De Snapchat en TikTok, de selfies en vidéos YouTube, la jeunesse s’exprime désormais de manière incontournable par l’espace numérique Avec les infinies possibilités que les nouvelles technologies leur donnent, se multiplient également les risques en termes de harcèlement, de captation des données, d’exposition à des contenus inadaptés et à des usagers malveillants. Dans ce contexte, et dans le contexte d’une généralisation de l’IA et des défis associés, la protection des enfants est mise à l’épreuve d’évolutions technologiques exponentielles : dans le Sommet sur l’intelligence artificielle qui s’est ouvert à Paris le 6 février, cet enjeu ne doit pas être éludé.
L’Europe a été en première ligne pour imposer des régulations et a largement démontré la pertinence de son échelle pour réguler ce domaine. Depuis février 2024, le règlement européen sur les services numériques (DSA) s’applique : 23 acteurs sont, à ce jour, désignés comme très grandes plateformes en ligne et sont soumis à des protocoles et contrôles stricts. Ce règlement, notamment, assure la mise en place de systèmes de vérification d’âge pour les sites pornographiques, et prévoit un ensemble de sanctions pour tout manquement, incluant une peine de bannissement des réseaux pour haine en ligne ou cyberharcèlement et des sanctions renforcées en cas de non-retrait de contenus signalés dans les 24 heures.
En France, la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) a intégré ces dispositions dans notre corpus législatif en confiant de nouveaux pouvoirs à l’Arcom en ce domaine.
L’éducation numérique ne se limite pas aux seuls enfants
Si les sanctions et responsabilisation qu’elles entraînent sont bienvenues, elles ne peuvent, cependant, pas constituer l’alpha et l’oméga d’une politique cohérente de protection de l’enfance dans l’espace numérique.
D’abord parce qu’elles relèvent d’une vision réductrice, voire naïve des réalités du monde numérique : les enfants ne sont pas des usagers passifs de cet univers, ils créent par le jeu et par leur expression (y compris sur les réseaux sociaux), ils échangent des contenus et des avis. Ainsi, l’exercice des droits des enfants et, leur participation, doivent pouvoir s’effectuer librement, grâce à une information et une sensibilisation adaptées à leur âge (notamment vis-à-vis du harcèlement ou de la circulation d’images).
Offrir aux enfants les clés d’un environnement numérique expurgé de tout contenu problématique ne serait une perspective ni réaliste, ni suffisante : il faut aussi donner aux enfants et aux jeunes les clés qui leur permettent de comprendre ce que sont leurs droits et leurs responsabilités mais aussi les recours qu’ils peuvent avoir, les traces qu’ils peuvent laisser ou faire retirer.
Or, force est de constater que l’éducation des enfants mais aussi des parents et des professionnels de l’enfance aux usages et mésusages du numérique, reste sous-dimensionnée, faute de moyens et d’effectifs. Ainsi, les dernières études statistiques en cette matière datent déjà de quelques années, ne permettant d’avoir une vision sociologique globale.
Quant à l’éducation complète à la sexualité, adaptée à l’âge, qui pourrait notamment aborder les dangers des « nudes » et de leur circulation (notamment lorsque les adolescents ont eux-mêmes généré ces contenus), sa réalisation effective reste très parcellaire, faute de volonté politique et de moyens, comme l’a confirmé pour la France une étude du CESE en septembre dernier.
UE : assurer concrètement « la citoyenneté numérique à l’ère de l’IA »
Ensuite, les apports de la loi SREN sont aussi limités parce que l’horizon national n’est pas l’échelle adaptée pour répondre efficacement aux défis du monde numérique. L’extraterritorialité des serveurs, les différentes règles relatives à la preuve numérique et à leur réquisition dans les différentes juridictions mettent en difficulté le cadre juridique purement national. La protection des données personnelles nous en a donné l’exemple : le cadre européen (communautaire ou international) est ici incontournable.
Le Conseil de l’Europe — auteur d’une Directive sur les droits de l’enfant dans l’environnement numérique et d’un Manuel en déclinant les conséquences pour les décideurs politiques — l’a d’ailleurs bien compris, puisque ce sujet se retrouve au croisement des conventions de Budapest (sur la cybercriminalité), de Lanzarote (sur la protection des enfants contre les abus sexuels) et d’Istanbul (de lutte contre la violence à l’égard des femmes). Les groupes d’experts des deux dernières conventions ont ainsi pu émettre respectivement un Avis sur les images suggestives ou explicites produites par des enfants ou une Recommandation sur la dimension numérique de la violence à l’égard des femmes qui inclut la perspective des filles victimes, outils qui traduisent le besoin de cadres de référence communs. Et l’Union européenne n’est pas en manque, la protection des enfants contre les abus sexuels en ligne étant à l’étude aussi bien par le Conseil de l’UE et par le Parlement européen.
