Le moins que l’on puisse dire, c’est que les quatre dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes pour tous les progressistes européens. En cause, une fois de plus, le pays qui cristallisait déjà nos angoisses depuis quinze mois c’est à dire l’Italie. La stratégie en plusieurs étapes de Matteo Salvini fonctionnait alors à merveilles : d’abord neutraliser le Mouvement 5 Etoiles afin de s’imposer comme la force motrice de la coalition populiste puis, au moment opportun, provoquer de nouvelles élections dans le but de devenir enfin Premier Ministre. Le scénario semblait écrit et inéluctable : l’Italie allait vers un nouveau scrutin et la Lega, associée aux Fratelli, obtiendrait alors la majorité absolue. L’un des pays fondateurs de l’Union Européenne deviendrait le premier à être dirigé par un leader d’extrême droite, le second parmi les grandes nations mondiales après le Brésil de Bolsonaro.
Puis, soudainement, les planètes se sont alignées et, devant le péril, ce qui semblait impossible s’est finalement matérialisé à savoir une alliance entre le Parti Démocrate et le Mouvement 5 Etoiles. A la surprise générale, Matteo Renzi, qui avait été l’un des opposants les plus farouches à ce genre de rapprochement, en devenait le principal promoteur au sein du Parti Démocrate. Sur le plan du rapport de force interne au sein du PD, ce changement de cap de l’ancien Premier Ministre était somme toute assez logique : les deux groupes parlementaires du PD sont composés en majorité de députés et de sénateurs plutôt « renzistes » et de nouvelles élections auraient permis au leader actuel du PD, Nicola Zingaretti, de faire élire davantage de ses partisans, le leader du parti conservant des pouvoirs importants en ce qui concerne la sélection des candidats aux législatives. Ce qui explique pourquoi les deux ailes rivales du PD ont parfois donné le sentiment de jouer à fronts renversés au cours de ces négociations. Mais, d’abord réticent, Zingaretti s’est progressivement rallié à l’idée d’une coalition et a su tirer son épingle du jeu en pilotant les négociations, puis en garantissant un bon équilibre dans la répartition des postes ministériels entre les divers courants du Parti Démocrate.
Du coté du Mouvement 5 Etoiles, là encore les choses ont pu paraître étonnantes. Comme prévu, c’est l’aile gauche de Roberto Fico qui s’est immédiatement montrée la plus ouverte à un accord mais la grande surprise est venue du rapide positionnement favorable de Beppe Grillo lui-même. Au contraire du leader actuel du mouvement, Luigi Di Maio, qui a donné le sentiment de mener un double jeu permanent, rêvant longtemps d’une réconciliation avec la Lega et compliquant les discussions avec le Parti Démocrate. Au final, la peur d’une déroute a convaincu le groupe parlementaire du Mouvement de s’engager irrémédiablement dans la voie des négociations.
Que penser au final de ce rapprochement ? Le Mouvement 5 Etoiles est certes loin d’être un partenaire idéal et il sort de quinze mois de gouvernance durant lesquels il a pratiquement tout cédé à la Lega, y compris le pire en ce qui concerne les décrets Salvini. Sa nature populiste ainsi que son imprévisibilité risquent d’entraîner des tensions et des difficultés au cours des prochains mois voire années, l’objectif étant bien de tenter de terminer cette législature. Cela étant dit, l’étude précise des bénéfices/risques poussait clairement à l’entente. D’autant plus qu’au final, les Démocrates auront obtenu des conditions plutôt favorables tant du point de vue programmatique que sur les ministères.
Bien sur, on retiendra que le Mouvement 5 Etoiles a réussi à imposer le maintien de Giuseppe Conte auquel le PD était pourtant assez réticent. Ce n’est pas forcément une si mauvaise affaire : Conte est populaire depuis sa violente diatribe contre Salvini le mois dernier et il a pris de l’envergure, ce qui peut contribuer à affaiblir encore davantage Di Maio au sein du M5S. Symboliquement, il était important que ce dernier ne soit plus vice Premier Ministre. Malheureusement, il obtient un gros ministère, les Affaires Etrangères, où son incompétence risque de causer quelques sueurs froides mais où il sera tributaire de la prépondérance diplomatique du Premier Ministre lui-même.
