Pour ceux qui ont suivi le débat des élections européennes, ces derniers s’étaient focalisés sur l’immigration, le pacte vert, la Russie et la digue contre l’extrême-droite. A l’exception de la Russie, les conservateurs du PPE se trouvaient politiquement aux côtés de l’extrême-droite sur tous ces sujets et s’étaient refusés à s’engager à un cordon sanitaire. A la place, ils avaient théorisé une césure entre l’extrême-droite fréquentable de Meloni, qui reconnaît l’Europe, pratique plus ou moins les libertés publiques et s’oppose la Russie, et les autres avec lesquelles aucune collusion n’est possible. C’est peu de dire que le cordon a sauté !
Alors qu’une coalition s’est construite au Parlement européen au lendemain des élections entre les conservateurs du PPE, les sociaux-démocrates et les centristes de Renew avec un soutien mesuré des Verts qui est le fondement de la Commission Von der Leyen en construction, le PPE se réserve désormais la possibilité de recourir à une majorité alternative sur les textes, quand cela l’arrange. Or cette majorité de rechange est fort peu ragoûtante puisqu’elle rassemble avec le PPE les trois groupes d’extrême-droite, y compris les pro-russes et les néo-nazis avec lesquels le PPE se défendait il y a quelque mois à peine d’avoir le moindre rapport ! Cette coalition que l’on aimerait dire contre-nature s’est manifestée à l’occasion d’une résolution sur le Venezuela refusant de reconnaître la victoire de Nicolàs Maduro qui est effectivement douteuse, mais a surtout désigné son rival réfugié en Espagne, Edmundo Gonzalez, comme dirigeant légitime, se plaçant ainsi en décalage avec les diplomaties nationales. Cette coalition Venezuela s’est à nouveau reformée en octobre pour un amendement au budget européen finançant les murs à la frontière.
Que se passe-t-il ? Officiellement, le PPE est rejoint sur ses positions par les groupes d’extrême-droite. En réalité, il négocie avec le groupe CRE de Meloni, qui fait ensuite la passerelle avec les Patriotes d’Orban et Bardella et l’Europe des nations souveraines, qui rassemble les extrêmes droites tellement repoussoir qu’elles n’ont pu trouver place dans les deux autres groupes. Cette sous-traitance au CRE permet au PPE de coordonner un bloc droite-extrême droite en prétendant garder la tête haute et les mains propres.
La situation devient explosive car le PPE a très rapidement cessé d’utiliser cette majorité de rechange sur des sujets secondaires pour s’attaquer à deux reprises en quelques jours au coeur de l’accord parlementaire.
Contrairement à la France, les candidats aux postes de commissaires doivent se faire confirmer individuellement par le Parlement européen. Ceci permet de faire pièce aux nominations les plus scandaleuses, ou de les rogner. Chacun s’attend à ce que le commissaire hongrois Olivér Varhélyi perde en particulier la tutelle de l’avortement et de la contraception, voire saute. Mais la grande affaire était la désignation en tant que vice-président de la Commission de l’Italien Raffaele Fitto, qui ferait entrer par la grande porte le CRE de Meloni dans les institutions. Pour éviter un rejet, le PPE a mis en place un chantage : utiliser la coalition Venezuela pour faire examiner en premier la candidature de Raffaele Fitto, en menaçant en cas de blocage de s’opposer en représailles à la vice-président sociale-démocrate espagnole, Teresa Ribera. On s’achemine vers un compromis de mauvais gré quand éclate l’affaire espagnole. Face au drame de Valence, la droite qui dirige la province et la gauche au pouvoir nationalement se renvoient les responsabilités. Teresa Ribera se retrouve violemment attaquée lors de son audition par le PPE qui annonce ne pas la soutenir. Une alliance européenne avec l’extrême-droite est ainsi mise au service d’un règlement de compte national, au risque de faire sauter la Commission.
La crise est ouverte et il n’existe aujourd’hui plus aucune certitude que la Commission soit adoptée, personne ne dessinant de voie de sortie de crise indépendante des conservateurs espagnols, peu en mesure pour l’instant de faire preuve de sagesse. Ursula von der Leyen et Roberta Metsola, la Présidente du Parlement, se posent en médiatrices pour l’heure sans grand succès.
