Engagé pour une mission de bénévolat durant l’été 2022, j’arrive en Palestine avec l’envie de connaitre cette terre pour ce qu’elle est, mais aussi d’observer comment l’Europe s’incarne dans cette région du monde, avec laquelle nous partageons une histoire, une mer, une culture, un présent, un futur. Je pars conscient du privilège de me rendre sur une terre longtemps fantasmée à travers les vers de Mahmoud Darwich, les sons du débké, les saveurs du makloubeh et les récits des réfugiés. Une terre modelée par les Européens à travers les temps. Une nation dont les frontières ont été imposées, sans État pour les faire respecter.
Une arrivée en Palestine est une arrivée entravée, comme un premier aperçu de cet État qui n’est pas ; de cette nation sans toit. Arriver en Palestine, c’est atterrir en Israël, passage obligé pour rejoindre Jérusalem et la Cisjordanie emmurée. À la sortie de l’aéroport, il est courant d’attraper un sheirut, ces taxis collectifs qui font les navettes entre Tel Aviv et Jérusalem. Ils ne partent qu’une fois plein. Ainsi, le mien ne démarrera que deux heures après mon arrivée. À mes côtés, un groupe de jeunes européens partant pour un pèlerinage de deux semaines en terre sainte. Je me confrontais ici pour la première fois à une temporalité nouvelle et singulière, guidée par les aléas d’un quotidien empêché : celui de la guerre. Je n’avais pas osé annoncer au conducteur israélien ma réelle destination finale, un quartier palestinien de Jérusalem-Est. Il me déposa au pied des murailles de la vieille ville. Près du Mont des oliviers, j’apercevais maintenant celle-ci dans son entièreté. Cette première soirée est envoûtante. Cette ville trois fois Sainte, berceau des trois monothéismes paraît figée dans une autre époque, comme si elle refusait de vivre une réalité trop lourde à supporter.
Jérusalem, ville historique aux multiples influences
J’entreprends peu de temps après mon arrivée une balade hiérosolymitaine matinale dans la vieille ville déserte de Jérusalem. L’entrée par la porte du lion me fait suivre la via Dolorosa, qui serpente à travers le quartier musulman de la vieille ville jusqu’au saint Sépulcre. Avant que les premiers groupes de touristes européens n’envahissent les lieux, je déambule dans les coursives et ruelles étroites d’une cité encore endormie. Les vestiges religieux et historiques rappellent le passé partagé de cette terre, revendiquée par les trois religions. C’est pourtant une atmosphère paisible qui m’accompagne. La présence du Vieux continent s’incarne par le nombre important d’extraterritorialités européennes à Jérusalem, souvent administrées par des congrégations religieuses européennes : hospice autrichien, pères dominicains, jésuites, bénédictins, patriarche arménien et grec orthodoxe ; cet héritage judéo-chrétien en terre palestinienne attire les visiteurs de toute l’Europe.
Je suis surpris, au cours de mes déambulations, par le nombre de drapeaux israéliens, installés ici et là, sur les toits, les jardins, les poteaux électriques. Ces pavoisements conquérants rappellent la dimension territoriale d’un conflit politique millénaire. Les drapeaux bleus et blancs de l’Etat hébreu côtoient d’autres drapeaux aux couleurs identiques, qui marquent les lieux d’implantation de l’UNRWA. L’agence onusienne, au cœur de l’actualité à Gaza, fournit en Cisjordanie d’importants services d’éducation et de soins. Deuxième contributeur au monde, l’UE et les pays européens participent au maintien des services de base à toute une population. Les drapeaux palestiniens étonnements absents, sont interdits. Alors Palestiniennes et Palestiniens m’offrent des pastèques pour crier leur existence. Des pastèques, dont les couleurs, rouge, verte et noire rappellent celles de la Palestine.
Des Palestiniens regrettent l’alignement aveugle de l’UE sur les positions américaines
Si Jérusalem reste le phare d’une nation qui rêverait d’en faire sa capitale, la Palestine ne se réduit pas au troisième lieu saint de l’Islam. Des cloches de Bethléem aux savonneries de Naplouse, des rives du Jourdain à la mer Morte, la Palestine est riche, diverse et bien vivante. À Ramallah, on emprunte la rue Jacques-Chirac pour se rendre au musée de la Palestine, premier attribut d’un État attendu. Quelques drapeaux étoilés s’observent ici et là, à côté des projets soutenus par l’UE. L’Europe représente le premier bailleur de fonds mondial pour la Palestine (1,117 milliard d’euros entre 2021 et 2024). Je remarque auprès de mes interlocuteurs que le conflit israélo-palestinien sous-tend chacun de nos échanges. Il est omniprésent en s’incarnant dans le quotidien de chacun de ceux qui le subissent. Avec dignité, ils me font part de leur désespoir. L’Europe, ils y ont cru : Madrid 1991, Oslo 1993, Quartet 2003 (intégration de l’UE à la plus haute instance de discussion sur le conflit aux cotés de la Russie, des USA et de l’ONU). Espoir déçu d’un partenaire politique pourtant historiquement fidèle (relations CEE-OLP dès 1975). Sans animosité, ils regrettent aujourd’hui l’alignement aveugle de l’UE sur les positions américaines. La reconnaissance par l’Europe de l’État de Palestine (seule la Suède a reconnu la Palestine en Europe à ce jour) serait un signal bienvenu pour maintenir l’espoir de perspectives de paix, contrariées par l’actualité.
La première partie de mon séjour se termine. Je rejoins maintenant Israël à bord du tramway de Jérusalem qui serpente de la partie Est à la partie Ouest de la ville. C’est l’un des rares lieux où se côtoient Palestiniens et Israéliens. Si je trouve l’ambiance relativement paisible, un voyageur ne manque pas de me rappeler que ce tramway est blindé (et construit par des industriels européens). Comme si ces moments de coexistence ne tenaient qu’à un fil. Terminus : « Yad Vashem », Mémorial de la Shoah. Israël. » (Episode 3 à venir).
Photo de Briac Louit : Vue de Jérusalem.