La politique italienne est sans aucun doute l’une des plus imprévisibles du continent. Deux semaines auparavant, j’exprimais dans un article ici même le point de vue selon lequel je considérais que malgré les turbulences qu’il subissait, le gouvernement Draghi ne me semblait pas en danger immédiat. Le moins que l’on puisse dire est que cet imprudent pronostic devrait figurer en excellente place dans mon panthéon personnel des prédictions malheureuses. En effet, suite à une journée un peu folle telle que nous en offre périodiquement la vie politique italienne, le gouvernement Draghi jetait définitivement l’éponge et le Président convoquait dans la foulée de nouvelles élections pour le mois de septembre.
Au fond, il est permis de penser que les partis n’avaient en aucun cas prémédité le renversement de Mario Draghi et qu’il fut davantage la conséquence des multiples provocations croisées du Mouvement 5 Etoiles d’une part et de la coalition Lega-Forza Italia d’autre part, dans le but plus modeste d’obtenir des infléchissements en leur faveur. On s’en souvient, le première banderille avait été posée par l’ultimatum du Mouvement 5 Etoiles mais tout laissait à penser qu’il s’agissait d’un pétard mouillé. Du reste, Draghi semblait avoir désamorcé la mèche lui même en anticipant sa démission, celle-ci étant dans un premier temps rejetée fort logiquement par le Président de la République qui demandait alors à son Premier Ministre de se soumettre à un vote de confiance. Ce qui signifiait placer le Mouvement 5 Etoiles face à ses responsabilités ; or ce dernier ne désirait ni aller vers des élections anticipées ni rompre toute chance éventuelle d’un pacte électoral avec le Parti Démocrate. A cet instant, l’option la plus vraisemblable était donc de considérer que le bluff des 5 Etoiles avait échoué et qu’ils voteraient la confiance, en échange de concessions mineures. Mais c’était sans compter sur la droite qui voyait alors l’occasion de se débarrasser des 5 Etoiles et prenait comme prétexte cet ultimatum pour annoncer qu’ils étaient d’accord de continuer avec Draghi à la seule condition de chasser les 5 Etoiles du gouvernement. Forza Italia proposait donc une résolution à cet effet. La riposte de Mario Draghi fut cinglante et le Premier Ministre annonçait que seule sa propre résolution serait soumise au vote, le résultat inévitable étant l’abstention – conjointe cette fois des 5 Etoiles et de la droite – aboutissant à la démission de Draghi. A noter d’ailleurs que jusqu’au bout, les partis rebelles ont refusé d’assumer leurs responsabilités dans la chute d’un gouvernement populaire, optant hypocritement pour l’abstention bien que les conséquences de celle ci étaient connues.
Les grands gagnants de cette séquence semblent malheureusement devoir être les néo fascistes des Fratelli qui sont en tête dans les sondages et constituent largement la première force de la coalition de droite. Raison pour laquelle la Lega n’est sans doute au fond guère satisfaite par ce scénario d’un scrutin anticipé qui sonne quasiment le glas des espoirs de Matteo Salvini de devenir Premier Ministre puisque, sauf remontée extraordinaire de la Lega par rapport aux Fratelli, la candidate de la coalition au poste suprême devrait être Giorgia Meloni. Une perspective particulièrement inquiétante si l’on considère le profil de cette candidate et de son parti. Les Fratelli sont en effet les héritiers directs du mouvement ouvertement fasciste du MSI qui assumait pleinement la filiation avec Mussolini, Giorgia Meloni elle même ayant débuté son engagement politique dès l’adolescence au sein du MSI. A tel point qu’à l’échelle européenne, le PPE a tenté de pousser la candidature de Tajani, membre de Forza Italia, se rendant bien compte que le soutien de la droite européenne à une coalition dirigée par une néo fasciste poserait en pratique des problèmes difficilement surmontables. Mais cette démarche n’a évidemment aucune chance d’aboutir, considérant les poids réciproques de la droite berlusconienne et de l’extrême droite. De plus, Berlusconi n’est guère disposé à aider Tajani puisque se préoccupant uniquement de son sort personnel et cherchant à négocier la Présidence du Sénat. Malgré des désertions – dont certaines particulièrement notable comme celle du ministre de FI Renato Brunetta – Forza Italia devrait donc marcher à peu près en rang serré, même derrière les Fratelli. La coalition de droite dirigée par l’extrême droite cumule entre 44 et 47% des voix dans les sondages et reste la grande favorite des élections de septembre.
A gauche et au centre, la première conséquence de cet épisode malheureux est la fin de tout espoir d’une alliance entre le Parti Démocrate et les 5 Etoiles. L’attitude du Mouvement de Giuseppe Conte aura évidemment condamné cette perspective. Enrico Letta l’avait annoncé et il le maintient: il est impossible d’accepter au sein de la coalition un parti qui a fait tomber le gouvernement Draghi. Naturellement, cela risque de fortement compliquer les choses sur le plan arithmétique mais cette décision est la bonne si l’on considère la seule cohérence politique. Les enquêtes d’opinion montrent en effet que la majorité des Italiens voient en Giuseppe Conte le principal responsable de la chute d’un gouvernement dont ils estimaient par ailleurs positivement l’action : par conséquent, un reniement du Parti Démocrate vis à vis des 5 Etoiles serait jugé comme purement électoraliste et vraisemblablement très mal perçu.
