Depuis des années, nous entendons parler des PIGS (les porcs) ou GIPS (les gitans): le Portugal, l’Irlande (ou l’Italie), la Grèce, l’Espagne. Aujourd’hui ce sont les pays par qui le scandale arrive. Et une bonne part de notre classe politique d’imputer les difficultés européennes aux politiques irresponsables qu’ils ont suivi: endettement public ou privé, bulles… La cause est entendue, le fait que la Grèce n’a pas sa place dans la zone euro est désormais ouvertement assumée par de nombreux « responsables », et le jugement porté sur les autres pays n’est guère plus tendre. Prenons-en le contrepied.
Car ces quatre pays sont sans doute la plus belle histoire dont l’Europe puisse se vanter. On découvre ainsi au détour de lectures sur the Economist une information surprenante: la principale difficulté dans le développement de pays est moins la sortie de la grande pauvreté, pour laquelle les recettes sont somme toute connues, que la capacité à se hausser au-delà d’une situation moyenne pour se rapprocher du niveau de vie des Etats-Unis, c’est à dire entrer dans le club des pays développés. Jusqu’ici, la Chine tant vantée n’y est pas arrivée, elle reste à son niveau relatif d’il y’a 50 ans. Depuis 1960, seuls 13 pays ont réussi ce saut vers les pays développés. Et même en réalité 10 seulement si on retire 3 micro-pays qui constituent des anomalies statistiques (Guinée équatoriale, Puerto Rico, Ile Maurice)
Qui sont ces 10 pays? Le Japon, seul pays non occidental à avoir réussi indépendamment son industrialisation, l’Asie du Sud-Est (les Tigres développés à partir de l’industrie nippone), Israël (plus grand récipiendaire de l’aide internationale des USA) et quatre européens: Grèce, Irlande, Espagne, Portugal. Ce développement exceptionnel n’était concevable qu’avec un adossement à l’Union Européenne. Entre des institutions plus adaptées, l’entrée dans un marché plus grand, et des fonds de solidarité massifs, les éléments qui ont permis ce changement de monde pour les quatre GIPS sont étroitement liés à leur entrée dans l’Europe, puis dans l’Euro.
Est-ce un hasard si ce sont précisément les quatre pays en crise dans l’Europe de l’Ouest? Chacun aujourd’hui s’interroge sur les déséquilibres de la croissance chinoise. Mais la Chine n’a pas encore réussi une transformation de la même ampleur que les GIPS. Comment peut-on sérieusement imaginer que le bond extraordinaire qu’ils ont fait, la modification profonde de leur système économique, a pu advenir sans déséquilibres?
Il est facile, a posteriori, de reprocher ces déséquilibres à ces pays. Aurait-on préféré qu’ils restent des pays pauvres? Car bien que touchés par la crise aujourd’hui, ce sont désormais des pays riches. Le problème n’est pas que des déséquilibres aient existé, ils sont qu’on les a laissés perdurer. Une fois acquis le rattrapage grec, personne ne s’est inquiété de la fausseté de ses comptes publics, que tous connaissaient. La dépendance de l’Irlande au secteur financier n’a pas tiré de sonnette d’alarme. Et les banques françaises et allemande ont alimenté la bulle immobilière espagnole dans l’euphorie générale. La responsabilité est partagée.
Le véritable problème – de fond – de la zone euro est qu’elle ne s’est jamais donné les moyens de réagir à ces déséquilibres, ni de venir au secours de ces pays si ils devaient connaître des difficultés. La Grèce a beau s’enfoncer dans la récession, elle reste un pays riche qui pourrait financer sa solidarité nationale comme elle le faisant avec moins de moyens, si sa classe politique parvenait à un accord sur ce point. Le problème n’est pas le déséquilibre initial, il est la cure d’austérité imposée à ces pays. C’est la gouvernance européenne qui fait défaut. Au sein de la France, le soutien entre les différentes régions est automatique et ne fait pas débat. Soutenir les GIPS le temps qu’ils se remettent sur pied aurait coûté moins cher, à tout le monde.
