La semaine qui vient de s’écouler ouvre les perspectives d’une évolution forte de l’Europe. La Convention sur le futur de l’Europe, qui pouvait sembler un gadget participatif, accouche d’une somme de propositions en même temps que l’Union est percutée coup par coup par le Covid et la guerre en Ukraine.
De quoi s’agit-il ? De passer au fédéralisme, ou pour le dire plus vulgairement : à la démocratie. Des élections européennes avec des listes transnationales, un Président de la Commission issu du Parlement ou élu au suffrage universel direct, des référendums à l’échelle de l’Europe, l’initiative des lois et le dernier mot sur le budget au Parlement, la fin de l’unanimité, l’ouverture aux partenaires sociaux et au monde associatif.
Le Parlement européen appuie immédiatement ce volet politique et appelle au début d’un processus de révision des Traités. Mario Draghi, Président du Conseil italien, liste les points stratégiques et économiques sur lesquels l’Europe doit évoluer, et confirme qu’une modification des traités sera nécessaire. De nombreuses voix, y compris à la Commission, appellent à saisir l’occasion pour réformer les traités budgétaires.
Emmanuel Macron, dans un discours qu’on baptise joliment le Serment de Strasbourg, a tenté de réunir en même temps les deux bouts de la ficelle. Il suit une logique d’Europe puissance, et la démocratie y est d’ailleurs présentée comme la puissance des citoyens. Ceci lui permet d’opposer l’impuissance de l’Europe face à la crise financière de la décennie passée, à l’efficacité et au caractère décisif de ses réponses récente. Ce qui a été fait dans la crise et l’urgence, il faut ainsi le pérenniser et donc changer les traités. Mais conscient que les traités seront difficiles à modifier, il emmène la discussion sur le terrain de l’Europe à plusieurs vitesses, position classique de la France qu’il avait un peu délaissée. Outre lâcher la bride à l’avant-garde qui rassemblerait sans doute les pays d’avant la chute du Mur, on retrouve l’idée d’une Confédération ou d’une communauté européenne qui remplace comme sas les processus d’adhésion (coucou l’Ukraine) et associe ceux qui restent à distance (coucou le Royaume-Uni).
Le grand absent de ces prises de position est l’Europe sociale. Alors que la Convention a eu ici des propositions ambitieuses, nul ne semble s’en préoccuper. Il s’agit d’une constante d’Emmanuel Macron, que ce soit dans son programme de la PFUE ou les années qui ont précédé (on se souvient du blocage du congé parental). Nous avions d’ailleurs déjà remarqué en 2017 que ce thème était douloureusement ignoré dans ses réponses à nos questions. Nous revenons à la charge. L’Europe ne peut prospérer durablement si elle est vue par les classes populaires comme un danger. Face à la mondialisation et à la concurrence, elle doit incarner la garantie sociale issue de 1945.
Sur l’essentiel, y sommes-nous ? Pas tout à fait. Le 9 mai, fête de l’Europe, treize nouveaux Etats membres rappellent que la convention est une simple concertation citoyenne et ne constitue pas une modalité légale de démarrage d’une révision des traités, à laquelle ils s’opposeraient par ailleurs. Il s’agit de la Bulgarie, la Croatie, la Tchéquie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Roumanie, la Slovénie et la Suède. En substance, l’Est et le Nord. A trois exceptions près (l’Autriche et Chypre moins le Danemark, membre depuis 1972), il s’agit de la liste des pays entrés après 1985. C’est une cassure nette de l’Europe entre les fondateurs et les premières adhésion d’une part, et des pays qui ont construit un autre récit collectif de la seconde guerre mondiale d’autre part.
L’ensemble des possibilités de faire évoluer les traités doivent être explorées, mais également toutes celles qui donnent du souffle à l’Europe sans en changer une virgule, et notamment contourner l’unanimité par des avant-gardes.
La Gauche française, qui vient justement de faire son unité autour d’une nécessité de la récriture générale des traités, est curieusement totalement absente de ce débat que personne ne semble évoquer sur nos terres. Mais peut être ce discours est-il à usage purement national ?