C’est ensuite la directive déforestation qui fait les frais de cette coalition. Cette loi, qui interdit la mise sur le marché européen de plusieurs produits (soja, café, cacao, bœuf, bois, caoutchouc, huile de palme) s’ils ont contribué à déforester, a été adoptée il y a déjà deux ans et devait entrer en application le 30 décembre 2024, avec un délai de six mois pour les micros et petites entreprises. Alors que les entreprises européennes ont déjà dépensé des millions d’euros pour mettre en place la traçabilité, le PPE demande un report d’un an de l’entrée en vigueur pour permettre aux PME de s’adapter. La Commission propose au Parlement un texte en ce sens, et voici que le PPE, contre sa parole, dépose de nouveaux amendements vidant le texte de toute portée et les faisant passer avec la coalition Venezuela. Il crée en effet une catégorie de pays considérés comme « sans risque » de déforestation. En excluant ces pays des obligations, le risque est que des marchandises transitent par de tels havres pour échapper au Règlement. De manière très créative, une clause pourrait reporter la date d’application non pas d’un an, mais pour une durée indéterminée. Il va falloir désormais trouver un compromis entre la position du Conseil (report d’un an) et celle du Parlement. Nombre de grandes entreprises qui se sont préparées, comme Carrefour ou Ferrero, appellent au contraire à l’entrée en vigueur.
La crainte est désormais que tout le Pacte vert ne soit désossé. Or si on peut entendre quantité de reproches sur la lourdeur des mécanismes mobilisés et sur la pertinence du cavalier de plus en plus seul de l’Europe face aux USA, à la Russie, à la Chine, le danger est réel. Au-delà des cibles carbone qui semblent chaque jour plus hors d’atteinte, il faut aussi considérer la simple pollution de l’air, aisément visible dans les maladies respiratoires, des eaux et du sol, et la sauvegarde collective que représente la biodiversité. Les populations de vertébrés sauvages ont décliné de 73% depuis 1970. Plus d’une espèce d’arbre sur trois dans le monde est menacée d’extinction. Nous partageons le même toit, et la dégradation de leur situation ne peut être un bon signal pour nous.
Cette dérive du PPE vient pour partie d’un choix de son dirigeant, Manfred Weber, de plus en plus contesté en son sein pour avoir trop régné à coup de prébendes et qui veut s’assurer le soutien des plus durs avant le congrès de Valence d’avril 2025. Mais il ne peut se produire que sur fond d’un glissement à droite d’une partie de ses troupes qui se trouvent de plus en plus d’atomes crochus avec l’extrême droite. Nous avions averti le PPE du risque que représentaient des personnalités comme François-Xavier Bellamy, qui s’est d’ailleurs montré d’une grande violence lors de l’audition de Teresa Ribera.
La bataille contre l’extrême-droite et pour la sauvegarde de notre environnement passe désormais au sein même du PPE, et nous ne pouvons qu’espérer que certains responsables nationaux prennent conscience de l’ampleur des fractures en cours au Parlement européen. Le parti héritier d’un certain nombre de fondateurs de l’Europe ne peut s’allier à la droite la plus extrême pour défaire les libertés publiques et rompre avec le consensus environnemental. Nous appelons chacun aux responsabilités.
Je fais partie de ces conservateurs qui dynamitent les digues contre l’extrême droite. Pas parce que nous avons changé mais parce que la gauche a largué les amarres de la réalité. La gauche sociale démocrate avec laquelle nous pouvions trouver des compromis poursuit depuis dix-quinze ans une utopie ecologiste qui a des répercussions très violentes sur les citoyens. La classe moyenne n’a pas moyens financiers de s’acheter un véhicule électrique ou de faire des travaux pour que sa maison passe de classe énergétique F à B. Votre article d’ailleurs est éloquent : vous évoquez la déforestation; la biodiversité; le climat. Ces sujets sont bien sûr importants mais vous n’évoquez pas les citoyens. A droite nous n’avons pas la science infuse mais nous sommes plus concrets. Ecologistes nous les sommes mais pas de manière excessive. Or, impossible de discuter avec la gauche écologiste. Laquelle se refuse d’ailleurs encore de voir les périls de l’immigration et de l’islamisme. Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à faire alliance avec ceux qui voient la même chose que nous – même si nous avons des approches différentes. Si la social démocratie revenait à la réalité, les choses changeraient.
Dans son 6e rapport (2023), le GIEC rappelle que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont réchauffé le climat à un rythme sans précédent. La biodiversité, animale et flore, s’effondre (voir les rapports de l’UICN). Les forêts stockent de moins en moins de carbone car elles sont malades des sécheresses récurrentes. Les scientifiques sont unanimes sur ce sujet. Protéger, en urgence, notre planète est tout simplement une question de survie de l’espèce humaine, quelles que soient vos considérations économiques. A moins que vous n’ayez une petite tendance masochiste, on peut alors se demander qui est déconnecté de la réalité.