Mise à jour du 27 juin: Nous découvrons avec étonnement que Paul Krugman a publié deux jours après notre article un éditorial allant dans le même sens, mais sous un angle différent: Il note que la Grèce et le Portugal ne sont pas astronomiquement loin du niveau de PIB/hab moyen de la zone euro (70%-75%), l’Allemagne étant pour sa part à 120%. Il constate que les écarts entre états sont proches et en fait un peu plus importants aux USA, et que donc en tant que zone monétaire, l’euro est « plat ». Ce qui manque à l’Euro selon Krugman: des transferts automatiques entre Etats (sécurité sociale, etc…)
Conçue et coordonnée par Laurence Cohen (Chimel), Directrice artistique de la Compagnie à Bulles et metteur en scène du Club Erasmus de la Maison de l’Europe de Paris pour la 3ème année consécutive, l’action La route du Fils » (programme Grundtvig de l’Union européenne pour la mobilité et la coopération dans l’éducation des adultes à travers l’Europe) à laquelle participe activement La Maison de l’Europe, s’articule autour de la Lettre au père » de Franz Kafka.
C’est à travers cette oeuvre écrite en 1919, parue en 1952, que diverses formes artistiques à Paris, Berlin, Vienne et Prague nous parlent de la parentalité, des conflits au sein de la famille, de la construction de soi en tant qu’européen, tiraillé entre plusieurs cultures, plusieurs langues et une éducation parfois complexe.
Il s’agit de tracer « une route européenne du fils », celle de Franz, en cherchant ensemble des outils communs de transmission et de savoirs.
Autrement dit : comment amener aujourd’hui de jeunes européens à réfléchir ensemble sur ces sujets « intergénérationnels » à travers des pratiques artistiques (théâtre, écriture, débat, mise en scène) ? Quelle est la place de l’art dans ce cadre ?
Les partenaires (formateurs et apprenants) qui participent à cette action d’ envergure, se retrouveront à chaque étape de l’action tour à tour acteurs et spectateurs.
Ce projet est réalisé avec le soutien du Programme d’Education et de Formation Tout au Long de la Vie de la DG Education et Culture de la Commission européenne.
Pierre-Franck HERBINET
Le lien vers la manifestation mentionnée au paragraphe précédent:
http://www.paris-europe.eu/spip.php?rubrique130
Mettre sur le même plan la Grèce et les autres ex-pays pauvres européens est profondément injuste pour ces derniers: si votre analyse est à peuprès fondée sur les quatre autres PIGS/GIPS (même si vous sous-estimez le rôle majeur des Fonds structurels européens), vous oubliez délibérément que les Grecs de tous milieux n’ont jamais réellement payé leurs impôts: qui a été en vacances dans ce pays magnifique a pu constater que les caisses enregistreuses ne sont guère employées dans les boutiques et restaurants, que la Fonction publique (y compris fiscale et hospitalière) y est gangrenée par la corruption…. Savez-vous que les cheminots y sont surpayés alors que les chemins de fer sont inefficaces et coûtent à l’Etat le double ou le triple de ce que coûtent leurs homologues européens… L’Allemagne vient de proposer de passer d’un schéma de solidarité d’assistance aléatoire au cas par cas dans un cadre intergouvernemental à un schéma de solidarité d’action structurelle et de responsabilité partagée dans un cadre communautaire. Pourquoi la France refyse-t-elle cette avancée alors qu’elle a toujours réclamé une gouvernance économique commune de la zone €uro? est-ce parce qu’il faudrait mettre en commun un certain nombre de compétences nationales? est-ce parce que cela obligerait la France à se montrer enfin responsable sur le plan fiscal?
Il y’a quelques interrogations sur la signification exacte de « responsable sur le plan fiscal ». C’était le cas des GIPS hors Grèce avant la crise. Le six-pack, qui suit un ensemble de déséquilibres, dont le déséquilibre des comptes publics est plus intéressant. Par ailleurs je ne sous-estime pas l’impact massif des fonds structurels, bien au contraire (je parle de fonds de solidarité dans l’article). A noter que la convergence des pays de l’Est est également en train de se faire (avant la crise en tout cas), avec des fonds structurels bien moins importants que ce qui a été accordé aux GIPS.