Bonjour, il semble que vous vouliez dire 1995 et non 1985, n’est-ce pas? (l’Espagne et le Portugal sont entrés en 1986)
Oui ce discours est essentiellement destiné aux français et en même temps opportuniste, comme d’habitude avec ce Pdt. Il sait parfaitement qu’il n’aurait pas une majorité de pays prêt à le suivre dans ces propositions de renouvellement des traités. Comme d’hab. des mouvements de bras, du vent, c’est ce qu’il nous a déjà montré pendant cinq ans. Quite même à faire ensuite tout le contraire de ce qu’il a dit !
En faisant crédit au Président français de vouloir vraiment agir pour avancer sur la base des propositions de la Convention, deux observations:
1 – la suppression du droit de veto permis par l’unanimité est légitime sur des compétences souveraines mises en commun, autrement dit sur des terrains où le bien commun est déjà reconnu par principe. C’est particulièrement évident aujourd’hui face à des dangers globaux comme les pandémies, les guerres, le changement climatiques. Sur ces terrains communs, la majorité qualifiée peut être plus démocratique que l’unanimité à l’échelle de l’UE, si l’on met à part la guerre proprement dite.
Sur le « social » au sens large, c’est moins évident. Il est directement lié à la fiscalité, qui est historiquement fondatrice du pacte national (et social) établi au cours des siècles dans chaque Etat-membre: la « levée de l’impôt » a été une prérogative essentielle de la souveraineté, et les Parlements ont le plus souvent fondé leur légitimité de représentants du Peuple sur le « consentement à l’impôt ». On ne peut pas transférer globalement « la fiscalité » (et le social) au niveau fédéral en soumettant le « consentement à l’impôt » à la majorité qualifiée.
Plutôt que de statuer sur « la fiscalité » en général, on pourrait distinguer entre la fiscalité qui pèse directement sur les citoyens, comme l’IR ou la TVA, qui relèvent directement du pacte national (et des choix de redistribution propres au « modèle social » de chaque Etat) et la fiscalité sur les entreprises, qui concerne des entités dépassant les citoyens et pouvant dépasser les Etats eux-mêmes. La fiscalité sur les citoyens pourrait encore relever de l’unanimité (pour respecter le pacte national et social de chaque Etat) et la fiscalité des entreprises pourrait relever de la majorité qualifiée (car le « marché unique » dépasse par principe le pacte national).
De façon analogue, des décisions de politique étrangère pourraient être prises à la majorité qualifiée, mais les décisions de « sécurité » et de « défense » qui engagent directement la vie des citoyens devraient rester soumises à l’unanimité au niveau de l’UE. Ce qui signifie que des projets de « défense commune », d' »autonomie stratégique » etc., ne peuvent avoir de portée opérationnelle (ne pas être bloqués par le droit de veto) qu’à l’échelle d’un groupe d’Etats-membres volontaires, d’accord pour mettre en commun leur souveraineté sur ces questions (et leur appliquer les règles de la double majorité qualifiée permises par les Coopérations Renforcées).
2- l’élection d’un Président de la Commission au suffrage universel direct minerait la légitimité des exécutifs nationaux issus eux-mêmes du suffrage universel. De ce point de vue, une Fédération de l’UE serait essentiellement différente de celle des USA, car elle fédérerait des peuples qui ont déjà construit historiquement leurs Etats-nations. Un dépassement fédéral de ces Etats-nations serait plus logiquement l’effet d’une élection d’un.e Président.e par « le Parlement » (au sens bicaméral, c à d le PE + le Conseil) à la majorité qualifiée. Sa légitimité « européenne » serait ainsi d’un autre ordre que celle des exécutifs « nationaux », sans s’y substituer.
Pour dire les choses autrement, l’UE a besoin d’un exécutif démocratiquement légitime, qui ne soit pas un « empereur ». Si cela devait être le projet, les eurosceptiques pourraient avec raison combattre un « projet Charlemagne »…
Sous pression de l’industrie agro chimique, la Commission européenne va accorder, malgré l’opposition de l’EFSA, une autorisation « provisoire » d’une année supplémentaire pour que la première puisse vendre ses poisons.
La Commission européenne vient d’accorder un nouveau feu vert à BASF pour vendre en Europe du boscalid, un dangereux pesticide SDHI incriminé par des dizaines d’études scientifiques pour ses effets dévastateurs sur les abeilles, les vers de terre, les poissons et même la santé humaine…alors que la réévaluation obligatoire de sa toxicité sur la biodiversité est toujours bloquée pour la 5ème année consécutive !
