En début de semaine, Sauvons l’Europe relatait la levée de boucliers face à la candidature de Tony Blair à la présidence du Conseil – dernier lâchage en date, celui de José Luis Zapatero. Qu’il soit issu d’un pays n’entrant dans la sphère européenne n’y est pas pour rien. Mais le grippage est plus fondamental : Blair est autonome, et Blair divise.
De manière naïve, on pourrait s’imaginer que la puissance politique personnelle de Blair, son dynamisme, est son meilleur atout puisqu’il prête à l’Europe son capital politique et sa force d’entraînement dans les relations extérieures. C’est après tout ce que l’on attend d’un chef d’Etat. Mais l’Union européenne n’est pas un Etat. C’est un ensemble institutionnel dont le fonctionnement fondamental repose sur le consensus des pays membres. Cela interdit que quiconque s’approprie son poste pour mener « sa » politique ; il n’aurait aucune légitimité à le faire.
Le problème est très présent avec les quelques postes permanents qui existent déjà : ainsi, le tout nouveau secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, ancien premier ministre du Danemark (pas celui du PSE), qui représente tout de même un peu l’Union européenne au sein de l’alliance, a choisi pour sa première intervention forte le 18 septembre dernier d’annoncer un rapprochement stratégique avec la Russie. Sa déclaration que « finally, we also have to be more realistic in recognising that Russia has security interests which we need to understand and take into account. Many things that NATO Allies may regard as entirely benign can sometimes look very different when seen from Moscow – and vice versa » a jeté un certain froid dans les pays d’Europe de l’Est, qui n’ont pas été consultés.
Considérons également que Javier Solona, actuel haut représentant pour la politique étrangère en fin de mandat a déclaré le 21 octobre qu’Israël était de fait un pays membre de l’Union européenne sans participer aux institutions, et bien plus proche de l’intégration dans l’Europe qu’un pays candidat comme la Croatie (via Quatremer). Outre que c’est très discutable, l’annonce a un peu surpris quand la politique officielle de l’Union européenne est par ailleurs plutôt au raidissement vis-à-vis d’Israël dans la période actuelle.
Dans un système de consensus entre les Etats, comme le rappelle Jacques Delors, on ne peut donc pas choisir comme représentant un candidat très indépendant susceptible de suivre son agenda personnel.
Foreign policy propose tout simplement comme critère de choix numéro un que le candidat soit ennuyeux. Si possible, il doit également être de centre-droit (les socialistes visent plutôt le poste de Haut Représentant aux Affaires étrangères) et venir d’un petit pays de la zone Euro. Parler français et s’être opposé à la guerre d’Irak constituent des points bonus.
La litanie des noms supputés est trop longue pour qu’on vous l’impose. Citons simplement pour la bonne bouche Vaclav Havel (et une pensée pour notre ami B. Geremek), et passons aux candidats sérieux, c’est-à-dire ceux qui viennent du Bénélux. Le débat est entre l’éternel européen, Jean-Claude Juncker, pour le Luxembourg, et le célébrissime Jan Peter Balkenende pour les Pays-Bas. Entre les deux, une franche amitié, Jean Claude trouvant d’ailleurs très compréhensible que Jan Peter ait un peu manqué de courage politique au moment du référendum sur la Constitution en ne mettant pas sa tête en jeu.
Mais ? Et la Belgique ? On parle finalement peu de Guy Verhofstadt, ce qui est très injuste car il fait beaucoup d’efforts pour faire savoir partout qu’il n’est pas candidat. Et c’est d’autant plus dommage que la Présidence du Conseil européen est paraît-il son rêve depuis les travaux de la Convention sur le sujet. Ce grand européen, qui à la tête du groupe centriste du Parlement a si bien su faire la bascule au moment décisif en faveur de Barroso, finira-t’il oublié du monde ?
Et pourtant, quelques signes pointent la lente transformation de l’Union européenne en une démocratie. Ce que les traités successifs ne font pas, le Parlement l’impose de manière diffuse, par petits bouts, selon une dynamique qui rappelle curieusement celle des parlements anglais peu avant Napoléon ou les débuts de la troisième République. Le vote de confirmation du candidat du Conseil à la présidence de la Commission a viré à un vote d’investiture de Barroso, l’ayant obligé à présenter un programme politique et à négocier ses soutiens au Parlement. La pétition parlementaire lancée contre Blair par Goebbels peut aboutir à une résolution, et en tout cas créer un précédent sur le poids du Parlement dans la désignation du président du Conseil. De même, l’obligation pour ledit président de rendre compte des réunions du Conseil au Parlement peut faire dans le futur l’objet d’interpellations, dont la trame finit toujours par instituer une certaine dépendance politique.
L’Union européenne est à la croisée des chemins institutionnels, et elle oscille devant des pistes que les textes n’ont pas balisées.