À la fin, ce n’est pas toujours le PPE… et les Allemands qui gagnent.
Le principe dit des « Spitzenkandidaten » tel qu’instauré en 2014, et que certains voudraient laborieusement reproduire en 2019, est objectivement « adémocratique ». Il ne repose pas sur une réflexion constitutionnelle sérieuse.
Selon ce principe, le Parlement présente et éventuellement impose au Conseil européen le candidat qu’aura désigné avant les élections la formation qui a obtenu à l’issue de celles-ci le plus grand nombre de sièges, même sans disposer de la majorité absolue. Cela va au-delà de la déjà très contestable tradition britannique du « First past the post » qui n’oblige pas à faire formellement état à l’avance de candidatures à la fonction de premier ministre.
Certes, le premier alinéa de l’article 17.7 du traité sur l’Union européenne, dont la teneur a incontestablement une connotation constitutionnelle, stipule « En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure. »
Il n’est pas contre nature, en se plaçant dans la perspective d’un « État » démocratique, que le Conseil européen exerçant en la matière une sorte de présidence collective de l’Union, soit chargé à ce titre de proposer un président de la Commission, c’est à dire en quelque sorte un premier ministre de l’Union. Le traité ne précise pas qu’il doive le choisir parmi les membres du Parlement. Ce point méritera au reste d’être débattu lors de la future révision des traités. Car imposer qu’il ait d’abord été directement élu, qui plus est au cours d’une élection européenne, le doterait incontestablement d’une légitimité démocratique de niveau européen, seul niveau adéquat en la matière : un ancien premier ministre luxembourgeois ne peut prétendre disposer de cette légitimité. Cependant, le Conseil européen doit explicitement procéder à des consultations préalables (appropriées) « en tenant compte des élections au Parlement européen ». Ces consultations donc doivent être guidées principalement, et avant toute autre considération, par la préoccupation qu’in fine, ce candidat reçoive l’agrément du Parlement menant ainsi à son authentique élection. Il serait important à l’avenir, cerise sur le gâteau, que ce soit avec le reste de la Commission « gouvernement de l’Union », mais nous n’en sommes à l’évidence pas encore tout à fait là.
Il n’est par contre écrit nulle part que le « parti » européen ayant recueilli le plus grand nombre de voix lors des élections est appelé à désigner le candidat à présidence de la Commission. Du reste et dans les faits, quelle liste, dans chacun des États membres, appelle-t-elle aujourd’hui explicitement ses électeurs à la mettre en situation de contribuer à désigner le président le la Commission avec les autres membres de son parti européen ? Cette éventualité n’est mentionnée dans aucune campagne.
En fait, pour être élu par le Parlement, un candidat à la présidence de la Commission doit plutôt être soutenu par une majorité claire au Parlement. En l’état, une telle majorité absolue ne peut être atteinte que par une coalition de gouvernement. On a trop pris l’habitude qu’a priori, une telle majorité ne puisse être obtenue que par l’association PPE-S&D. Rien n’indique que cela doive se poursuivre indéfiniment. Et il appartiendra, après les élections, à la coalition qui recueillera la plus forte majorité de désigner (en son sein, selon toute vraisemblance) le candidat ou la candidate dont elle négociera la nomination par le Conseil européen.
Or là est le tout premier enjeu des élections, un enjeu véritablement démocratique, bien au-delà de programmes ébauchés sur la base de préoccupations nationales. En toute hypothèse, cette candidate ou ce candidat ne sera pas le Spitzenkandidat du PPE, même si celui-ci obtient le plus grand nombre de sièges. Rien n’autorise aujourd’hui Monsieur Manfred Weber, à peu près aussi inconnu en Allemagne qu’en France, à se comporter comme s’il était déjà le futur président de la Commission. Rien n’indique non plus qu’une éventuelle coalition choisira forcément son candidat parmi les Spitzenkandidaten des divers partis qui la composeront.