Enfin, il est nécessaire aujourd’hui de pouvoir responsabiliser les acteurs privés, particulièrement les GAFAM mais aussi les acteurs en ligne de la pornographie, les grandes plateformes de commerce ou moteurs de recherche, par rapport à l’ensemble des pratiques pouvant léser les droits des enfants dans l’espace numérique, ce qui encore une fois ne peut s’envisager qu’en sortant des seuls acteurs nationaux.
Pour sortir des déclarations d’intention, la protection des enfants dans l’univers numérique a besoin de moyens, de volonté forte face aux marges budgétaires contraintes et aux frilosités sociales mal placées, mais aussi, surtout, d’une Europe déterminée et ambitieuse : assurer « la citoyenneté numérique à l’ère de l’IA », thème du Safer Internet Day célébré le 11 février 2025, c’est s’engager résolument dans l’émancipation par l’éducation des enfants et de tous les acteurs de la protection, ainsi que par la responsabilisation des plateformes et réseaux.
J’ai cru comprendre que l’article s’intégrait dans une série de contributions consacrées à l’enfance, telle que souhaitée par SLE et inaugurée le 3 février par une chronique signée Baptiste Ménard.
Sur le fond, cette nouvelle contribution constitue effectivement un apport intéressant à la compréhension du défi que représente l’espace numérique pour la jeunesse… voire au-delà, comme le souligne pertinemment l’article. On ne saurait donc négliger l’importance d’une telle thématique : d’une part, celle-ci permet d’apprécier l’intérêt que l’Union européenne porte depuis longtemps à l’univers numérique ; d’autre part, elle montre que, par son attention à l’égard de l’enfance, sa raison d’être ne se limite pas à des considérations mercantiles, comme une connaissance superficielle de l’ensemble des politiques qu’elle met en œuvre pourrait le laisser croire. Une telle vigilance a vocation à s’inscrire plus largement dans son action en faveur de la protection et de la promotion des droits humains tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son périmètre.
Qu’on me permette d’ajouter une simple remarque d’ordre terminologique : l’article évoque une « directive » sur les droits de l’enfant dans l’univers numérique édictée sous les auspices du Conseil de l’Europe.
Outre le fait que ce dernier, enceinte distincte de l’UE, ne saurait être confondu avec le Conseil européen (au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union) ni avec le Conseil (au niveau des ministres de l’Union), il me semble que le terme de « directive » ne fait pas partie du vocabulaire du Conseil de l’Europe. Ainsi, le document auquel il est fait référence mentionne des « lignes directrices » (« guidelines » dans le parler d’Outre-Manche). En revanche, la catégorie des « directives » relève expressément quant à elle du système législatif de l’UE : l’article 288 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise que ce type d’acte lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens permettant de la transposer dans la législation nationale.
Cette mise au point m’a paru d’autant plus utile que la pratique des instances de l’UE recourt parfois elle-même à l’émission de « lignes directrices ». Ce procédé a notamment été utilisé pour développer des « instructions » complémentaires aux actes législatifs en matière de concurrence ou de santé et de sécurité au travail.
Cela étant, comme la sagesse populaire enseigne que le Diable se niche dans les détails, je peux humblement admettre que ma mise au point au parfum satanique puisse être considérée comme relevant de l’art de couper les cheveux en quatre…
Bonjour.
L’enfant dans l’espace numérique, cette question aurait du être abordé bien avant pour anticiper et prévenir les effets négatifs de la réalité virtuelle.
Combien de parents fournissent à leurs enfants des tablettes numériques pour être tranquille, en ne limitant pas la durée d’utilisation et le contenu, sans pédagogie, les laissant vivre en partie dans un monde fictif non compatible avec la vraie vie ?
Pour l’IA, ce sera pareil, pas d’anticipation sur les conséquences d’une telle technologie que ce soit sur les enfants, les adultes et notre société, qu’attend t’on ?
L’une des conséquences sera la disparition de nombreux métiers et autres, de la remise en cause du mode de redistribution de la richesse crée, va t’on encore attendre d’être au pied du mur ?