Mais le plus important est que les Démocrates retrouvent une certaine maîtrise dans deux domaines essentiels : l’Europe et l’économie. Le programme commun rompt avec les folies populistes précédentes et tend vers un équilibre entre une politique sociale volontariste d’une part et le respect des engagements européens d’autre part. Le PD récupère le portefeuille des Affaires Européennes, celui de l’Economie et des Finances ainsi que le poste de Commissaire à Bruxelles, dévolu à Paolo Gentiloni. Sur ces aspects, le changement sera majeur et appréciable. Le gouvernement rouge – jaune va également revenir sur les décrets Salvini concernant l’immigration et, ainsi, retrouver une modération sur ces sujets permettant d’allier réalisme et respect des valeurs humanistes sans tomber dans le laxisme. Il sera assurément difficile de maintenir une ligne de crête en la matière et le choix d’une technicienne à l’Intérieur, aussi compétente soit elle, est cependant risqué : on peut penser que Marco Minniti, un temps pressenti, aurait pu être l’homme de la situation.
Mais au final, le pire aura été évité. L’Union Européenne et ses institutions seraient bien inspirés de donner sa chance à ce nouveau gouvernement italien qui, tout imparfait qu’il soit, montre au moins un vrai désir de replacer cette nation fondatrice au cœur de l’Europe. L’Italie nous aura manqué. Prenons garde qu’elle ne nous échappe pas encore une fois. Pour cela, il faudra lui donner un peu de temps au niveau budgétaire et avancer vers davantage de cohésion sur le plan de la politique migratoire afin de ne pas donner à nos amis Italiens le sentiment que nous les abandonnons ce qui, à coup sur, scellerait le retour rapide de Matteo Salvini.
Bien que je ne sois pas pro Salvini ni pro Le Pen, j’ai du mal à comprendre : pourquoi apparenter le départ de Salvini et le retour de la gauche au pouvoir comme un retour de l’Italie au cœur de l’Europe? Ne nous en déplaise, la Ligue, le FN et autres partis extrémistes sont aussi Européens que nous. Cessons de croire que ne sont Européens que ceux qui pensent comme nous. En faisant ainsi, c’est nous qui faisons montre de sectarisme – et donc d’extrémisme – en excluant ceux qui ne pensent pas comme nous.
CHER monsieur prenez garde ceci n’est que des signes précurseurs de déstabilisations politique européenne commune :le devenir d’une Europe foret au plan mondial tant sur le domaine économique que stratégique et diplomatique N’EST SUREMENT PAS A UN DÉLITEMENT DES PAYS QUI Y SONT FACE AUX GRANDES PUISSANCES ceci s’appelle du pragmatisme
Certes tout n’est pas rose dans notre Europe actuelle il faut de la bonne volonté des politiques modérées et stables et DU TRAVAIL DANS CHAQUE NATION POUR Y PARVENIR?
l’histoire nous a tjs montrer que plier aux IDÉES EXTRÊMES DROITES OU EXTRÊMES GAUCHE égal fiscaux et déstabilisation
J’approuve totalement le sens des commentaires de Sébastien Poupon.
Maurice Guyader
De nationalité italienne, résident en Belgique depuis plus de 50 ans, j’étais un européen convaincu. Je le suis un peu moins aujourd’hui. Ce n’est pas de cette Europe là dont je rêvais mais force est de constater que nos dirigeants européens – (issus de pratiques peu orthodoxes, – on l’a bien vu après les dernières élections – devenus presque « persona non grata » dans leurs pays respectifs et parachutés par ces derniers sur les bancs européens pour terminer en beauté leur carrière) – n’ont rien compris ou ne veulent rien comprendre.
Ce « grand machin », comme aurait dit le général de Gaule, continue ses petites magouilles comme si de rien n’était et se gausse d’autosatisfaction suite au « retour » de l’Italie, comme si la peste avait été écartée définitivement.
Personne ne propose la moindre initiative de changement de cap ou d’attitude; tant qu’on n’a pas touché le sol, tout va bien …Personne ne fait de propositions concrètes pour réconcilier le citoyen avec l’Europe !
Il suffit, hélas, à Mr Salvini d’attendre un peu; il est encore relativement jeune, il a tout son temps. Il sait que son heure viendra. Il suffit, hélas, à Mme Le Pen (qui fourbit ses armes) d’attendre un peu, elle sait que son heure viendra. Ainsi que d’autres extrémistes, à l’affût, qui attendent que ce « grand machin » gangrené et vermoulu ne s’effondre de lui-même sous son poids, comme un arbre dont on aurait rongé les racines…
Depuis 50 ans on nous dit que grâce à l’Europe nous avons vécu en paix, sans dictature ni extrêmes. J’en étais convaincu. Je le suis un peu moins aujourd’hui. Je commence à croire que le comportement, sinon honteux, du moins inexcusable de l’Europe, ne va pas nous rameuter tous les extrêmes, embusqués à l’orée du bois.
Je voudrais tant me tromper, je désirerais tant me réveiller de ce mauvais rêve.
