-ci est désormais officielle. Les députés signataires ont également choisi de s’exprimer pour expliquer leur démarche auprès de Libération.fr.

 


La question posée par Barroso n’est désormais plus simplement celle d’un conflit d’intérêt individuel. Le Parlement européen étant saisi, elle devient parfaitement politique. Ceci est révélé par le fait que malgré nos efforts, ni nous-mêmes ni les députés ayant repris ce combat n’ont réussi à obtenir la signature d’un parlementaire membre du PPE, ce qui n’aurait posé aucune difficulté s’il s’était agit d’un cas d’éthique individuelle.

Le 5 septembre, la médiatrice européen adressait à M Juncker, Président de la Commission une lettre l’interrogeant sur les conditions dans lesquelles l’administration de la Commission a conclu à une absence de difficulté et sur les règles qui avaient été établies pour les rapports futurs de M Barroso avec la Commission. Dans sa lettre de réponse du 9 septembre, quatre jours avant la publication officielle de la déclaration publique, M. Juncker indique que les obligations de transparence de M Barroso ont été respectées, mais que comme tout lobbyiste il devra se soumettre aux obligations de transparence dans ses rencontres avec les membres politiques et techniques de la Commission. Il indique également avoir demandé à M Barroso son nouveau contrat de travail et avoir pris la décision de le transmettre au Comité d’éthique pour avis.

Compte tenu de la position initiale du PPE, la montée du sujet dans l’opinion publique et surtout la saisine officielle du Parlement européen a naturellement pesé dans cette position nouvelle du Président de la Commission en exercice. Nous nous félicitons que le voile de doux déni sur la normalité administrative de la situation commence à se déchirer, et que les institutions soumettent enfin ce cas aux règles normales de contrôle qui caractérisent et assurent un état de droit en Europe.

Il convient de s’assurer que cette pression ne retombe pas. Nous appelons l’ensemble des députés européens à signer cette déclaration écrite pour que la position du Parlement dans les institutions soit claire et que celui-ci soit dans ces circonstances un soutien vigilant de la nouvelle démarche de transparence de la Commission. Nous appelons également les citoyens à saisir leurs députés par courriers, mails ou sur les réseaux sociaux pour leur demander leur signature.

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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10 Commentaires

  1. Certes. Mais il faut comprendre deux choses :
    – 1. la contrainte juridique : le simple fait d’être recruté par G&S n’est pas en soi une infraction – sauf s’il peut être démontré que l' »acceptation de cette fonction est contraire aux devoirs d’honnêteté et de délicatesse »- ce qui n’est pas inconcevable mais doit être documenté,
    – 2 . la pratique constante : dans la plupart de nos États membres (et notamment en France) le « pantouflage » est devenu pratique courante; le passage dans le secteur privé de hauts fonctionnaires est banalisé, notamment dans le secteur financier. Ceci dit, il serait plaisant que, dans ce domaine, l’UE se montre plus responsable que les gouvernements et administrations nationales.

    Enfin il serait déplorable de donner à cette affaire une dimension politique gauche/droite. Il existe de meilleurs dossiers pour confronter les idées et progammes.

    JGGiraud

    • Pour une fois un désaccord
      -1 La contrainte juridique: selon les propres termes de la lettre de Juncker, la Commission ne disposait pas du contrat de M Barroso et n’a donc pas encore effectué son travail légal de vérification; nous ne sommes pas loin de penser qu’il s’agit d’un cas de mauvaise administration et c’est notre premier point. Le sujet n’est pas la personne de M Barroso, mais que les règles garantissant l’état de droit soient appliquées
      – 2 la pratique constante: nous visons précisément à la remettre en cause, non pas pour imposer une étanchéité, mais pour que les procédures qui atteignent un équilibre assez raisonnable soient en pratique appliquées (elles ne le sont que rarement). Là encore, Barroso n’est qu’un exemple particulièrement voyant.
      – 3 la dimension politique gauche – droite: nous ne l’avons pas recherchée, au contraire nous avons longuement suivi la quête d’un parlementaire PPE prêt à signer cette déclaration écrite pour lui conférer un caractère transpartisan, nombreux étant ceux qui nous confirment partager notre opinion, mais en privé. Nous n’y sommes pas parvenu et cette réserve est purement PPE. C’est un fait politique que nous pouvons difficilement ignorer.

    • Le pantouflage n’est pas uniquement une dérive française, ça se pratique partout !!! Et c’est ça qui constitue une honte ! Certains anciens politiques ont des salaires cumulés avec des 4,5,6 retraites (ou plus). Si au niveau de l’Europe entière des lois se mettaient en place réduisant ces pratiques, et ça ne serait pas difficile á mettre en place, les citoyens recommenceraient sans doute à croire que l’Europe est possible. Pour moi, j’instituerais que les retraites devraient commencer à être versées qu’á un âge commun pour tous. Et que si quelqu’un pouvait bénéficier de 4 ou 5 retraites, ce quelqu’un ne pourrait n’en recevoir qu’une seule, bien sûr, la plus vantageuse…
      Mais je sais que je rêve !!

