Face à la Chine, on savait depuis longtemps que la droite française oscillait entre fascination infantile et cynisme complet. Ces dernières années, on ne compte plus les cris énamourés et autres dithyrambes serviles à l’endroit du régime chinois. Tout plaît à la droite dans ce pays : sa croissance hors norme, son autoritarisme sans états d’âme, son libéralisme échevelé. Notre Raffarin national a même été jusqu’à commettre un livre à la gloire du régime, curieusement paru uniquement en Chine et en chinois. Le sénateur de la Vienne aurait-il peur qu’on lise sa prose ? Mais l’annonce d’une participation des pays émergents, et en premier lieu de la Chine, à un plan de sauvetage européen, résonne comme un coup de tonnerre aux oreilles des Européens.
Henri Guaino, conseiller de Sarkozy, a déclaré ceci à l’issue du sommet européen de jeudi dernier : « Il est hors de question de négocier des contreparties. Si la Chine vient, c’est pour faire un placement dans un fonds qui va jouer un rôle important dans la stabilité mondiale ». Autrement dit : « Dormez sans crainte, braves gens, on prend l’oseille et ils la fermeront »… Avec un toupet incroyable, le conseiller de Sarkozy va jusqu’à nier l’existence de contreparties à une participation directe de la Chine. Aveuglement ou mensonge, revenons d’abord sur les résultats du sommet avant d’aborder son versant asiatique.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, nul ne sait si l’accord conclu au terme du sommet européen jeudi dernier est encore valable, le premier ministre grec ayant décidé de recourir au référendum puis d’y renoncer.
Les résultats du sommet, lamentables, étaient les suivants : renoncement par les banques privées sur la base du « volontariat » à 100 des 350 milliards d’euros de la dette grecque. Athènes recevra de nouveaux prêts internationaux de 100 milliards d’euros. Recapitalisation des banques européennes à hauteur de 100 milliards environ d’ici juin 2012, en partie pour leur permettre de surmonter la décote de la dette grecque où elles sont exposées. Et enfin, sans augmenter les ressources propres du Fonds européen de stabilité financière (FESF), porter ses garanties à 1 000 milliards d’euros grâce à un effet de levier assuranciel et à l’appel aux pays dits émergents via la création d’un nouveau véhicule de crédit. En contrepartie pour le peuple grec, une nouvelle cure d’austérité telle qu’aucun pays développé n’en a jamais subi, imposée par l’extérieur, sans choix possible, et en prime une mise sous tutelle de fait du pays par la BCE, la Commission et le FMI.
La décote de la dette grecque est insuffisante pour espérer sortir ce pays du drame où il sombre. Faute d’avoir pris hier des décisions pourtant moins douloureuses que celles prises aujourd’hui en catastrophe, dans l’intervalle les marchés en ont profité pour l’écraser sous des taux d’intérêts usuraires, lesquels creusent leur tour la dette. Quant aux pays susceptibles d’être attaqués eux aussi, y compris les « grands », la seule mesure qui permettrait de les préserver collectivement de la contagion (faire de la Banque centrale européenne le prêteur en dernier ressort) n’a pas été prise et n’est pas prête de l’être. Le refus absolu d’Angela Merkel, sous la pression de son parlement, d’augmenter ne serait-ce que d’un centime la contribution allemande au fonds a été décisive. Comme l’écrivait François Schwartz la semaine dernière sur ce blog, ce sont autant de non-décisions signifiant en réalité un quasi-abandon au marché triomphant : « On se refuse de couvrir les besoins de financement de pays en situation difficile pour se contenter de rendre leur accès aux marchés plus aisé en diminuant par l’assurance le coût de leurs emprunts et en augmentant le pool des créanciers potentiels par de nouveaux véhicules financiers. »
Après une euphorie de courte durée jeudi, les marchés ne s’y trompaient d’ailleurs pas et replongeaient dans le marasme dès le lendemain car beaucoup restait à faire pour préciser la mise en œuvre de l’accord. Ainsi, le taux de couverture de son nouveau mécanisme d’assurance-crédit n’a pas encore été précisé. Les problèmes de la Grèce restent non résolus : effacer 50 % des créances bancaires ne va réduire que d’un sixième la dette publique totale du pays, et n’améliorera en rien la notation du pays : les Grecs ne peuvent toujours pas revenir à un financement normal sur les marchés. L’agence de notation Fitch Ratings a par exemple indiqué que la restructuration de la dette grecque maintiendrait le pays dans la catégorie de valeur spéculative. Selon elle, la décote de 50 % demandée aux banques constituerait un « événement de crédit » susceptible d’entraîner l’activation de CDS contre le risque de défaillance.