Un désaccord cependant sur l’exception grecque: je parlerai plutôt de miroir grossissant. Quel est l’état de l’administration des impôts dans le sud de l’Italie? De l’administration dans une bonne part de l’Europe de l’Est? Des systèmes bancaires irlandais et espagnols, et je le parle pas de rations de solvabilité, mais d’absence de contrôle? Ce sont des sujets qui se posent à l’ensemble de l’Europe, ce qui demande de faire plus loin – ou autrement – que les propositions allemandes aujourd’hui sur la table.
Certes, on peut « aller plus loin » que les propositions allemandes…Mais avant d’aller plus loin, au moins faudrait-il aller « jusque là », or la France le refuse: elle se complait dans une logique de solidarité d’assistance au lieu de vouloir uns soldarité d’action STRUCTURELLE, elle se satisfait de l’aléa intergouvermental (qui permet aux marchés de faire semblant de s’interroger sur la volonté des Européens) au lieu d’aller vers une solution communautaire impliquant le parlement européen et la Commission… Ma question portait sur les raisons de cette timidité française, au moment où Paris « relance! relance! » à la manière dont le choeur des soldats de « Faust » chante « Marchons! marchons! » sans bouger d’un pouce…
Là dessus nous sommes en accord. Les propositions Allemandes sur l’évolution structurelle de la gouvernance vers la démocratie sont sérieuses, et pour l’instant sans réponse du côté français. Sauvons l’Europe se prépare à travailler sur ce point, mais c’est une surprise!
Oui, travaillez bien Arthur, car je crois ausi que nous devons continuer à construire notre Europe, comme modèle de justice et de bien-être social pour le reste du monde, et j’ose espérer que les chafouillages du Brexit seront un bon avertissement pour les Européens que je veux encore croire assez sensés pour vouloirnotre union !!!
Paul a en grande parie raison ! Hélas la tradition gaulliste de souveraineté nationale a été et est catastrophique ! Ce n’est qu’une « pseudo » souveraineté ! Le problème est que l’Allemagne avec Merkel et la CDU ne propose pas en même temps qu’un pas vers l’intégration budgétaire un autre pas vers l’intégration fédérale et surtout un rôle plus important au élus du peuple, donc au Parlement ! Sans intégration économique et plus démocratique, la zone Euro et l’Europe « Unie » n’iront que de crises en crises !
Merci de cette brillante mise au point. C’est exactement ce que je répète autour de moi.
J’ajoute qu’en 1992 nous savions qu’il manquait un gouvernement économique et financier de la zone euro, mais l’Allemagne ne voulait pas entendre parler. On disait alors qu’à la première crise, cette évidence s’imposerait, même à l’Allemagne. Mais ce que nous voulons, c’est un gouvernement démocratique, pas de passer sous les fourches caudines d’un pays toujours si sûr de sa vérité.
Nos voisins sont nos amis, pas nos adversaires, encore moins nos ennemis. Portugal, Irlande, Grèce, Espagne, vous méritez notre confiance, par principe et pourvu que l’on se donne la peine de vous aider. Nul n’a le monopole de la vertu ou de l’intelligence.
Nuance:L’Allemagne ne voulait pas entendre parler d’une conception dirigiste et interventionniste « à la française » d’une gouvernance commune..!
Le système qui régit l’économie allemande est différent…et efficace, celui de l’ordo-libéralisme: on se fixe des règles communes de bonne gestion publique, on régule le secteur privé tout en respectant l’économie de marché, on adopte des stratégies industrielles concertées public-privé… et on respecte les règles communes.
L’Allemagne propose de s’inspirer de ces « méthodes », mais n’entend en aucun cas imposer un quekconque modèle, contrairement à ce que raconte la classe politique française… Celle-ci, il est vrai, n’a pas l’habitude de respecter les règles communes…!
Quant au respect dû aux Etats membres en difficulté, il se manifeste jour après jour avec la solidarité concrète qui leur est apportée… Il faut cependant respecter AUSSI le contribuable allemand qui est à la fois le contributeur principal et le « payeur en dernier ressort »(PDR) de cette solidarité, alors même qu’il doit financer jusqu’en 2017 les coûts de la réunification… Et ça, cela mérite une responsabilité partagée et pas seulement un vague respect verbal ..!