En l’absence de listes électorales authentiquement transnationales, le principe du Spitzenkandidat est vide de sens. Aujourd’hui, les prétendus Spitzenkandidaten ne sont au mieux les têtes que des listes de leurs propres partis dans leurs propres pays. Du reste, voit-on, au cours de sa campagne, Monsieur François-Xavier Bellamy (LR), par exemple, se ranger derrière Monsieur Manfred Weber (CSU) ou même seulement le mentionner, sans parler de faire référence parmi ses arguments de campagne à quelque programme qu’ils porteraient en commun pour l’avenir de l’Union ?
Ayant constaté que Monsieur Macron ne promeut pas le principe du Spitzenkandidat, on l’a accusé de privilégier les discussions opaques au sein du Conseil européen, et de mépriser la légitimité démocratique acquise par le Parlement de par son élection au suffrage universel direct. On pensait l’expliquer par le constat qu’en raison de la jeunesse de son mouvement et de sa démarche délibérément « clivante », il ne pouvait se ranger derrière aucun parti européen existant. Mais il paraît beaucoup plus vraisemblable qu’il refuse de se plier a priori à l’injonction d’accepter une grande coalition PPE-S&D, au demeurant de moins en moins probable. Qui peut affirmer aujourd’hui qu’à l’issue des élections le choix se résume à accepter encore une fois que le PPE soit le leader d’une telle coalition ?
Aussi longtemps que le résultat de ces élections reste inconnu, l’application du principe du Spitzenkandidat n’est pas assurée. Certes, nous devons rester tendus vers la consolidation de la démocratie européenne. À l’avenir, l’instauration de listes transnationales y contribuera bien plus certainement que la chimère des Spitzenkandidaten. Certes, comme les traités l’indiquent, le dernier mot doit revenir au Parlement pour élire le président de la Commission. Mais pourquoi, même si les sondages désignent le PPE comme le parti qui disposerait, encore une fois, du plus grand nombre de sièges au sein du futur Parlement, quoique sans majorité absolue, s’acharner à vouloir mettre en œuvre le principe des Spitzenkandidaten à la mode bancale de 2014 ? Ne manquant pas d’intérêt en soi, ce principe ne constitue pas en l’état une avancée démocratique crédible.
[author title= »François Mennerat » image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2019/05/François-Mennerat-1.jpg »]François Mennerat est animateur territorial de Sauvons l’Europe[/author]
Même si cela n’est explicitement exprimé dans les textes, la désignation du président de la Commission dépendante du résultats des élections au Parlement européen ne parait plus démocratique que le mode traditionnel. Que l’organe exécutif dépende de la chambre la plus démocratique du pouvoir « législatif » est pour moi, la norme à appliquer dans une démocratie représentative, que ce soit au niveau local ( le maire élu par le conseil municipal) qu’au niveau européen ( le chef de la commission élu par la parlement européen, primeur au suffrage universel, et par le conseil).
Quant aux histoires de coalitions, nous ne sommes pas au même niveau. Au rugby ou au foot, on ne mélange pas les règles du jeu et les stratégies des entraineurs pour arriver à la victoire. La coalition relève de la stratégie politique plus que des règles institutionnelles.
Pour conclure, je n’ai surtout pas envie de voir revenir un système ou un président de commission ( Barroso pour ne pas le nommer) a réduit son rôle, plus ou moins volontairement, pour ne devenir que le secrétaire de séance des réunion du conseil.
Nous sommes absolument d’accord et je me suis dans doute mal exprimé. Ce que je pense est qu’il est plus démocratique que ce soit la majorité (absolue) exprimée par une coalition, nécessaire de toutes façons, qui propose le président de la Commission, plutôt que le « parti » disposant, sans majorité absolue du plus grand nombre de sièges, quitte à ce qu’il cherche secondairement à constituer cette majorité.