Bref, ce sommet est un désastre, il ne règle rien, ne permet au mieux que de gagner quelques semaines Quelques jours en fait, au rythme où vont les choses. Même si la note accordée au FESF reste la meilleure, AAA, la BCE devra continuer de jouer les pompiers de la zone euro en rachetant des obligations publiques. Toutes ces décisions vont dans le même sens : hors du marché, point de salut. Mais, oh miracle !, Sarkozy et Merkel ont trouvé la solution : l’appel aux pays émergents (Chine, Russie, Inde, Afrique du Sud). Il faut pourtant s’interroger sur la voie ouverte par les dirigeants européens, en particulier cette entrée en fanfare de la Chine comme solution à la question de la dette.
À première vue, il n’est pas scandaleux que la deuxième puissance économique de la planète, premier exportateur mondial, détenant surtout les plus grandes réserves de change (3 200 milliards de dollars), investisse une partie de son colossal trésor en Europe. Son premier marché d’exportation est l’UE, elle a donc intérêt à une sortie rapide du marasme économique et de la crise de l’euro.
La Chine détient déjà des dettes souveraines européennes, à hauteur de plus de 500 milliards de dollars. Bien sûr, elle n’est pas la seule : hors UE, c’est le Japon qui détient le plus de dettes souveraines européennes. On a même appris grâce à la visite du directeur du FESF à Pékin que l’Asie dans son ensemble détenait 40 % des obligations émises par le fonds. Mais en créant une structure spéciale à laquelle participeront des investisseurs étrangers, on change surtout de dimension politique.
On dit « pays émergents » mais tout montre que c’est d’abord sur la Chine que nos dirigeants comptent pour obtenir des capitaux. Dès la fin du sommet jeudi soir, Nicolas Sarkozy avait déclaré que la Chine avait « un rôle majeur à jouer », avant d’appeler le numéro un chinois pour l’informer de ses résultats et le pousser à investir dans le FESF. Le directeur du FESF, Klaus Regling, entreprenait lui carrément le voyage à Pékin pour faire de même : amis Chinois, vos investisseurs seront assurés contre un cinquième des pertes initiales si nécessaire et les titres de dette pourront être cédés en yuan si vous le souhaitez. Des clauses extrêmement favorables… Une supplique avant le supplice ?
Pour l’instant, ces messieurs n’ont dit ni oui ni non. Évidemment, ils ont tout leur temps. Le moins que l’on puisse dire est que leur enthousiasme pour les titres de la dette souveraine européenne est très modéré…
Sans opposer de fins de non-recevoir, les autres pays émergents, en particulier la Russie, qui pourrait participer à hauteur de 10 milliards de dollars, préfèrent le biais du FMI plutôt que de cette usine à gaz aux contours juridiques encore mal définis qu’est le FESF. Le G20 avait en effet décidé en 2009 le triplement des ressources du FMI et l’augmentation notable du poids des pays émergents en son sein. Depuis le temps qu’ils attendaient ce rééquilibrage, on comprend leur réticence à emprunter une nouvelle voie inconnue et offrant moins de garanties. La crise a beaucoup entamé les nouvelles réserves du FMI, une nouvelle augmentation de ses ressources propres a les faveurs des pays qui en disposent encore, la contrepartie étant de peser encore plus dans l’institution.
Mais la dimension politique du recours à la Chine n’a pas échappé aux peuples européens. Un véritable choc dans l’opinion. La Chine pour beaucoup est vue comme le grand gagnant d’une triche à l’échelle de la planète : le salarié chinois, sous-payé et sans droit, réduit à l’état de quasi-esclave, est désormais un concurrent direct, le vol des brevets et l’absence de toute règle permettant aux entreprises de ce pays la conquête de tous les marchés. La perte de souveraineté et les contreparties que l’Etat chinois n’oubliera pas de demander provoquent à bon droit dans l’opinion une peur bleue et une rage dont n’ont pas idée ceux qui ont promu cette idée. La Chine est devenue partie prenante de la gestion de la crise européenne : ce seul fait est déjà intolérable.
La liste est pourtant longue, très longue, de ces contreparties qui n’existent pas selon le fringuant conseiller de notre jeune papa :
Elle peut espérer l’octroi rapide du statut d’économie de marché. Prévu en 2016 par les termes de l’accord d’entrée de la Chine à l’OMC, il pourrait être avancé et les derniers obstacles levés, lui ouvrant plus encore le marché européen. Où l’on voit par ailleurs que l’UE n’est pas l’espace ouvert aux quatre vents décrits par certains.
