Etrange paradoxe : la Pologne, Etat européen dont le dynamisme économique déroute en pleine période de crise économique, est davantage connue pour être le « meilleur allié » des Etats-Unis que pour sa récente intégration à l’Union européenne (2004). Refus d’intégrer la zone euro « pour l’instant », méfiance vis-à-vis des institutions communautaires, opinion publique réticente au changement… constituent autant d’éléments qui alimentent l’idée d’une Pologne « eurosceptique ». Toutefois, est-ce vraiment le cas ? Dans quelle mesure cela peut-il être rapproché de la position britannique, dont la sortie de l’Union européenne fait actuellement débat ?
Ces deux pays sont certes liés par l’attachement à leur souveraineté nationale, leur méfiance à l’égard des transferts de souveraineté qu’implique l’adhésion à l’Union et leur américanophilie. Toutefois, ces deux Etats divergent quant à la conception qu’ils ont de l’Union européenne. Alors que la Royaume Uni fait preuve d’un euroscepticisme profondément ancré dans la société, la Pologne cherche surtout à préserver une certaine indépendance.
En ce qui concerne la Pologne, la doctrine Wilson, le poids de la diaspora polonaise aux Etats-Unis et le rôle joué par ces derniers lors de la Seconde Guerre mondiale expliquent le lien qui les unit à une jeune démocratie polonaise marquée par son passé d’occupation. Par ailleurs, les Européens se souviennent de l’opposition polonaise au projet de traité constitutionnel, traduite par le fameux slogan « Nice ou la mort ! ».
En dépit de la contradiction présentée par la double appartenance, nationale et européenne, revendiquée par la Pologne, cette dernière défend la construction d’une cohésion européenne. En effet, elle a besoin de l’intégration au Vieux continent pour se prémunir de l’ancienne puissance soviétique voisine, dont la domination marque encore fortement les esprits. Le poids croissant des firmes européennes dans l’économie polonaise, les subventions versées par Bruxelles, le bilan positif de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (Juillet à Décembre 2011)… confortent l’image d’une Pologne active dont le gouvernement se dit pro-européen.
Du côté du Royaume Uni, un sentiment de méfiance envers des institutions européennes lointaines et une opinion très sceptique sur l’avenir de l’Union Européenne prévalent désormais. Cependant tout cela n’est pas nouveau et dès la création de la CECA en 1951 l’Angleterre va refuser de se joindre aux autres pays européens pour mettre en œuvre le rêve de Jean Monet. Ensuite, avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Tchatcher, les crises vont se multiplier entre la France et l’Allemagne d’une part et le Royaume Uni de l’autre. L’entrée dans l’Union européenne n’ayant pas dopé l’économie britannique comme l’avaient espéré les dirigeants, et voyant la France être la première bénéficiaire de la politique agricole commune, la dame de fer a remis en cause les versements effectués par le Royaume Uni par cette phrase désormais célèbre « I want my money back ».
Aujourd’hui l’organisation d’un référendum ayant pour sujet la sortie de l’Union européenne est des plus probables, tout particulièrement avec un David Cameron qui joue en partie sa réélection sur ce thème. En effet il doit faire face à une fronde au sein de son propre parti, la majorité des conservateurs siégeant au Parlement souhaitant sortir de l’Union européenne. Le dernier exploit des eurosceptiques est un amendement au vote du budget qui prévoit une réduction des apports de la Royaume Uni à l’Union européenne. Bien que cet amendement soit sans effet juridique, il pèse lourd politiquement forçant David Cameron à prendre position sur cette question. Face à cela, le Premier Ministre britannique, bien que personnellement pro européen, cédera très certainement aux pressions internes. Surtout que la crainte de voir le parti indépendantiste UKip rentrer au Parlement en prenant des voix au parti conservateur est grande.
Le principal obstacle au référendum ce sont les libéraux démocrates, alliés indispensables donnant aux conservateurs la majorité à la chambre des représentants. Ces derniers sont effet profondément pro-européens. Nick Clegg, actuel leader du Libdem et vice premier ministre, a récemment rappelé, comme une menace, que son parti pourrait tout à fait former un gouvernement avec les travaillistes si ceux-ci remportaient les prochaines élections. Cependant la position difficile dans laquelle se trouve Nick Clegg, notamment à cause de son impuissance à influer sur la politique du Premier Ministre, réduit peu à peu son poids dans la politique nationale.