Reste maintenant à bâtir l’alliance la plus large possible car, on le sait, le mode de scrutin favorise nettement les coalitions. L’idéal serait bien évidemment de regrouper l’ensemble des composantes issues de la gauche et du centre, c’est à dire allant grosso modo de Fratoianni à Renzi. Or si les petits partis de gauche semblent disposés à se ranger derrière la bannière du Parti Démocrate, c’est moins évident pour tous les petits partis centristes. L’un des points de friction est le nom du candidat au poste de Premier Ministre : le Parti Démocrate estime que Enrico Letta est le mieux placé pour vaincre Giorgia Meloni quand les centristes croient encore en la possibilité d’un scénario dans lequel le leader de la coalition serait tout simplement Mario Draghi, et cela alors même que ce dernier n’a, à ce stade, envoyé aucun signal indiquant sa disponibilité. Reste qu’au vu de la popularité du Premier Ministre sortant, cette option serait sans doute bénéfique à l’ensemble de l’alliance. En dehors de Draghi, aucune personnalité ne parvient à recueillir l’assentiment des centristes, Carlo Calenda étant prêt à déclarer sa propre candidature quand Matteo Renzi n’exclut pas de partir seul, ce qui serait pourtant suicidaire. Il n’en reste pas moins qu’au vu de la gravité de la situation et d’un réel risque de voir Giorgia Meloni s’installer au Palais Chigi en septembre prochain, ces querelles paraissent bien dérisoires. Il est tout aussi vrai que ni Calenda ni Renzi n’ont la moindre chance de devenir Premier Ministre et qu’en dehors du recours Mario Draghi, le seul candidat logique reste le leader du Parti Démocrate Enrico Letta, ce parti étant à la fois le plus puissant et l’élément central d’une coalition qui rassemblerait de la gauche jusqu’au centre. Tout le contraire d’une coalition de droite qui, en donnant les clés aux extrêmes, laisse sans doute orphelin une partie des électeurs du centre droit. Le rôle des dissidents de Forza Italia pourrait à cet égard devenir déterminant et il est évident que la présence des centristes dans la coalition pilotée par le Parti Démocrate aiderait beaucoup auprès de cet électorat.
Pour toutes ces raisons, il serait incompréhensible de ne pas construire cette grande alliance de la dernière chance contre l’extrême droite. Le minimum est au moins de ne présenter qu’un seul candidat dans les circonscriptions (le scrutin est mixte avec une partie uninominale et une autre proportionnelle). Sept points de retard entre les deux possibles coalitions, c’est beaucoup mais cela peut se rattraper au cours d’une bonne campagne, surtout dans un contexte où les Italiens en voudront aux partis ayant contribué à la chute de Mario Draghi. Mais en ne partant pas uni, le combat deviendrait alors assez désespéré. Et désespérant …
Mais c’est l’Europe tout entière qui observera ce scrutin avec inquiétude. Avec sans doute autant de palpitations que lors du second tour des présidentielles françaises …
Bonjour
J’ai dû rater quelques épisodes de la Comedia politique italienne : j’en étais resté au fait que la Lega et Forza Italia constituaient ensemble l’extrême droite italienne… Mais ils ont trouvé pire apparemment, vraiment dramatique cette peste brune qui grignote nos démocraties !
Très bonne analyse de la situation italienne. Je la fais suivre à mes amis italiens qui doivent être un peu désorientés.
Bonjour.
La remontée du fascisme en Europe s’explique par l’accroissement de la pauvreté d’une partie de sa population, par la perte des valeurs morales qui sont les bases du pouvoir vivre ensemble, par un système éducatif très défaillant malgré les milliards qui lui sont alloués, par l’abandon du rôle éducatif de nombreux parents envers leurs enfants, etc, etc…
L’état qui devraient régulés est lui même dans cet abandon car il en diffère le traitement, il favorise par ses décisions ceux qui sont les plus riches et qui accumulent des millions ou des milliards d’Euros s’en être taxé, c’est indexant ?
Il n’y a pas qu’en Italie qu’on observe cette remontée de fascisme, la Hongrie, la Pologne et nous même favorisons cette remontée en France par les diverses manigances de nos politiques.
Les dictatures actuelles (Russie, Chine, Turquie, etc..) sont à l’affut pour déstabiliser notre continent,
les USA ne prennent’ ils pas notre belle Europe pour leur terrain de jeu, avec cette accumulations de difficultés que nous ne voulons pas voir (climatique et autres) et ceci au niveau mondial, que va t’il arriver demain ?