La Chine ne se verrait plus reprocher par l’UE la non-convertibilité du Yuan ni sa sous-évaluation (d’environ 40 % selon certains économistes), ni son dumping social, ni le pillage des brevets européens. Concernant la sous-évaluation du Yuan, les Européens n’en demandaient pas autant que les Américains. Ils réclamaient surtout l’accès pour leurs entreprises au marché public chinois. Mais ne resterait face à elle qu’une Amérique bien affaiblie.
La levée de l’embargo sur les ventes d’armes, en vigueur depuis l’écrasement du printemps de Pékin en 1989 est un autre objectif de Pékin : la Chine a besoin de certaines technologies militaires qu’elle ne maîtrise pas pour accroître son poids géopolitique et faire respecter y compris militairement ses intérêts planétaires.
De solides moyens de pressions sur des dossiers stratégiques pour Pékin : Taïwan, Corée, Syrie, etc. La démocratie taïwanaise a du souci à se faire et les opposants syriens continueront longtemps de se faire massacrer par le régime d’Assad.
Mais surtout, cette décision funeste lui donne un contrôle politique quasi direct sur nos décisions économiques, car il ne saurait être question pour les Chinois de se retrouver dans la même position qu’envers les USA pendant et après la crise des subprimes. Tirant les leçons de l’expérience, ils feront tout pour bénéficier de placements sûrs, stables et liquides, pour ne pas se lier les mains et subir des pertes dues à un surendettement des Européens et à des déficits qu’ils jugeront excessifs. En clair, ils auront leur mot à dire sur nos politiques budgétaires, ne s’en priveront pas, ils ont déjà commencé.
Mais plus encore que les dettes des États, ce sont surtout les entreprises européennes qui les intéressent. Les privatisations qui accompagnent les programmes d’austérité leur ouvrent de nombreuses opportunités.
Comme le disait le journal polonais Gazeta Wyborcza : « L’Europe met tous ses espoirs dans la Chine. Un pays qui détient le record mondial du nombre d’exécutions de peine capitale et qui envoie ses dissidents politiques dans des camps de travail. Un Etat qui persécute les Tibétains et le peuple ouïghour et qui censure l’Internet. »
Ne nous y trompons pas, loin des propos rassurant d’un Guaino, cet appel à la Chine ressemble trait pour trait à une trahison de nos intérêts vitaux. Vous n’aimiez pas le monde bipolaire de la guerre froide ? Avec l’accord de jeudi dernier, vous allez détester le monde multipolaire.
Laurent Macaire
Excellent article. La Chine est, à mon sens, une dictature esclavagiste, ce qui justifie son soutien au pires régimes autoritaires et cruels avec leurs peuples (notamment en Afrique).
De nombreux responsables français (dans la haute administration) font moult courbettes devant les officiels chinois, sans aucun recul ni objectivité, sans voir la mainmise ni la perte d’influence, sans connaissance des contreparties industrielles.
Nous accueillons ainsi, gratuitement, des dizaines de jeunes Chinois dans nos classes préparatoires aux Grandes Ecoles ; nous les formons, préparant ainsi le terrain pour un solide espionnage industriel…
Bonjour,
Je suis d’accord avec lorenzo,mais je crois plus simplement que si l’europe avait été mieux structurée politiquement
nous n’aurions pas besoin de demander quoique soit au Chinois.
Décidément nous allons régretter longtemps le NON à la contitution européenne.
Apparemment l’opinion publique chinoise s’est immédiatement opposé à une aide chinoise sur les réseaux sociaux chinois…
merci pour cette analyse très éclairante du sommet de Cannes. je profite de votre expertise économique pour vous demander d’autre part si le plan B de sauvetage de la Grèce présenté par Sapir dans Marianne était à vos yeux faisable?
Or la proposition de Sapir a d’autre part l’intérêt de poser la question de la désobéissance démocratique aux traités européens , puisque notamment rien n’y est prévu juridiquement pour exclure un pays de l’euro. Au point où nous en sommes de mauvaise gouvernance, il me semble que cette question a toute son actualité.
Bonjour bourquelot,
Petite réponse schématique à votre question sur ce texte de Sapir (http://www.marianne2.fr/Comment-Papandreou-aurait-pu-eviter-l-ukase-du-directoire-Merkozie_a212260.html).
La solution de Sapir est effectivement économiquement faisable et son effet inflationniste devrait être limité. Le problème est plutôt politique: la même conduite de la part de l’Italie aurait des conséquences plus importantes, et la question de confiance serait posée: qu’est ce qui empêche les pays en question, qui ont laissé filer les déficits et truandé leur comptes publics, de s’asseoir durablement sur les Traités et de provoquer de l’inflation chez leurs partenaires? En germe, c’est l’explosion possible de la zone Euro, et donc c’est un bricolage potentiellement efficace, mais potentiellement très dangereux.
Si il n’y avait que le « bouquin » de Raffarin….
