Les difficiles relations de la Lettonie avec sa minorité russophone

Les démonstrations de force de Vladimir Poutine en Géorgie, en Crimée et aujourd’hui dans l’Est de l’Ukraine constituent une résurgence de la politique autoritaire et même d’expansion de la Russie. Autrefois immense empire, l’Union soviétique a éclaté en 1991 laissant l’indépendance à de nombreuses républiques. La place de la Russie est pourtant restée très importante dans ces territoires notamment avec 30 millions de Russes qui se sont installés au cours du 20ème siècle. Bien entendu, il y a de fortes communautés en Ukraine mais aussi au Biélorussie ou encore en Asie centrale. Au sein même de l’Europe, il existe des minorités russophones en Pologne, en Roumanie ou encore en Allemagne.

Consciente de cette diaspora, la Russie a souhaité rester en relation avec ces nombreux expatriés. A partir de 2006, afin de contrer une forte baisse de la démographie et de relancer l’économie, Vladimir Poutine avait même lancé un programme de rapatriement pour tous les Russes d’origines qui souhaitaient s’installer au sein de la « mère patrie ». L’objectif était d’attirer les « frères » des républiques voisines mais aussi d’Allemagne, d’Israël et des Etats-Unis. Il était promis de fournir assistance, logement et accueil.

Des millions étaient attendus en 2012 mais l’initiative n’a pas eu l’effet attendu.

Pourtant, à l’étranger, le sentiment d’appartenance à la communauté russe reste fort. Plus d’un million de Russophones continuent notamment de vivre dans les états baltes. En Lettonie, les Russophones constituent 32% de la population (ils sont même majoritaires dans sept des huit plus grandes villes du pays). Cette concentration de populations n’est pas négligeable d’autant que les relations sont parfois conflictuelles.

Contrairement à la Lituanie où la naturalisation est plus souple, la Lettonie reste un pays très fermé. Une loi oblige les candidats à la citoyenneté à parler couramment letton, à connaître le texte de l’hymne national et à renoncer à leur ancienne citoyenneté. Ces mesures extrêmement restrictives ont entraîné un nombre très important (au moins 500 000) d’apatrides. Ce statut préjudiciable dans le pays n’ouvre ni aux allocations familiales, ni aux indemnités chômage, ni à la gratuité des soins et ne permet en aucun cas d’inviter des personnes venant de l’étranger. En d’autres mots, les Russophones doivent prouver qu’ils seront toujours fidèles à la Lettonie.

Uniquement 44% des Russophones ont ainsi pu obtenir la nationalité lettone. Se sentant stigmatisée par la presse et la classe politique, la minorité russe se sent exclue de la société.

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a déjà rappelé à l’ordre Riga sur des mesures telles que l’obligation pour les candidats aux élections municipales et législatives de se soumettre à des tests linguistiques de la maîtrise de la langue lettone. Il s’agit clairement d’un obstacle pour l’importante population russophone. Les autorités lettones seraient justement inquiètes d’un tel poids démographique. Car, selon la chercheuse Fanny Marchal, la rigueur de ces lois provient de ce que si les populations d’origine russe acquièrent massivement la citoyenneté lettone, elles pourront devenir une importante force politique.

Certains habitants sont par conséquent privés de passeport. Sans ce précieux sésame, impossible de voter et de se déplacer dans la grande majorité des pays de l’Union européenne et en Russie.

L’hostilité des autorités baltes face à leurs minorités peut être expliquée par l’Histoire et les différentes occupations et persécutions du géant russe. Mais, comme le souhaite l’Union européenne, les relations doivent aujourd’hui être apaisées afin de stopper toute forme de discrimination et d’éviter des conflits futurs. Le dialogue doit être privilégié. On ne peut construire un avenir sain avec les colères du passé. Rejeter voire mépriser une population ne peut garantir le bon fonctionnement d’un état démocratique. Il faut sortir de ce sentiment de guerre froide qui laisse à penser que la population russe est hostile à toute politique de l’Europe. Masquée par le contexte houleux de ces derniers temps, il existe bien une identité européenne dans le monde russe.

Membre de l’Union européenne depuis 2006, la Lettonie a le devoir d’ouvrir un dialogue avec ses minorités et de fonder un état moderne en bonne harmonie avec ses voisins, mais aussi avec sa propre population.