Ceci dit, je lis ici :
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2012/06/zone-euro-ce-que-veut-lallemagne.html#more
« À la suite du traité de Maastricht de 1992, les Allemands ont fait deux offres d’union politique aux Français, conscients que l’euro ne pouvait fonctionner durablement sans union politique : en 1994, deux députés de la CDU (chrétien-démocrate), Wolfgang Schäuble et Karl Lamers, ont proposé au gouvernement d’Édouard Balladur de créer un noyau dur européen fédéral (Kerneuropa). Celui-ci n’a même pas répondu. En 2000, Joschka Fischer, le ministre (vert) des affaires étrangères allemand, a plaidé pour la rédaction d’une Constitution fédérale. En 2002, Jacques Chirac en a accepté le principe, mais a été incapable de gagner le référendum de 2005. »
Et cela ne doit pas être oublié dans nos débats.
Plusieurs choses intéressantes ont été dites ci-dessus…
Pour rappel, tout d’abord: l’Allemagne ne voulait pas de l’€uro au départc’est la France (F. metterrand étant présdident) qui a voulu l’€uro « en contrepartie » de la réunification allemande, pour « garder un oeil » sur l’Allemagne. L’Allemagne a accepté à la condition que la Banque Centrale européenne (BCE)soit organisée et régie de la même façon que la Bundesbank, i.e. indépendante en premier lieu, pour échapper au dirigisme et à l’électoralisme observé dans d’autres Etats membres.
Autre rappel, l’ordo-libéralisme (respect de règles communes) est le résultat d’un réaction réfléchie aux conditions de crise économique et sociale des années 20 et 30 qui ont conduit au nazisme. Ces règles et leur adaptation au monde économique réel ont fait le succès de l’économie allemande…
Ce n’est pas le seul gaullisme souverainiste qui est responsable de l’absence de réponse positive actuelle de la France: c’est avant tout le dirigisme interventionisme qui remonte à Philippe Auguste, renforcé désormais par l’existence d’une nomenklatura française de plus en plus structurée et fermée sur elle-même. Evolution à laquelle il convient d’ajouter une conception idéologique de l’économie (« économie administrée ») et de l’exercice du pouvoir. Une conception à la quelle les notions de subsidiarité zt/ou d’exercice partagé ou commun du pouvoir sont étrangères depuis plusieurs siècles..
Dès la négociation du Traité de Maastricht , l’Allemagne avait proposé une union politiquie sous contrôle démocratique du Parlement européen. C’est le Président eur qui a refusé. Encore aujourd’hui, les propositions allemandes d’une Europe plus solidaire, mieux intégrée et plus transparente(envers le Parlement européen)sont encore récusée pr la France…Idem lorsqu’elle a renouvelé ses propositions .! On se retrouve au ponint de départ avec le refus français d’exercer en commun la souveraineté économique qous le contrôle démocratique du Parlement européen et des parlements nationaux… J’ai parfois l’impression qu’en France, pays dont les élites invoquent l’Histoire lorsque cela les arrange, on oublie certains faits… Par idéologie ? Pour le confort de la nomenklatura parisienne qui a peur de perdre ce qui lui reste de pouvoir et qui invoque la « souveraineté du peuple » pour se protéger..?
Et c’est précisément le combat que nous essayons de mener dans notre propre pays. Pour nous, l’europe a amassé tellement de pouvoirs qu’il n’est plus admissible qu’elle ne soit pas pleinement une démocratie. Notre classe politique nationale n’aime pas trop cette possibilité, dès lors qu’on dépasse le pur discours. Il faut « l’accompagner ».
En état de droit écrit, quand ça ne marche pas, on change de droit. Voilà 20 ans que vous essayez de faire marcher l’Europe avec la Pensée-Unique, et la crise ne fait qu’empirer. Mais pas question de changer ; entêtons-nous !On en crèvera, mais on aura le fierté d’avoir tenu bon ! On est pas des girouettes, bon sang !
Il a fallu mille ans pour faire la France… Donc, s’étonner que l’Union européenne ne soit pas totalement au point après soixante ans d’existence me semble relever de l’impatience d’avant-Noël d’un jeune enfant turbulent…
Il a fallu autant de temps pour faire un peuple de France… En 1907, le ministre de l’Intérieur Clemenceau pouvait encore envoyer des conscrits du Nord de la France tirer sans hésitation sur des vignerons du Languedoc…parce que ces derniers leur semblaient… »étrangers »..!
