Les 10 commandements de la coalition heureuse

Le résultat des élections législatives anticipées en France ne permet pas la formation d’un gouvernement majoritaire, ni même celui d’un gouvernement minoritaire soutenu par une majorité tant les trois blocs politiques élus sont de taille similaire.

Cette impossibilité n’est que dans nos têtes, dans nos habitudes et traditions jacobines, puisque plusieurs gouvernements à travers le monde, et le Parlement européen par essence, fonctionnent sans aucune majorité, et arrivent à mener des politiques dynamiques, agiles, puissantes et rapides.

Ces expériences réussies peuvent utilement inspirer nos femmes et hommes politiques français. Cependant, ils devront prendre en compte les 10 commandements de la coalition heureuse.

1/ Tes partenaires de coalition sur un pacte fort de valeurs tu choisiras.

Des expérimentations de coalitions gouvernementales, en Europe, il y en a eu, parfois avec succès, mais souvent avec échec à court terme. Quand une alliance est contre-nature, cela ne dure pas. La coalition de tous les partis politiques sauf les Fratelli en Italie a eu pour résultat majeur de renforcer ce parti (devenu le seul parti d’opposition) et d’amener Georgia Meloni au pouvoir.

Les coalitions les plus stables sont celles portées par des partis politiques qui partagent un socle fort de valeurs. Souvent d’ailleurs, c’est l’attachement à l’Europe qui les définit.

2/ Les résultats électoraux tu accepteras et sur leurs chiffres tu t’appuieras.

Du scrutin majoritaire à deux tours découle une certaine propension à ne réfléchir la politique qu’en termes de gagnant/perdant, avec des gagnants qui pensent principalement à ne pas travailler avec les perdants, eux-mêmes concentrés sur l’art de bien s’opposer à tout. Une autre façon de voir les choses, qui est consubstantielle au vote proportionnel au Parlement européen par exemple, est de ne penser qu’en rapports de force, et de se concentrer sur la mise en place de la gouvernance politique reflétant le mieux le résultat des urnes. Penser les résultats électoraux en termes de rapports de force permet également d’apaiser le débat public, tout en renforçant le parlementarisme.

3/ Pour construire ta coalition, sur des bases solides tu t’appuieras en rédigeant un pacte de coalition.

Accord de coalition 2023-2028 : ce document de 109 pages, disponible sur le site du gouvernement du Luxembourg, est un très bon exemple du contenu d’un pacte de coalition. Chaque mot, chaque virgule, est pesé et permet à tous les membres de la coalition d’avoir un texte cadre référence sur les politiques publiques pour lesquelles un accord a été trouvé.

La rédaction de ce document permet, au sortir d’élections, de repartir des engagements programmatiques, mais en les rédigeant autrement : accord sur un constat partagé, accord sur un niveau de priorité politique, accord sur un objectif à atteindre, plutôt que de s’enfermer sur une bataille de moyens différents issus de programmes différents.

Ainsi les programmes de chaque parti politique d’une coalition s’additionnent et se renforcent plutôt que de s’affronter dans la lutte virtuelle et politiquement stérile de « ma proposition non mise en place est meilleure que la tienne ». De son contenu découle naturellement une proposition d’organisation gouvernementale.

4/ Pour apaiser la société et en premier lieu tes militants, le pacte de coalition public tu rendras, et régulièrement avec la société civile tu reprendras.

L’exercice de coalition heureuse ne souffre pas le soupçon. Il est donc non seulement impératif que le pacte de coalition soit public, facile d’accès, partagé par l’ensemble des représentants de la Nation membres de la coalition, mais également régulièrement mis à jour en impliquant la société civile et les partenaires sociaux.

Vu que l’exercice de coalition présuppose l’absence de majorité, il est essentiel à sa survie que l’ensemble des acteurs de la démocratie nationale ou locale que sont les corps intermédiaires et les associations de collectivités territoriales se sentent impliqués et liés au destin commun proposé dans l’accord de coalition.

5/ Pour incarner ta coalition, pour choisir sa gouvernance, la règle d’Hondt tu utiliseras.

La principale difficulté quand on n’a pas de majorité, c’est justement qu’on a pas de majorité numérique. Comment alors répartir les postes de pouvoir sans créer d’instabilité politique ou de rancœurs bloquantes, ni de batailles d’autant plus sanglantes qu’elles sont fratricides ?