  2. Soyons simples Messieurs
    Dans toute Loi il y a la lettre et l’esprit
    Barroso respecte la lettre (18 mois) mais certainement pas l’esprit.
    Ce type est tellement peu respecté qu’il devient le symbole de la turpitude.
    GS sent assez mauvais, et ajoutée à celle de Barroso, cette fragrance est assez proche de l’insupportable.
    Néanmoins, regardez autour de vous, regardez nos députés français qui négocient des prébendes avec diverses sociétés, il parait que c’est légal?
    On peut se payer un député en lui réservant quelques €uros, salaire ou honoraire.

  3. Les politiques devraient commencer à réfléchir sur ce qu’ils veulent vraiment faire quand ils s’engagent sur cette voie… s’enrichir personnellement avant tout (comme Barroso), ou tenter d’apporter des solutions à l’organisation collective, de manière à ce que l’équité sociale soit une réalité. Je ne parle pas d’une société égalitaire, mais d’une société où les chances de tous sont possibles, et que le fait qu’il y ait des riches (il y en aura toujours et c’est très bien) n’empêche pas que le minimum vital et la dignité soit assurée à tous, je dirais même que ça devrait en être la condition!

  4. ils font vraiment comme ils veulent ( pas tous évidement…..) Le
    Politique à travers ses faits et gestes n’a plus ce soucis de mettre en
    péril les institutions. Si des gens du moins la majorité ont un rejet
    de L’Europe c’est qu’il y a un problème d’image du politique qui
    représente le pouvoir autant que de la politique mise en place . Hors on
    voit que de ce coté la il y a une déresponsabilisation du politique, il
    se décomplexe depuis ces dernières décennies , il se laisse aller a des
    compromis des alliances des mots, des faits et des gestes qui peuvent
    choquer certes mais qui permettent de s’interroger s’ils font ça par
    maladresse ou bien s »ils s’en foutent de l’image qu’il renvoie parce
    que leur intérêt est prioritaire Ou même en choquant les médias
    parleront toujours d’eux ?

  5. « Un ministre, ça ne se vend pas ! Mais ça s’achète parfois », nous enseignait Raymond Devos avec sa subtilité légendaire… une réflexion qui peut être aisément transposée au-delà du concept strict de « ministre ».

    En complément de tous les commentaires – fort pertinents – qui ont été formulés à la suite de l’article d’Arthur, je souhaiterais faire valoir ces quelques considérations:

    1) Si l’ « affaire Barroso » fait grand bruit en raison de la position éminente occupée par l’intéressé (dans tous les sens du terme), on ne doit pas pour autant méconnaître qu’elle n’est pas la première du genre. Qui se souvient en effet du cas « Bangemann », du nom de l’ancien commissaire chargé de la concurrence (ironie du sort !) au sein de la Commission Santer ? On se rappellera que celle-ci avait démissionné collectivement en 1999 à la suite des remous provoqués, entre autres, par l’ « affaire Cresson ». Or, alors que, dans l’attente de la nomination d’une nouvelle Commission, le Collège Santer expédiait encore les affaires courantes, Martin Bangemann avait accepté un contrat avec la société espagnole « Telefonica ». Déjà à l’époque, son droit à pension avait été mis en doute et une saisine de la Cour de justice de l’UE avait été envisagée… jusqu’à ce qu’un arrangement à l’amiable ne vienne apaiser les passions.

    2) Autre ironie du sort: c’est sous l’impulsion de la Commission Barroso que le Code de conduite des commissaires avait vu le jour.

    3) L’article 245 du TFUE n’est pas une pure et simple innovation du Traité de Lisbonne: dans le cadre du Traité sur la Communauté européenne, qui l’a précédé, l’article 213 était porteur de la même philosophie. Certes, reste la question de la mise en oeuvre de cette disposition qui peut paraître peu sévère.
    Mais peut-être serait-ce une occasion privilégiée de clarifier et d’approfondir ce que sont les devoirs d’honnêteté et de délicatesse ?

  6. Bravo à tous les parlementaires qui ont signé cette excellente déclaration, qui sont maintenant 35! Que les députés PPE n’hésitent pas à signer eux aussi, avant d’être un combat contre Barroso, c’est un combat pour défendre l’Europe.

    Et n’oublions pas la pétition qui a déjà recueilli plus de 144 000 signatures: https://www.change.org/p/for-strong-exemplary-measures-to-be-taken-against-jm-barroso-for-joining-goldman-sachs-international

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