Qu’appelle-ton Pensée Unique ici? L’économie de marché choisie par tous les pays du monde sauf Cuba, la Corée du Nord et le Venezuela…avec les méthodes bien connues pour faire accepter la pénurie aux peuples?
Pourquoi, dans tous les débats franco-français, rencontre-t-on ce genre d’éructations montrant qu’une large fraction des Français et de leurs « élites » vivent encore dans le village d’Astérix, i.e. ignorent ce qui se passe hors de l’Hexagone? Le problème de l’Europe, c’est qu’il y a une distance croissante entre les pays qui ont fait à temps les réformes nécessaires pour adapter leur appareil de production et leur modèle social aux évolutions du monde, et les autres (dont la France)qui ont refusé toute évolution..! Le problème de l’Europe, c’est qu’il y a un Etat membre qui propose de substituer un schéma de solidarité d’action structurelle dans un cadre communautaire au schéma de solidarité d’assistance aléatoire et au cas par cas dans un cadre intergouvernemental (mis en place dans l’urgence en 2008-2011), et que d’autres (dont la France) n’en veulent pas…Que vient faire la notion de Pensée Unique? Quel contenu lui donnez vous en France, tant on a l’impression que son évocation -même hors de props comme ici- sert surtout à justifier l’immobilisme !
C’est difficile d’avoir un débat argumenté en France..!
En faveur d’une plus grande intégration politique, le futur supposant un engagement, la France et l’Allemagne motorisent l’Union européenne avec pour objectif commun, la volonté politique d’une Europe unie. Dans l’intérêt des générations ultérieures, la génération de transition impulse la création d’un nouvel espace de réalisation de projets et le retour de la confiance en notre avenir. Et si nous le construisions ensemble ?
Pierre-Franck Herbinet
Fort bien… Mais que faire, si la France refuse l’Union fiscale et surtout budgétaire proposée par l’Allemagne… ? Et ce,alors que la France a demandé une gouvernance économique de la zone €uro ? Certes, cette gouvernance « à la française » se voulait dirigiste et interventionniste, ce que ne voulaient pas les autres Etats membres… Mais maintenant que la nouvelle gouvernance proposée reposerait sur des règles s’imposant à tous, la France ne voudrait plus avancer?
Alors, se pose la question léniniste (!): QUE FAIRE ? Que faire si la France freine à nouveau , comme elle l’ a fait en 2005 et plusieurs fois auparavant ?
Depuis de nombreuses années, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour parcourir l’Europe à la rencontre de ses peuples, et ce qu’ils me disent n’est pas tout à fait la même chose que ce que l’on entend à Bruxelles ou à Strasbourg. En outre, on n’a pas la même vision à Berlin et à Athènes, à Madrid ou à Bologne, et pas la même non plus à Athènes et à Larissa, Ioannina ou Leonidio. Je crois qu’il est grand temps d’écouter les peuples d’Europe, pas simplement la voix de leurs dirigeants.
Quelques remarques sur la discussion: PENSEE UNIQUE
Pierre Bellanger
« Voilà 20 ans que vous essayez de faire marcher l’Europe avec la Pensée-Unique, et la crise ne fait qu’empirer. Mais pas question de changer; entêtons-nous !On en crèvera, mais on aura le fierté d’avoir tenu bon ! »
Paul l’expatrié
« Qu’appelle-ton Pensée Unique ici? L’économie de marché choisie par tous les pays du monde sauf Cuba, la Corée du Nord et le Venezuela…avec les méthodes bien connues pour faire accepter la pénurie aux peuples? »
Je crois effectivement qu’il faut expliquer à notre ami Paul qui donne dans la caricature: « Cuba, Corée, Vénézuéla » ce qu’est la pensée unique: il ne s’agit nullement d’économie de marché »; il s’agit de l’ultra-libéralisme financier qui se nourrit de la spéculation (entre autres sur la dette des états) et est en train de détruire l’économie réelle: délocalisations, fermetures, licenciements, chomage, ce cercle infernal. (Le linguiste Claude Hagège contribue de façon intéressante à ce débat avec son livre « Contre la pensée unique », en l’abordant du point de vue linguistique)
L’allemagne est (encore ?) relativement à l’abri car elle dispose d’un tissu dense de PME qui fabriquent des produits de qualité qu’elles exportent. La Grèce n’a pratiquement pas d’industrie. La règle absurde imposée par la globalisation du « toujours moins cher » fait que l’on laisse pourrir les oranges à Leucade au pied des orangers, parce que les ramasser pour les vendre reviendrait plus cher que les importer du Maroc ou d’ailleurs. Ce n’est pas par l’agriculture non plus que le pays pourra s’en sortir.
