Marguerite Barankitse est interrogée par Solen Menguy pour nous rappeler la crise en cours au Burundi.
Pourriez-vous présenter votre parcours et le combat que vous menez ?
Je suis née au Burundi avant l’indépendance du pays, et en ai vécu toutes les crises majeures : massacres inter-ethniques, violences gouvernementales… En tant que chrétienne, j’ai toujours été portée par une conviction profonde : l’amour est plus fort que la haine. Cette haine, que je voyais prospérer chaque jour, j’ai voulu la combattre en portant des valeurs de solidarité et de dignité. C’est pourquoi je suis devenue enseignante en 1979. Rapidement accusée (à tort) de désobéissance civile par le gouvernement, puis de nombreux maux, j’ai dû quitter mon pays pour aller en Europe, mais suis revenue en 1989.
J’ai créé des centres pour accueillir toutes les victimes de la région des grands lacs, y compris plus de 50 000 enfants du Burundi et des pays voisins (je ne comptais pas les adultes), un hôpital, des écoles et centres de métiers, une banque micro-finance et 27 coopératives agro-pastorales… On faisait la recherche et la réinsertion des enfants dans leur pays d’origine comme messagers de la paix. Mon but était de casser le cycle de violence, résister à cette guerre qui a duré 12 ans et que les enfants puissent grandir et s’épanouir intégralement dans leur communauté d’origine.
Une partie de ma famille a été décimée, des dizaines de personnes ont été assassinées sous mes yeux, on a voulu à plusieurs reprises m’assassiner. Aujourd’hui, il y a plusieurs mandats d’arrêts internationaux à mon encontre lancés par le Burundi, vous parlez avec une « terroriste » condamnée à perpétuité !
L’Union européenne se prévaut du fait que, même si, pour des motifs politiques graves – et en particulier le respect des droits humains et de l’Etat de droit – la coopération avec les autorités gouvernementales peut être suspendue, elle s’efforce d’assurer la continuité de l’aide au profit des populations, notamment sur le plan de l’aide humanitaire et alimentaire. En tant qu’observatrice des réalités de terrain, votre expérience (ou votre ressenti) vous permet-elle de confirmer ce discours ?
C’est une hypocrisie totale ! L’article 96 de l’accord de Cotonou prévoit, qu’en cas de non-respect des droits humains, « des mesures appropriées » peuvent être prises, voire que l’accord soit suspendu. L’accord a été suspendu en 2016, mais les sanctions vont sans doute être levées cette année alors que la situation est pire ! J’ai dénoncé mille fois le paradoxe de cette situation. On m’a décorée de beaucoup de prix, dont la Légion d’Honneur en France. Comment me donner autant de prix et ne pas m’écouter ?
Je n’ai que trop constaté la violence du régime burundais et l’indifférence totale dans laquelle les exactions sont commises. La lâcheté des ambassadeurs, le représentant de l’Union européenne au Burundi y compris, en est une parfaite illustration. Nous sommes tous membres de la même humanité et je continuerai chaque jour, sans relâche, à appeler la communauté internationale à soutenir le peuple de mon pays, humilié, bafoué dans sa liberté et ses droits. Il y a 11 000 jeunes en prison, arrêtés arbitrairement, il y a 50 000 Burundais parqués dans des camps dans des conditions atroces, les journalistes se sont exilés, les partis d’opposition ne peuvent pas exister… L’Union européenne, et la communauté internationale, cautionnent cette situation intenable par leur indifférence. C’est ça qui tue. Peu de gens sont, au final, conscients de la situation au Burundi car les Etats la médiatisent peu : ils n’ont pas d’amis, uniquement des intérêts et, à nouveau, c’est ça qui nous tue.
Quelles sont les prochaines étapes de votre combat ?
Je voudrais que les citoyens européens aillent devant le Parlement européen, qu’ils disent à leurs députés qu’ils sont contribuables de cet argent spolié. J’y étais cette semaine, je me suis adressée à eux en tant que mère, en tant que « maman sans frontières », je me suis adressée à leur humanité et non à leur fonction de député : poursuivons sans relâche ce combat pour la dignité de tous, poursuivons-le avec la joie de servir l’humanité, grâce à la meilleure part qui est en nous !
[author title= »Marguerite Barankitse » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2021/10/722px-Marguerite_Barankitse_2017_stamp_of_Armenia.jpg »]Fondatrice de la Maison Shalom, Chevalier de la Légion d’Honneur et Docteur Honoris Causa notamment des Universités de Louvain-La-Neuve en Belgique, de Lille en France, ainsi que Duke et Seattle aux Etats Unis[/author]
Bonjour Marguerite,
Merci de nous rappeler la tragédie qui frappe le Burundi et dont les media ne disent pas un mot. Que deviennent les enfants de la Maison Shalom ? J’espère que vous êtes vous-même en sécurité.
Bien à vous
Jean-Luc
Je trouve que le titre est un peu dur. L’UE se tait certes, mais quelles sont les nations qui ne se taisent pas ? Et puis de toute façon la parole est un peu insuffisante.
Comme le Rwanda, le Burundi est un petit pays qui a tout pour être un ilot de prospérité, sauf qu’il est écrasé par la surpopulation et une démographie galopante. C’est assurément un facteur aggravant des violences suscitées par les oppositions ethniques. Mais la démographie et la surpopulation sont des enjeux sur lesquels tout le monde se tait. Dommage, car les conséquences dans les décennies qui viennent seront bien plus sanglantes que ce qui se passe au Burundi…
Je m’informe autant que je peux mais la situation du Burundi m’était totalement inconnue. C’est effrayant.
Où peut-on trouver plus d’infos?
Michel Girod
Bonjour, le commentaire de Philippe WALDTEUFEL est malheureusement d’une extrême justesse, le non contrôle de la démographie en Afrique et dans d’autres pays va être à l’origine de catastrophes humanitaires et de conflits dans les temps à venir.
Le changement climatique sera un catalyseur de ces troubles , l’Europe comme à son habitude sera impuissante, trop d’exemples dans le passé nous démontre cette incapacité à agir, il n’y a pas de volonté commune pour la doter des moyens nécessaire pour le faire, elle s’agitera mais ne résoudra rien, elle est une entité négligeable pour les autres super puissances.
Le silence de l’UE tue est un constat accablant, nous échangeons nos impressions sur ce fait, un grand trouble chez moi doublé d’une infinie tristesse, je ne peut m’empêcher de penser qu’à chaque fois que je tape une lettre sur mon clavier, des êtres humains meurent dans des conditions effroyables, ou allons nous ?
À Mylord et M. Philippe Waldteufel : comment contrôle-t’on la démographie, et particulièrement en Afrique ? À la chinoise, peut-être (enfant unique) ? Il est vrai que plusieurs pays africains se trouvent dans une situation similaire au Burundi (par exemple le Bénin) et le silence de l’UE y est aussi assourdissant. Ne serait-ce pas parce que nous n’avons cessé, depuis le XVème siècle, de considérer l’Afrique comme un continent de ressources naturelles (colonialisme, françafrique, postcolonialisme, etc) sans compter les 3 siècles d’esclavagisme ? L’UE est bien discrète aussi sur l’usage du franc CFA. Ces pays se porteraient beaucoup mieux si on cessait de maintenir des gouvernements corrompus à leur tête pour mieux les piller.