 

brieuc.cudennec

 

        Brieuc Cudennec

Arthur Colin
Arthur Colin
Président de Sauvons l'Europe

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8 Commentaires

  1. Comme professeur en Etudes européennes auprès de l’Université de Fribourg en Suisse, je ne peux que saluer cet article.
    M’étant déjà rendu dans les pays baltes à plusieurs reprises, je ne peux que déplorer le laxisme de l’Union européenne face aux politiques anti-citoyennes menées par la Lettonie. L’Union européenne ne respecte en effet guère ses propres principes auxquels elle devrait néanmoins se tenir. Par ailleurs, cet article vient au point nommé dans cette phase de russophobie, d’autant qu’il ne faudrait pas confondre Poutine et Russie. C’est beaucoup plus compliqué que ça! Et puis, le temps ne serait-il pas venu pour les pays baltes de s’interroger sur leur propre passé? Une visite au musée d’histoire nationale de Riga laisse songeur, surtout si l’on connaît un peu l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Non, Messieurs, Mesdames les Lettons, celle-ci n’a pas commencé avec la signature du pacte germano-soviétique!
    Prof. Gilbert Casasus

  2. Les lettons sont à juste titre méfiants des agissements de leur voisin. Les minorités ont des droits, conformes aux valeurs développées dans l’Union Européenne, mais je comprends que les états baltes cherchent avant tout à refuser par exemple une double nationalité.
    Je trouve surprenant cet article qui, finalement, met en avant les droits des minorités par rapport à ceux des majorités et fait l’impasse sur l’exemple donné par les russes en Ukraine.
    Les colères sont actuelles et non pas du passé.
    Le peuple russe, hélas, est actuellement en faveur du nationalisme de M. Poutine et très fier de ses actions.
    Il est certes difficile de concilier les droits de tout le monde et, dans un monde bien fait, il conviendrait d’appliquer ce que préconise M. Casasus mais le problème est que ce n’est pas ainsi que se comporte le pouvoir russe.

  3. Merci pour cet article, qui porte sur un sujet si peu abordé!

    Je me permets cependant de remettre en question votre propos concernant un « sentiment de guerre froide » dans la situation lettonne. Je pense que le problème ne réside ici pas tant dans une question plus globale d’opposition de blocs, d’autant plus que l’UE appelle justement à une plus grande flexibilité de la part de la Lettonie envers les Russes, ce qui va à l’encontre d’une telle perception de la situation.
    Il s’agit ici d’une question très spécifique aux anciens Etats soviétiques, la question de l’identité de leur Etat indépendant depuis finalement relativement peu de temps. Pas de guerre froide ici, à mon sens, mais simplement la recherche de son identité et d’une indépendance garantie par un modèle politique et social original.
    Tout cela ne justifie en aucun cas la ségrégation menée en Lettonie envers les Russes, toutefois, cette question est beaucoup plus complexe qu’elle en a l’air et la présence d’une force politique russe au sein d’un Etat rend difficile sa gestion, comme le montre notamment le cas du Kazakhstan depuis les années 1990.

  4. la Lettonie a été pendant la période 1939-1945 une alliée empressée et servile du régime nazi ;bien sur par la suite les communistes ont fait payer cher cette alliance au peuple letton!mais faut il sans arrêt répéter les anciennes rancoeurs..et régler des comptes avec un passé qui n’existe plus,par définition!

    • AVANT de collaborer avec l’Allemagne la Lettonie a été occupée par les Soviétiques au lendemain du pacte germano-soviétique, en juin 1940. C’est en grande partie ceci qui explique cela. Il n’y aurait pas eu autant de soutien à l’Allemagne s’il n’y avait pas AVANT une occupation soviétique. Vous avez une curieuse manière d’inverser l’histoire.

  5. Il y a dans cet article des éléments que j’approuve et d’autres pas. Parler de « statut extrémement restrictif » parce que les Russes de Lettonie doivent parler le letton et connaître les paroles de l’hymne national ! C’est tout de même la moindre des choses non ? S’ils choisissent de vivre dans ce pays ils doivent en parler la langue. Il en va comme pour les Suédois de Finlande par exemple. Beaucoup de Russes y répugnent par mépris des Baltes et par paresse. Ils voudraient maintenir le statut colonial et privilégié de l’époque soviétique. En revanche ils doivent pouvoir avoir la double nationalité. Mais cela suppose aussi que la nationalité lettone dsoit définie par le sol et non par le sang.

  6. En accord avec Mr Doguet, connaître la langue et l’hymne national d’un pays dont on veut devenir citoyen, me paraît bien être la moindre des choses. On montre qu’on fait partie d’une communauté nationale.
    Par contre, il y a des réserves sur l’abandon de la nationalité d’origine.
    Quant aux visées « expansionnistes  » russes, nous voyons plutôt les visées expansionnistes atlantistes.

  7. Il faudrait connaître les impondérables de cette affaire : le taux de mariages mixtes, le niveau de scolarisation des deux groupes dans chacune des deux langues, le niveau d’expression de chacune dans la presse, le taux d’emploi dans la fonction publique de chaque groupe, pour pouvoir juger autrement qu’au doigt mouillé des responsabilités des uns ou des autres, et de la possibilité d’améliorer la situation. En général, le syndrome de la forteresse assiégée tourne assez rapidement à la catastrophe humanitaire, avec ségrégation et éventuellement pogroms. Il serait donc bon que l’Europe se penche de plus près sur ce berceau délétère, et associe ces partenaires réticents à ses réflexions.

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