Il y a aussi un accord de coopération en bonne et due forme entre l’UMP et le Parti Communiste Chinois:
http://lamauragne.blog.lemonde.fr/2009/11/08/chronique-iii-dune-dictature-en-gestation/
Bien à vous,
jf.
Salut Laurent,
Comme je me suis avancé un peu vite sur une réponse en bonne et due forme et que j’ai bcp de boulot mais que je veux quand même réagir à cet excellent article, voici quelques éléments à chaud.
Tu l’as dit toi-même, les Chinois ne peuvent laisser tomber leur principal marché d’exportation. Pourquoi le ferait-il? On pourrait penser qu’ils ont eux des marges de croissance que nous n’avons pas, avec le développement de leur consommation intérieure, au potentiel gigantesque. Mais c’est sans compter les extraordinaires difficultés qu’ils rencontrent à maitriser leur propre économie: bulles spéculatives sur l’immobilier, surinvestissement dans les infrastructures, accumulation de créances « pourries » par les banques, inflation à deux chiffres… Pas facile d’administrer un pays de cette taille, le FMI l’a rappelé pas plus tard que la semaine dernière! Du coup eux aussi sont coincés: ils ne craignent pas temps les effets d’un ralentissement économique que la survie même de leur régime, qui tire toute sa légitimité du « contrat de croissance » implicite qui existe avec la population.
Deuxième chose: les réserves de change qu’ils détiennent. Celles-ci sont le corolaire de leur politique extravertie dont je viens de parler. Ils s’en servent pour subventionner la consommation occidentale, en premier lieu les américains. Sans consommation, pas d’exportations de leur part, on en revient toujours au même problème. Donc ici c’est plutôt le débiteur (nous) qui tient le créancier (eux), pas l’inverse.
De plus, crois-tu qu’ils aient un véritable choix de placement pour leur 3000 milliards de dollars? Quel marché peut absorber autant, si ce n’est celui des bons du Trésor américain ET européens? La Chine a déjà essayé d’en utiliser une partie (400 millions) dans un fonds souverain; et bien ils en reviennent, parce qu’ils ont trop perdu.
Dernière chose dont je voulais parler, qui pour un connaisseur et amateur de la Chine est particulièrement choquant.
Pourquoi faire si peu de cas de leur développement? De leur réussite spectaculaire ces dernières années? Du processus d’ouverture politique à l’oeuvre? C’est là que j’aurais besoin de temps pour en discuter avec toi, car évidemment je vois venir les nombreux reproches qu’on peut leur faire; tu en cites quelques-uns. Notre presse est très friande de « China bashing », tout comme elle l’était dans les années 80 pour le Japon.
Il faut bien sûr faire état de toutes leurs misères, et suivre l’évolution attentivement. Mais enfin, les libertés politiques en France se sont arrachées de haute lutte, et en ô combien plus de temps! Pas une excuse, tu me diras, mais précisément si: pour moi, tout développement véritablement réussi ne peut être qu’endogène.
Ils ont un Etat beaucoup plus ouvert à la critique qu’on ne le croit ici, et également des dissensions internes (savais-tu par exemple que l’actuel premier ministre chinois, Wen Jiabao, est descendu soutenir les étudiants de Tiananmen en 1989? Et qu’il a dans plusieurs discours fustigé la corruption qui ronge le pays? Qu’il parle régulièrement de l’avènement de la démocratie en Chine? Protégé en sous-main des journalistes victime de censure?). Les contradictions internes existent, et il faut se réjouir qu’elles fassent progresser la société.
Bien sûr que le travail à la chaîne des ouvriers chinois est terrible; mais est-ce que les sociétés paysannes et leurs famines valent mieux? Est-ce que nous ne sommes pas passé par une sorte de « génération sacrifiée » pour parvenir à la société de consommation? Les salaires progressent de 10% par an en Chine, en valeur réelle, c’est-à-dire inflation retranchée. Joli résultat, je leur souhaite de continuer sur cette voie. Et eux « acceptent » leur condition – bien sûr ce sont des gros traits, je sais bien qu’il y a des remous, et tant mieux – parce que leurs enfants connaissent un véritable ascenseur social, directement palpable pour tous. Voilà qui fait toute la différence, et voilà pourquoi ils sont sourd à nos critiques.
La question est alors de savoir si cette belle mécanique ne risque pas de se gripper, et les conséquences que cela ne manquera pas d’entraîner. Mais c’est un autre débat, que j’espère poursuivre avec toi de vive voix très bientôt 🙂
(dsl d’avoir été un peu long, peut être que je le rédigerai finalement, cet article… Merci d’avoir lancé le débat!)
Hé bien, peut être effectivement que l’article est à rédiger 🙂
D’accord avec Aubel A.