Nous nous souvenons tous, lors de la campagne française de 2005 sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, qu’une partie du camp progressiste avait, en dépit de ses justifications proeuropéennes, fait campagne pour le non au référendum.
Cela avait beaucoup fait débat, notamment lorsque certains leaders importants du Parti Socialiste comme Laurent Fabius avait appelé les citoyens à voter non. Effectivement, il était assez étonnant qu’une partie du camp progressiste – les sociaux démocrates ont toujours soutenu la construction européenne – ne soutienne pas un Traité qui aurait permis à la construction européenne de franchir un nouveau pas.
Les « nonistes de gauche » français, comme d’ailleurs les partisans irlandais de gauche en faveur du non au Traité de Lisbonne, justifiaient leur refus par un argument essentiel : le Traité établissant une Constitution pour l’Europe comme le Traité de Lisbonne ne seraient pas des traités sociaux, au contraire ils graveraient dans le marbre les seuls principes économiques du libéralisme. Nous ne reviendrons pas ici sur le débat d’alors qui avait opposé les tenants du oui aux tenants du non.
Ainsi, une fois que le non l’avait emporté, les nonistes de gauche comme d’ailleurs les souverainistes de droite et d’extrême droite opposés au Traité, expliquaient que la victoire du non était l’expression directe du peuple. À gauche, on traduisait cela comme un rejet populaire de l’Europe libérale et à droite comme un rejet populaire d’une Europe accusée de dissoudre les identités nationales.
L’Europe des peuples alors, de gauche ou de droite ?
Un rejet populaire donc ? Soit, mais force est de constater qu’entre le peuple progressiste souhaitant une Europe sociale tel qu’il a été défini par les nonistes de gauche et le peuple préférant le repli national à l’intégration européenne de la droite souverainiste et de l’extrême droite, il y a un gouffre ! Comment donc savoir ce que le peuple souhaitait exprimer ?
Hélas, c’est très rapidement que nous avons pu savoir ce que souhaitaient réellement les peuples. L’erreur des nonistes de gauche fut en effet de croire en un peuple idéalisé qui serait progressiste par essence. En France, c’est la référence au peuple de 1789 qui a été dominante.
Mais aujourd’hui tout est bien différent, croire que le peuple est par essence porteur de progrès relève de l’erreur d’analyse historique et politique. Les faits sont là pour nous le prouver : aujourd’hui l’Europe des peuples est de droite et ce sont bien les idées libérales-conservatrices qui semblent avoir triomphé.
La majorité des gouvernements des États membres, élus démocratiquement, est aux mains de la droite et le Parlement européen, lui aussi élu démocratiquement par les peuples, est dominé par un PPE qui ne fait preuve que très rarement de modération comme le prouve le vote récent de la directive « retour »…
C’est donc un double mouvement que l’on constate aujourd’hui : d’un côté une Europe chargée du « sale boulot » (la politique d’immigration par exemple) et veillant au fonctionnement d’un libre marché ; d’un autre côté un repli national sur les questions sociales et de politiques étrangères.
En avril 2005, lors d’un meeting, Jacques Nikonoff, alors président d’ATTAC, déclarait : « Si la France a le courage de dire non le 29 mai prochain, ne croyez pas qu’elle sera isolée. Au contraire, elle reprendra la main et même se retrouvera au centre du jeu européen. Et nous, les partisans du Non antilibéral porterons les valeurs de l’universalisme et l’esprit des Lumières par toute l’Europe. Il y a comme un parfum de Valmy qui flotte dans l’air ! » Aujourd’hui, une telle phrase fait presque rire car de l’Europe antilibérale, sociale et progressiste on en est très loin !
L’Europe sociale passe par un renforcement des institutions et un pôle progressiste européen fort.
Les nonistes de gauche et les progressistes eurosceptiques ont donc fait une grave erreur en accusant les institutions européennes d’être responsable des carences de l’Europe en matière de social. Faire feu sur l’Europe en l’accusant continuellement de promouvoir un modèle libéral n’est clairement pas une stratégie gagnante.
Au contraire, construire l’Europe sociale c’est passer inévitablement par plus d’Europe. Exit donc les boucs émissaires faciles à désigner : Bruxelles, la Commission, le Royaume-Uni, le plombier polonais, les nouveaux entrants, l’élargissement, les technocrates, les lobbys, etc.
Le camp progressiste doit se reprendre en main. S’il veut voir triompher ses idées, ce n’est donc pas en critiquant l’Europe qu’il y parviendra mais bien en défendant au plan politique une Europe plus démocratique qui accorde plus de pouvoirs au Parlement et moins de place aux choix des gouvernements nationaux.
En parallèle, les progressistes doivent lancer une véritable campagne européenne d’explication et de promotion de leurs idées pour pouvoir gagner les élections européennes et faire en sorte que cette fois les peuples confient réellement les rênes de l’Europe à la gauche. Cela implique pour le PSE de refuser tout compromis avec le PPE mais en revanche de nouer des liens solides avec les Verts et le Parti Démocrate Européen.
Il est donc nécessaire que le PSE dispose d’un programme européen clair et ambitieux (comme le Manifesto 2009) qui devra être porté par des candidats réellement sensibles aux questions européennes. La construction de l’Europe sociale passe donc par une Europe plus démocratique, avec notamment un Parlement fort où le camp progressiste sera prêt à y porter un vrai projet européen.
Diego Melchior
Article initialement publié sur Le Taurillon . fr