Au lendemain des élections européennes, pourtant, la nouvelle gouvernance mise en place est votée par le Parlement européen, alors même qu’il s’agit d’élections 100% proportionnelles à un tour dans 27 Etats membres, et que les 720 députés élus siègent dans plus de sept groupes et adhèrent à plus de 200 partis politiques différents. C’est grâce à la règle d’Hondt, la méthode la plus utilisée en Europe pour transformer un résultat électoral proportionnel (et donc non majoritaire) en clé de répartition des postes. Elle permet d’avoir une assemblée apaisée puisque chacun se sait représenté à sa juste force.

Pour faire vivre ta coalition heureuse, sur un parlementarisme constructif tu t’appuieras :

6/ grâce à une liberté d’amendement.

La coalition heureuse a un ennemi : l’autocensure politique et la perte de la confiance des citoyens. Les députés ont un rôle essentiel par tout le travail de concertation sur leurs circonscriptions pour identifier les améliorations législatives, et les déposer en toute liberté sous forme d’amendements.

7/ grâce aux amendements de compromis.

Une fois tous les amendements déposés, chaque groupe politique découvre les amendements identiques, semblables ou qui se complètent. La rédaction d’amendements de compromis, c’est-à-dire d’un texte qui reprend plusieurs amendements d’origines politiques différentes, est essentielle. Les rédacteurs ont d’ailleurs intérêt à embarquer la majorité la plus large possible à partir des différentes propositions déposées, car seuls les amendements de compromis ont une certitude de passer vu la coalition.

Au fur et à mesure de l’avancée des négociations et donc des amendements de compromis, on passe d’un texte sur lequel tout le monde pensait avoir un avis différent à un texte où tout le monde sait que 65% étant déjà couvert par des compromis, cela vaut le coup de négocier le reste pour ne soumettre au vote final que les lignes rouges sur lesquelles il y a besoin de se départager.

8/ en passant du groupe contre groupe au groupe avec groupe.

Un amendement couvert pas un compromis tombe. Il suffit donc d’un amendement de compromis bien rédigé pour faire tomber des milliers d’amendements d’obstruction.
Ce système incite les députés à chercher des soutiens sur leurs amendements, et à respecter les députés des autres groupes puisqu’un opposant sur un amendement aujourd’hui peut devenir un soutien sur un autre demain. Et donc à passer d’une logique d’affrontement à une logique de construction parmi les membres de la coalition.

9/ Une dose de proportionnelle dans tes scrutins tu intégreras.

De façon curieuse, la crise politique actuelle en France vient d’un résultat qui n’aurait posé aucun souci si le scrutin avait été proportionnel, alors que nous avons un scrutin majoritaire à deux tours.

C’est le serpent de mer qui revient régulièrement, mais aujourd’hui avec encore plus d’acuité : il est impératif d’intégrer une dose de proportionnelle dans nos élections, trop de citoyens ne sont pas représentés du fait de l’élimination de leur candidat, et cela alimente une colère légitime contre le système d’élection actuel. Le mode de scrutin proportionnel est majoritaire dans le monde et en Europe, et bien adapté à nos changements de société.

10/ Une dose de régionalisation tu n’oublieras pas.

A contrario, la France est un des rares pays à avoir choisi de passer sur des listes nationales pour les élections européennes. Le gain de lisibilité politique s’est pourtant fait au dépend du sentiment de proximité du projet européen. La politique de cohésion est régionale ; revenir sur des listes régionales est un facteur clé de compréhension des politiques européennes de proximité par nos concitoyens.

De la même façon, l’adaptation des politiques publiques nationales en y associant les Régions pour s’adapter à leurs spécificités régionales est essentielle. Et la métropolisation de l’habitat en Europe a des conséquences sur le logement, la mobilité, l’éducation, l’agriculture, l’économie, les ressources naturelles…

En conclusion, si Albert Camus nous rappelle que la crise (politique) est l’occasion d’une réflexion sur l’essentiel, elle est aussi pour Barack Obama l’occasion de changer ce qui ne fonctionne pas.

Chiche ?

Irène Tolleret
Irène Tolleret
Vigneronne. Ancienne députée européenne Renew. Membre du COMEX de Territoires de progrès

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