Pourvu que je me goure…
P.S Je reçois déjà la « newsletter Sauvons l’Europe » à mon adresse, curieusement transformée en =?utf-8?Q??=
Comprenne qui pourra…
De nationalité française, résident en Belgique depuis presque 50 ans – le « presque » signifiant que vous pouvez vous prévaloir de quelques longueurs d’avance 🙂 – j’étais et je reste un Européen convaincu… ce qui ne m’empêche pas de me montrer parfois critique, par mes chroniques ou mes commentaires, sur le présent site de « Sauvons l’Europe ».
Ayant participé directement à la vie des institutions de l’UE durant une quarantaine d’années et partageant aujourd’hui le témoignage de ce vécu avec mes étudiants de l’Université Libre de Bruxelles – qui, souvent, m’interpellent avec bien plus de pertinence que des europhobes ancrés dans leurs affirmations doctrinaires peu en phase avec les réalités – j’ose penser que j’ai en effet acquis suffisamment de recul (j’ai quitté la Commission en 2011) pour essayer de discerner le bon grain et l’ivraie d’une construction il est vrai quelque peu alambiquée. J’étais certainement plus à l’aise lorsque, moi-même étudiant, je m’initiais au « petit machin » constitué par l’Europe des Six.
Or, précisément, si j’éprouve parfois quelques difficultés à reconnaître moi aussi « mon » Europe, c’est avant tout parce qu’elle a pris un encombrant embonpoint en digérant mal des élargissements successifs souvent précipités, même si, en apparence, ce processus a pris du temps. Il est clair – et l’exemple de la Pologne et de la Hongrie (ce dernier pays étant, au demeurant, celui de mes ancêtres) le montre amplement – que certains nouveaux Etats membres souffrent encore d’une sorte de « maladie infantile » (comme aurait dit Lénine) de la démocratie.
L’observation patiente de l’évolution des mécanismes de pouvoir au sein de l’UE révèle également à quel point le jeu est grandement faussé par la domination de plus en plus prégnante de l’inter-gouvernementalisme. Ainsi, si la Commission est censée avoir conservé le monopole de l’initiative législative que lui confère la lettre des traités, cette compétence s’exerce surtout au niveau des procédures. De plus en plus, l’impulsion se situe en amont, lorsque le Conseil européen (au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement), le Conseil(au niveau des ministres), voire – mais plus rarement – le Parlement européen, « invitent » la Commission à prendre telle ou telle initiative. Au risque de lasser les lecteurs coutumiers de ma prose, je réitère une « parabole maritime » à laquelle je recours volontiers: les Etats membres tiennent fermement la barre, la Commission fait office de boussole et le Parlement scrute l’horizon avec une vocation de vigie.
Cela étant précisé, je partage assez largement vos préoccupations… en attendant, je l’espère, de pouvoir poursuivre avec vous un dialogue constructif.
Je suis française et je vis à Rome depuis très longemps. Je suis moi aussi soulagée et j’apprécie l’article de Sébastien Poupon. Le paragraphe final me semble le plus important : attention, Salvini est juste derrière le coin de la rue et l’aide de l’Europe sera déterminante pour éviter son retour en force, la question migratoire est essentielle, les Italiens sont désemparés et apeurés, ils ont connu l’émigration, mais dans l’autre sens et se sentent envahis. Que ce fait soit réel ou non est indifférent, ce qui compte c’est comme il est perçu. Ils sont aussi déçus de l’Europe, depuis longtemps, et n’ont pas encore digéré le passage à l’Euro, qui a provoqué dans bien des secteurs un quasi doublement des prix favorisé par le change de 1.936,27, presque 2.000 lires pour un euro. Des élections aboutiraient presque certainement au retour de l’extreme-droite, renforcée.
Parmi vos observations fort pertinentes, je relève un point fondamental: « Que ce fait soit réel ou non est indifférent, ce qui compte c’est comme il est perçu ».
Voilà qui pourrait faire écho à la remarque formulée par Dominique Moîsi dans son récent ouvrage consacré à l’Europe sous le titre « Leçons de lumières » (Editions de l’Observatoire, 103 pages). Je cite donc (comme je l’ai déjà fait dans un commentaire antérieur remontant au 1er août) cet extrait des pages 52-53:
« Les informations météo peuvent nous aider à comprendre [une] réalité psychologique et émotionnelle. Elles distinguent de plus en plus aujourd’hui la température ressentie de la température réelle, la première étant une version contrastée de la seconde. Ce concept de ressenti ne s’applique pas seulement à la température, mais aux évolutions économiques, sociales et même politiques ».
Ne serait-ce pas une manière d’expliquer bien des malentendus (terme que l’on pourrait scinder en deux: « mal entendu ») au sujet de la construction européenne?