Je ne peux pas non plus laisser dire que » que les Grecs de tous milieux n’ont jamais réellement payé leurs impôts: qui a été en vacances dans ce pays magnifique a pu constater que les caisses enregistreuses ne sont guère employées dans les boutiques et restaurants,… ».
Je l’ai constaté aussi parfois, mais ce n’est pas là le noeud du problème:
1) les armateurs et autres Grecs richissimes ont déposé dans les banques suisses l’équivalent en milliards de la dette grecque, sur lesquels ils ne paient évidemment pas une drachme d’impôts. 2) L’église orthodoxe, richissime elle aussi ne verse pas non plus un kopeck à l’état. 3) Le budget militaire grec est exorbitant sans aucune justification, mais pas question de le réduire de moitié car les armes sont fournies … par la France et… l’Allemagne.
Cette incompréhension germano-grecque me rappelle une nouvelle d’Heinrich Böll, que notre ami Paul l’expatrié – s’il parle allemand comme je le suppose – connaît sûrement: « Anekdote zur Senkung der Arbeitsmoral » (anecdote pour saper le moral au travail: traduction libre).
J’ajoute: quelle solutions peut avoir un état comme l’état grec pour contraindre les fraudeurs à payer leur dû, alors qu’un état puissant comme l’état français n’y parvient même pas ?
La solution est peut-être celle que préconise l’écrivain Petros Markaris dans son dernier roman: Περαίωση, l’achèvement:
Un individu qui se proclame « l’encaisseur d’impôts national » somme les fraudeurs de régler leur dû à l’état dans les 5 jours; passé ce délai leur vie est en danger (« risque l’achèvement »). Après la découverte du 2e cadavre de fraudeur dans un site archéologique, tous les fraudeurs s’empressent de régler leur dette et une manifestation de soutien à « l’encaisseur national » se déroule à Syntagma.
Le problème grec est structurel: l’impôt n’y pas vraiment perçu… Le problème français est différent : l’impôt et la dépense publique y sont les plus élevés d’Europe. En outre, à la différence des pays scandinaves, la dépense publique française est stucturellement inefficace. En effet, seuls 20% sont des dépenses d’investissements, le rete des dépenses de fonctionnement… La fraude fiscale –limitée– en France peut être perçue comme une sorte de « soupape de sécurité » pour éviter que le fraudeur lui-même et ses revenus ne quittent le territoire national face à cette situation…!
La financiarisation de l’économie n’a eu valeur de « pensée unique » qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni…dès ses débuts sous l’ère Reagan-Thatcher et sous l’influence de l’Ecole de Chicago. Ce n’est pas un hasard si la crise a démarré en 2008 aux Etats-Unis sous forme de crise financière, avant de devenir multidimensionnelle en s’internationalisant…
L’Europe en tant que telle a échappé pour une large part à ce mode de fonctionnement à cause de l’Allemagne essentiellement. Ce pays a en effet voulu préserver son secteur industriel du court-termisme inhérent à la financiarisation…
Si j’ai un peu caricaturé la notion de « pensée unique », c’est que j’ai eu l’impression que Pierre usait de ce terme de façon idéologique, donc sommaire, et non de façon factuelle et scientifiquement définie…
Par ailleurs, si les enjeux et contraintes ne sont pas perçus de la même façon à Taormina, Madrid , Berlin ou Paris (même chose entre Dallas, New-York, San Francisco ou Chicago), il esxiste un Parlement européen dont le rôle ne demande qu’à être renforcé… C’est d’ailleurs le sens d’une partie des propositions allemandes. D’où mon interrogation: pourquoi la France y est-elle opposée ?