Le « vous parlez biodiversité mais pas citoyens » signale une certaine limite de raisonnement (et je reste polie), à partir du moment où protéger l’environnement revient à protéger les citoyens. Le coût du changement climatique est inimaginable, et les citoyens en sont les premières victimes, les immigrés en tête. Attendons de voir qui seront les immigrés climatiques de demain, et si votre discours sera le même.
Bonjour Monsieur LAFFINEUR.
Votre commentaire démontre la déconnexion du politique avec le citoyen.
Vous avez tout à fait raison, l’écologie ne doit pas être punitive, elle doit s’adapter à la réalité économique du simple citoyens, ce n’est pas le cas, c’est une écologie pour les bobos et qui fait électoralement beaucoup de dégâts.
Idem sur l’immigration, l’islamisme et je rajouterai sur la sécurité, à ignorer certaines réalités, on est hors jeu, on fait le jeu des extrêmes.
Le concept d’écologie punitive a été forgé par la droite et§ l’extrême droite (les amis de Monsieur Laffineur). Il me paraît clair que la lutte contre les bouleversements climatiques implique un changement de paradigme économique pour passer du capitalisme pur et dur (où seul le profit de quelques nantis compte) à un modèle beaucoup plus associatif et redistributif où la grande majorité trouvera son compte. C’est le b.a.-ba de l’écosocialisme dont SLE devrait beaucoup plus s’inspirer. Quant aux sociaux-démocrates allemands, de Schmitt à Schroeder, ils sont les parfaits représentants de ce dévoiement de la social-démocratie à l’ordolibéralisme, opéré à la fin des années 70.
Bonjour Monsieur HERLEMONT.
Personnellement, l’emploi du concept d’écologie punitive n’a heureusement rien à voir avec les mouvements politiques que vous citez.
La lutte écologique est une nécessité, c’est incontestable, elle doit se faire avec le citoyen et non contre lui, en l’associant, en tenant compte de ses possibilités, etc,etc…
De gros progrès pourraient être fait sur de nombreux sujets concernant l’écologie si une communication claire et nette était mise en place avec un suivi de ses effets, malheureusement, rien n’est fait dans ce sens, on reste dans le domaine des intentions par manque de pragmatisme ?
Et ce n’est pas forcément une question de gros sous.
Il n’y a pas de désaccord avec vous sur ce sujet.
Donc plutôt les néonazis allemands que les socio-démocrates allemands. Au moins on est bien connectés…
Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Fratelli d’Italia (FdI) me semblent différents de l’AFD. Bien qu’héritiers du parti fachiste, il serait absurde de prétendre que FdI mènent une politique fachiste en Italie. La démocratie y est vigoureuse. L’appartenance de l’Italie à l’UE n’est pas mise en question. Le gouvernement joue le jeu concernant le pacte de stabilité. Et en ce qui concerne la politique migratoire, même si on a le droit de ne pas être d’accord avec la politique du gouvernement actuel, force est de constater que le bras de fer auquel nous assistons entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif est très intéressant à suivre, d’une part parce qu’il oppose la vision immigrationiste de certains juges dans le cadre de l’interprétation qu’ils font du droit de l’UE au gouvernement dont la ligne politique consiste au contraire à limiter l’immigration; d’autre part parce que cela montre que l’équilibre des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif y est une réalité. L’Italie est en train de donner une belle leçon de démocratie. Montesquieu apprécierait.
@ Solen Menguy : je ne remets pas en cause les conclusions du GIEC. Ce que je dis est qu’il est utopique de penser que l’humanité soit capable de suivre la politique que la gauche veut lui imposer. Vous êtes capable de vous priver de voiture ou d’en acheter une électrique, de ne boire que de l’eau du robinet, de n’acheter que des produits Bio, de changer vos châssis, de mener des travaux d’isolation de votre maison ? Tant mieux pour vous. Mais cela a un coût et beaucoup de gens n’en ont pas les moyens. Ces gens se voient dans l’impossibilité de détenir une voiture alors que pour elles c’était une fierté; ces gens sont obligées de vendre leur maison etc. Sans parler de la taxation écologique qui s’ensuit qui pénalise citoyens et entreprises européeennes, conduisant à du chômage en masse etc Vous dites que vous voulez sauver l’humanité. Très bien. Mais en attendant la ligne politique écologique de gauche est en train d’appauvrir les citoyens européens. C’est une réalité que vous ne voulez pas voir.
Je recommande de lire cet article du Figaro : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/ces-sept-lecons-que-la-france-et-l-allemagne-devraient-tirer-de-l-election-de-donald-trump-20241119