Les raisons de cet euroscepticisme sont multiples. Avant tout il faut se rappeler que le Royaume Uni est une île et il persiste outre-manche un fort désir de rester indépendant vis-à-vis de l’Union européenne. Une complète intégration dans l’Europe les rapprocherait du continent plus qu’ils ne le souhaitent. De plus le Royaume Uni entretient une relation toute particulière avec les Etats Unis comme l’a montré son indéfectible loyauté lors du conflit irakien. Un rapprochement avec l’Europe pourrait mettre en péril ce lien privilégié entre les deux nations.
De plus le mécontentement à l’encontre de l’Union européenne atteint peu à peu les plus europhiles des Britanniques. Le manque de démocratie dans les prises de décision, les réglementations inutilement pointilleuses, la libéralisation complète de l’économie, sont autant de critiques qui viennent tirer un peu plus le Royaume Uni hors de l’Europe. Le dernier scandale en date est représenté par les huit années qui ont été nécessaires pour extrader un homme soupçonné de terrorisme vers les Etats Unis à cause d’un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme. Pour les Anglais cela a été comme la goutte d’eau de trop, et ce malgré le fait que la Convention européenne des Droits de l’Homme n’ai aucun rapport avec l’Union européenne.
Pour finir la crise économique au sein de la zone euro a fini de refroidir les plus ardents défenseurs de l’Europe. Un désir de repli sur soi se fait de plus en plus fort, auquel s’ajoute l’idée que ne pas entrer dans l’Eurozone était une bonne chose. En effet la crise monétaire démontre aux yeux des Britanniques que la monnaie unique était une mauvaise idée, et ils sont heureux d’être restés à l’écart espérant que cela les protégera.
Malgré le fait qu’ils partagent les mêmes réticences vis-à-vis de l’Union européenne et le même désir d’indépendance, la Pologne et l’Angleterre ont aujourd’hui pris des chemins différents comme le montre les événements politiques récents.
D’une part le Royaume Uni refuse de prendre part au Mécanisme Européen de Stabilité car cela l’obligerait à rendre des comptes à la Banque Centrale Européenne. Cette immixtion de l’Union européenne dans le budget de l’Etat est inacceptable outre-manche, les Britanniques voulant gérer leur budget comme bon leur semble. Cependant ce refus d’intégrer les derniers traités européens a écarté le Royaume Uni du leadership de l’Union européenne au profit de la France et de l’Allemagne. Cette impuissance est assez mal vécue par les Britanniques qui ont bien compris que la santé de leur économie était liée à celle de l’Union européenne. Aussi essayent-ils d’influer sans participer, ce qui n’est pas toujours très bien perçu par les pays de la zone Euro.
D’autre part la Pologne participe de plus en plus activement. Malgré leur scepticisme vis-à-vis de l’euro, un récent sondage a montré que 59% des Polonais considèrent que leur situation serait pire sans l’Europe. De plus l’impérialisme russe reprenant des couleurs, l’Union européenne est vue comme étant le meilleur rempart contre l’ancienne puissance soviétique. En effet une Europe forte politiquement et économiquement sera à même de maintenir la Russie loin à l’Est de l’Europe. Au contraire, si l’Europe s’effondre, la Pologne sera à la merci de l’ancien occupant.
Du fait de ses liens historiques étroits avec le Royaume Uni, la Pologne souhaiterait que cette dernière participe à l’Union européenne plus activement. Le Ministre des Affaires Etrangères polonais, Radek Sikorski, a même appelé le Royaume Uni, lors d’un discours le 21 Septembre dernier près d’Oxford, à renoncer à quitter l’Union européenne et l’a même pressé d’en prendre la tête. Mais le gouvernement actuel semble bien loin d’en prendre la route.
Dans sa supplique, le très anglophile ministre polonais a rappelé les liens entre l’économie britannique et celle de ses voisins. Il s’est lancé dans une démonstration destinée à tordre le cou aux idées reçues des Britanniques (et principalement des Anglais) sur l’Union européenne, notamment sur l’ouverture des frontières européennes qui gène beaucoup les Anglais sentant que le contrôle de leur territoire leur échappe.