Les problèmes structurels que vous évoquez (eglise et armateurs dispensés d’impôts, budget miltaire sur-dimensionné), ne sont qu’un des éléments de cet Etat sans Nation qu’est la Grèce, de ce pays sans civisme dans tous les milieux, de ses solidarités locales /claniques exclusives de tout autre solidarité, de ce clientélisme strucurel au niveau « national »… Toutes choses qui ne sont pas propres à la Grèce puisqu’on les observe sur tout le pourtour méditerranéen où elles constituent un obstacle au développement économique et social…
Désolé, mais là encore, je vous trouve caricatural.
La Grèce est un pays que je connais bien et dont je parle la langue et dont les habitants ont conservé cette hospitalité caractéristique des grecs anciens: Philoxenia. J’en reconnais bien entendu les problèmles spécifiques.
Ce n’est certainement pas un état sans nation; c’est plutôt une nation sans état, en tous cas avec un état qui ne fonctionne pas. L’austérité sans précédent imposée au peuple grec par la troïka (retraite à 380€, smic à 400€, baisse de 40% du salaire des fonctionnaires: faut-il supprimer tous les profs ?) est tout aussi inacceptable que celle que le Traité de Versailles a imposé au peuple allemand, avec les conséquences que l’on sait… les peuples ont la mémoire courte !
Le peuple grec est un petit peuple courageux qui a beaucoup souffert dans son histoire récente. Près de 4 siècles d’occupation ottomane, la « Turcocratie » comme on dit en grec, qui explique, entre autres, la méfiance séculaire des Grecs à l’égard de l’état. Dictature de Metaxas à partir de 1936, occupation nazie particulièrement brutale, guerre civile de 1946 à 1949, dictature de la junte des colonels de 1967 à 1974… Qu’a fait l’Europe pour les Grecs à l’époque de cette dictature ? RIEN; comme d’habitude l’Europe suivait Washington qui soutenait les colonels.
Quelques remarques en vrac pour terminer:
1) Où en serait le « deutsche wirtschaftliche Wunder » aujourd’hui s’il n’y avait pas eu le Plan Marshall ? Où est le Plan Marshall européen pour la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande (pas trop méditerranéenne, elle) ? Cela dit, je suis bien d’accord avec vous, la politique industrielle allemande qui s’appuie sur les PME et privilégie la qualité me semble être la seule voie possible pour sauver l’industrie en Europe.
Je vous cite: « les enjeux et contraintes ne sont pas perçus de la même façon à Taormina, Madrid , Berlin ou Paris (même chose entre Dallas, New-York, San Francisco ou Chicago) ».
Une petite différence quand même: à Dallas et Chicago, on parle la même langue: ça facilite nettement la compréhension.
3) Mélanger tous les peuples de la Méditerranée, de cultures, d’histoire, de religion, de traditions, de langues différentes me paraît pour le moins DANGEREUX.
Conclusion:
Je suis un européen convaincu et de longue date. Mais nous ne ferons pas l’Europe sans SOLIDARITE entre ses peuples. N’abandonnons pas l’Europe aux délires des financiers !
Je suis également pour une Europe INDEPENDANTE !
La solidarité ne peut être indéfinimment une solidarité d’assistance délivrée dans l’urgence au cas par cas. La solution proposée par Berlin est celle d’une solidarité d’action et de responsabilité partagée, sans quoi le contribuable allemand se détournerait de l’€uro et de l’Europe… Si ces schémas de solidarité existaient déjà ,[des schémas qui exigent une « mise en commun et un partage de souveraineté(s) » (et non des « abandons de souveraineté » comme l’on dit en France pour ne rien changer)], les sacrifices demandés aux Grecs auraient été bien moindres car ces schémas auraient été perçus –au moins en partie — par les créanciers comme des garanties.. Pourquoi la France se montre-t-elle si réticente à l’égard de cette perspective ? That’s the question…
Le rôle du Plan Marshall? la grèce a été le premier (pour les montants) et le principal (pour la durée) bénéficiaire des Fonds structurels européens, loin devant le Portugal –cité ici à titre d’exemple comparable… Au Portugal, ces crédites se sont rès rapidement concrétisés en autoroutes, ports, nouvelles infrastructures téléphoniques, etc., etc. Dans les deux cas, les montants octroyés ont été considérables: qu’on ne vienne pas reprocher des aides insuffisantes…