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?akid=15201.830029.C4S7Gv&rd=1&t=41&uri=CELEX%3A32022R0708
Une dérogation au règlement européen qu’elle renouvelle chaque année depuis 4 ans, les yeux fermés et en infraction à ses propres règles qu’elle a elle-même édictées au nom des citoyens !
Vive l’Europe, la commission de la compromission et BASF bien sûr, qui nous empoisonne.
Bonjour.
Si l’Europe n’évolue pas, elle disparaitra, veut ‘on cela ?
Comme je l’ai écrit dans mes précédents commentaires, comme l’écrit Pierre ci-dessus, un groupe de pays volontaire doit se lancer rapidement pour mettre en commun les domaines concernant la défense, la sécurité intérieure (douanes, etc..), etc…
La gouvernance de ces domaines sera du ressort d’un président, d’un conseil des ministres et d’un parlement élu démocratiquement, en évitant bien sûr le piège du détournement du sens de la fonction présidentielle que nous subissons en France depuis un certain nombre d’années.
Malgré tout, on ne cesse de se répéter, de se répéter, de se répéter, de se répéter……………….
Tout à fait d’accord. Dans la mesure où la pression des élargissements successifs de l’UE, jouant souvent davantage le rôle de frein que celui de moteur, s’est notamment traduite par une dilution des dynamiques constructives, le recours à des « coopérations renforcées » entre quelques Etats membres « pionniers » constitue sans aucun doute la voie de l’avenir.
Bonjour Monsieur VERNIER.
Nous partageons souvent des points de vues qui se rejoignent, je m’en et je vous en félicite.
Sur le plan sémantique, il n’est sans doute pas indifférent de rappeler que le terme « fédéral » découle du génitif « foederis » du substantif latin « foedus » signifiant « traité » (alors que l’adjectif « foedus » se traduit par… « laid », ce qui ne semble pas être dans l’esprit des fédéralistes). Cela paraît d’autant plus approprié que la construction européenne repose largement sur une succession de traités entre les Etats membres, « pactes » qui en constituent le tissu, voire l’ADN, et auxquels plusieurs villes européennes (Paris, Rome, Maastricht, Nice, Amsterdam, Lisbonne…) ont attaché leurs noms.
Dans quel sens convient-il alors d’entendre le « fédéral » ? Il est clair qu’il n’est pas tout à fait comparable à la dynamique qui, à un certain moment de l’Histoire, a permis de réunir quelques colonies – comme aux Etats-Unis – ou quelques cantons – comme en Suisse. Jacques Delors semble en avoir eu la perception la plus judicieuse lorsqu’il appelait de ses voeux une « Fédération d’Etats nations ». Là résident en effet à la fois l’objectif mais aussi la complexité de la dynamique propre à l’UE… que le même Jacques Delors, en référence aux OVNI, avait aussi qualifié d’ « objet politique non identifié », ce qui en souligne l’originalité.
Au vu des réflexions qui agitent depuis quelque temps le « landerneau » européen – et notamment sur le sujet particulièrement sensible de la révision des traités – il paraît évident que l’on ne saurait se satisfaire d’un statu quo dont, en particulier, la crise sanitaire a contribué à souligner les insuffisances (Europe de la santé) ou les errements (pacte dit « de stabilité »).
Les résultats de la Conférence sur l’avenir de l’Europe constitueront sans doute un indicateur de voies à suivre… pour autant que l’on dispose de suffisamment de recul pour en exploiter les différents ressorts. Cela ne dispense pas non plus de ne pas négliger les soupapes de sécurité qu’offre la possibilité de recourir avec moins de timidité au mécanisme des « coopérations renforcées » permettant à quelques Etats membres « pionniers » d’approfondir leur coopération dans un certain nombre de domaines (comme je l’ai également indiqué dans un autre commentaire). C’est la raison pour laquelle je souscris personnellement à l’invitation inhérente à l’avant-dernier paragraphe de l’article: « L’ensemble des possibilités de faire évoluer les traités doivent être explorées, mais également toutes celles qui donnent du souffle à l’Europe sans en changer une virgule, et notamment de contourner l’unanimité par des avant-gardes ».