M Radek a expliqué dans son discours que si le Royaume Uni souhaitait rester une grande puissance, elle ne pourrait le faire qu’au travers de l’Union européenne. Si elle quittait l’Union européenne, elle serait alors en position de faiblesse lors des négociations avec des pays comme la Chine et les Etats-Unis, tandis que les autres pays européens, fort de leur Union, pourraient négocier d’égal à égal.
Il n’est pas certain que la supplique de M Radek Sikorski soit entendue, tant l’exaspération des Anglais contre l’Union européenne est grande. Mais si le Royaume Uni fait le choix de la sortie, il les a prévenus, la Pologne ne les soutiendra plus et se tournera définitivement vers l’Europe. Il est indispensable que le choix soit fait rapidement outre-manche. Cette indécision ralentit dangereusement le processus de construction de l’Union européenne. Ce ralentissement est même parfois voulu par la puissance en déclin qui n’arrive pas à décider quel chemin elle souhaite prendre pour continuer à tenir un grand rôle dans le jeu des nations.
Sulena et Léo Fradet
Ce commentaire est intéressant. Il pourrait y avoir un corollaire. Il y avait autrefois deux ennemis héréditaires de l’Allemagne: la France et la Pologne. Pendant longtemps la réconciliation franco-allemande allait de soit alors que les relations entre Pologne et Allemagne étaient plus difficiles, d’où d’ailleurs l’invention du triangle de Weimar. Mais maintenant les choses se retournent. Les relations germano-polonaises s’améliorent de jour en jour. Les relations franco-allemandes sont difficiles. J’espère donc qu’un jour les objectifs du triangle de Weimar se concrétiseront et viendront ainsi compléter, sinon remplacer, « le binôme anglo-polonis ».
Au lieu de sembler vouloir tenir la Pologne à l’écart, la France devrait s’attacher à rendre son dynamisme au triangle de Weimar qui pourrait prolonger le rôle du moteur franco-allemand. Cela suppose l’dhésion rapide de la Pologne à l’euro et une adhésion des trois pays à une forme de fédéralisme resspectueux des personnalités nationales.
La position britannique vis-à-vis de la construction européenne tient certes avant tout à son caractère insulaire. Elle tient aussi au fait que le Royaume-Uni (comme la France) ne s’habitue à son nouvea statut « d’ancienne grande puissance déclassée »: dès à préent, la City n’est plus que la 3è place financière mondiale…. Par ailleurs, le Royaume-Uni entretient l’illusion du maintien de « relations privilégiées » avec les Etats-Unis: à l’inverse des Polonais, les Britanniques refusent de voir que les Etats-Unis consacrent de plus en plus d’attention et de moyens à la région Pacifique, où se concentrent de plus en plus leurs intérêts économiques et leurs défis stratégiques, qu’à la zone Atlantique. Dans ce contexte, la Pologne réalise que l’UE est un acteur fondamental de protection contre la renaissance d’un nouvel impérialisme russe, ce que seront de moins en moins les Etats-Unis. Il est dommage dans un contexte aussi évolutif que la France n’ait pas de perspective, de vision d’avenir pour la construction européenne, n’ait pas de cohérence d’action por le triangle de Weimar et au sein de celui-ci…Paradoxe: la France, qui refuse de percevoir l’accélération de son déclassement mondial, nefait rien pour retrouver un leadership au niveau européen…La France rdeviendrait-elle un pays européen « normal » au point de n’être que banal ?
Les liens profonds et historiques de la France et de la Pologne ont été peu à peu brouillés par la création de l’Union Européenne. Mais s’ils tendent à se revigorer, ce ne peut être qu’un grand bénéfice pour l’Union.
Nos anciennes façons de réagir aux événements devraient de nouveau nous rapprocher comme dans le le passé… C’est l’espoir qui est au bout de ce cheminement.
Bonjour,
C’est article est constructif, à plusieurs égards. Pédagogie, rappel de traité, et autres.
Mais, que fait l’Union Européenne, pour nous sortir de cet imbroglio .?
Quelqu’un a t’ il lu le livre de Mario MONTI ?
Cordialement,
Nathalie MANCEAU