Formons l’hypothèse qu’à l’issue des élections un ensemble de partis progressistes rassemblant les S&D, les Verts, l’ADE (ex ALDE), etc. bénéficie de cette majorité, ils seraient en position de proposer le président de la Commission. Il est possible qu’ils choisissent l’une ou l’un des Spitzenkandidaten des partis qui la composent; mais pas forcément. Ce serait beaucoup plus ouvert et démocratique que de se résoudre à admettre sans autre forme de procès que Manfred Weber sera le prochain président de la Commission. Pourquoi le nouveau Parlement se verrait-il contraint à se ranger derrière le PPE ? Pourquoi ne resterait-il que l’alternative d’une désignation autoritaire par le Conseil européen dès le 27 mai ? Il arrive un moment où une crise institutionnelle est seule à même de faire progresser la démocratie. L’ambiguïté de l’article 17 alinea 7 demande une clarification pour renforcer le pouvoir du Parlement dans le contrôle des institutions.
L’ambiguité constitutionnelle est souvent importante pour permettre les évolutions. Nous sommes d’accord sur cette opposition entre coalition et parti arrivé en tête.
Bonjour, c’est la raison pour laquelle le Printemps Européen a choisi d’avoir un programme transnational validé par tou.te.s les candidat.e.s dans tous les états membres où des listes se présentent sous ce nom. La vision commune est claire, détaillée, chiffrée, et le ou la candidat.e soutenu.e par tou.te.s les membres et les eurodéputé.e.s.
Je partage entièrement l’opinion de l’auteur sur la primauté que doit avoir le parlement pour la désignation du président de la Commission, et sur la nécessité de réunir pour cela une coalition en son sein plutôt que de s’en remettre à l’automatisme du parti arrivé en tête.
Par contre, lier cette procédure aux listes transnationales est une fausse bonne idée. Ce sont deux problématiques très différentes.
Dans une perspective européenne et transnationale, nous devrions avoir de véritables partis transnationaux avec un vrai président à la tête de chacun d’eux. Ainsi, par exemple, Joseph Daul, président du PPE, serait le candidat naturel de la droite conservatrice européenne pour la présidence de la Commission, tout comme en Allemagne le chef d’un parti est de facto candidat à la Chancellerie. Lors des élections européennes, ce chef de parti devrait diriger la campagne électorale, avec à l’appui le manifeste européen, cette campagne étant bien sûr orchestrée localement par les partis nationaux affiliés, dans des circonscriptions restant à la discrétion des États membres. Ensuite, charge à celui arrivé en tête de constituer une majorité au PE. S’il n’y parvient pas, le Conseil européen devrait confier cette tâche à un autre chef de parti.
L’avenir repose sur de véritables partis transnationaux, pas sur l’illusion des Spitzenkandidaten, un concept inventé par défaut. Encore moins sur les listes transnationales, la fausse bonne idée par excellence.
Pierre Jouvenat a raison. Je le remercie d’apporter cette précision et d’exprimer cette exigence supplémentaire.
Il faut en effet de la clarté. Les prétendus « partis » européens d’aujourd’hui n’en sont statutairement et structurellement pas pour la plupart. Ils restent de vagues conglomérats de partis nationaux sans réelle cohérence. Et il est vrai que le concept de listes transnationales manque de consistance si elles ne sont pas portées par d’authentiques partis européens, donc transnationaux, dont les chefs respectifs seraient les « têtes de liste » naturelles, comme actuellement en Allemagne ou au Royaume Uni, par exemple, et candidates à des fonctions exécutives gouvernementales.
Pour la plupart, les Spitzenkandidaten ne sont dans les faits que les leaders de listes nationales dans les Etats membres et leur pouvoir d’entraînement de l’opinion reste limité hors de ces Etats où, du reste, peu interviennent dans les campagne électorales européennes. Leur qualification de « têtes de listes » restera artificielle aussi longtemps qu’elles ou ils ne seront pas des chefs d’appareils.
Il demeure que la priorité essentielle est de faire respecter la prééminence de la légitimité démocratique du Parlement européen par rapport à celles des gouvernements des Etats membres.
Ce que je craignais est bien en train d’arriver. Le ou la futur(e) président de la commission va être choisi par les chefs d’États ou de gouvernement au lieu d’être choisi par le Parlement. Je considère que c’est un recul par rapport à ce qui s’est passé en 2014.