En juin 1984, au Sommet européen de Fontainebleau, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Europe des Douze ont souligné, dans leurs conclusions, l’importance de bâtir une Europe des citoyens. L’exemple le plus connu, aujourd’hui, c’est le programme ERASMUS qui fête ses 30 ans avec de nombreux événements organisés tout au long de l’année dans tous les 28 pays de l’Union européenne. Beaucoup moins connu, mais tout aussi emblématique de la contribution bénéfique de l’Europe pour ses citoyens, est le cas du programme L’Europe contre le cancer qui fête, lui aussi en 1987, son 30ème anniversaire.
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La mobilisation de l’Europe dans la lutte contre le cancer, trouve son origine au Conseil européen de Milan en juin 1985. Le Premier Ministre italien Bettino Craxi, et le Président François Mitterrand, conseillés par les professeurs Umberto Veronesi (1925-2016) et Maurice Tubiana (1920-2013), respectivement directeurs des Instituts anti-cancer de Milan et de Gustave Roussy, convaincront, en effet, le Conseil européen de Milan d’inscrire dans ses conclusions le paragraphe suivant : « Le Conseil européen a souligné l’intérêt de lancer un programme d’action européen contre le cancer », maladie qui représentait alors 25% de la mortalité globale en Europe (770.000 personnes en 1985 dans l’Europe des 12). Ce Conseil européen de Milan sera aussi fort novateur en convoquant, en dépit de l’opposition de Mme Thatcher, une conférence intergouvernementale pour modifier le traité de Rome afin de pouvoir recourir au vote à la majorité qualifiée pour faciliter la mise en place du grand marché européen avant la fin 1992. Ce nouveau traité, l’Acte unique, entré en vigueur le 1er juillet 1987, jouera un rôle clé dans la lutte contre le tabagisme, la plus grande cause évitable de décès.
Sur la base du mandat donné par le Conseil européen, la Commission européenne s’attèlera à l’élaboration d’un programme de lutte contre le cancer. La tâche était ardue puisque le traité de Rome ne lui donnait aucune compétence directe en matière de santé publique, à quelques exceptions près comme la formation des personnels de santé. Pour la conseiller, la Commission mettra en place un Comité scientifique composé d’éminents cancérologues comme les professeurs Tubiana et Veronesi. C’est ainsi que sera élaboré le premier programme de santé publique européen, L’Europe contre le cancer (1987-1989), couvrant la prévention avec la lutte contre le tabagisme (14 actions), l’amélioration de la nutrition (9 actions), la protection contre les agents cancérigènes (7 actions), le dépistage et la détection précoce des cancers (2 actions) ; l’information et l’éducation à la santé (18 actions) ; la formation au cancer des personnels de santé (5 actions) ; les études épidémiologiques et la recherche médicale (18 actions). Deux des thèmes retenus représentaient une grande première au plan européen.
La lutte contre le tabagisme constituait le 1er axe novateur du programme. Le succès sera au rendez-vous, en dépit de l’opposition féroce du lobby du tabac. Bien avant la convention cadre de l’OMS du 27.02.2005, la Commission européenne fera adopter par le Conseil, dès le 18.07.1989, une Résolution (non contraignante) concernant l’interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public (JOCE C189 du 26.07.1989). En outre, la Commission Delors aura l’intelligence de traiter les produits du tabac comme tout autre produit qui doit pouvoir circuler librement à l’intérieur du grand marché européen. Ceci lui permettra de proposer, au vote à la majorité qualifiée, grâce au tout nouveau traité de l’Acte unique, deux Directives contraignantes, l’une sur l’harmonisation de l’étiquetage des produits du tabac sur le modèle irlandais (« Fumer tue », etc.), l’autre sur la teneur maximale en goudron des cigarettes (15 mgr maximum au 31.12.1992, abaissé à 10 mgr depuis le 1/1/2004). Ces propositions de 1987 ont été respectivement adoptées le 13.11.1989 (JOCE L359 du08.12.1989) et le 17.05.1990 (JOCE L137 du 30.05.1990), en dépit de l’opposition du Royaume-Uni. Elles ont dû, ensuite, être transcrites en législation nationale, signant ainsi la mort des cigarettes à haute teneur en goudron comme la Boyard papier maïs qui contenait 45 mgr de goudron : 3 fois la norme européenne! Un véritable poison! Merci l’Europe car, sans ces directives européennes, la législation française n’aurait pas bougé vu la puissance du lobby français du tabac … et c’est là l’une des raisons majeures pour laquelle les professeurs Tubiana et Veronesi étaient convaincus qu’il fallait agir au plan européen.
L’éducation à la santé, autre axe novateur, permettra de faire passer 2 messages clés du Comité scientifique du programme : « Certains cancers peuvent être évités » et « Un plus grand nombre de cancers seront guéris s’ils sont détectés plus tôt ». L’habileté du Comité sera d’élaborer un « Code européen contre le cancer » composé de « Dix commandements ». Chacun d’entre eux fit l’objet d’une discussion approfondie et la formulation retenue représentait le consensus scientifique de l’époque. Autre habileté du Comité : La fixation d’un objectif de réduction de la mortalité par cancer figurant en tête du Code « Si ces dix commandements européens étaient respectés, il en résulterait une réduction significative du nombre de décès par cancer dans la Communauté européenne, qui pourrait déjà atteindre environ 15% à l’horizon 2000 ».
Le Code sera finalisé fin 1986 et il constituera une partie intégrante du programme approuvé par la Commission européenne le 17.12.1986 (JOCE No C50 du 26.02.1987 pp. 1 à 55) : Ne fumez pas/ Modérez votre consommation de boissons alcoolisées/ Consommez fréquemment des fruits et légumes frais/ Evitez l’excès de poids/ Evitez les expositions excessives au soleil/ Respectez les consignes professionnelles de sécurité/ Consultez un médecin en cas d’évolution anormale ou de troubles persistants/Pour les femmes : faites pratiquer régulièrement un frottis vaginal et, si possible, faites effectuer des mammographies après l’âge de 50 ans.
Pour assurer sa diffusion à travers l’Europe, la Commission européenne mobilisera les Ligues contre le cancer et contre le tabagisme, et les producteurs d’émissions médicales de télévision, tant à l’occasion des Semaines européennes contre le cancer, chaque année au mois de mai, que durant l’Année européenne contre le cancer, 1989 ayant été désignée comme telle, grâce au soutien de Margaret Thatcher au Conseil européen de Londres en 1986.
Quel sera l’impact de ce premier programme européen de santé publique ? Plusieurs sondages Eurobaromètres ont permis d’en mesurer l’impact dans l’Europe des Douze :
- 25% des Européens avaient connaissance du Code européen contre le cancer en 1990 (Portugal = 72% ; France = 31% ; Royaume Uni = 5%)
- Quatre pays enregistreront de 1987 à 1990 un accroissement significatif du nombre de non-fumeur supérieur à 4% : Portugal (+7%), Grèce (+5%), Pays-Bas et Luxembourg (+4%) (France = stable à un peu plus de 60% de non-fumeurs).
- Une étude d’impact effectuée en 2003 par le Centre International de Recherche contre le Cancer (BOYLE Peter et al. « Measuring progress against cancer in Europe », Annals of Oncology, 2003) montrera que, par rapport à l’évolution prévisible de la mortalité par cancer, l’Europe des Douze a bénéficié d’une réduction de mortalité de 9.2%, au lieu de 15% visés, ce qui a toutefois permis d’éviter 92.500 décès par cancer en l’an 2000. Pas mal quand même !
Merci donc à l’Europe : Le Conseil européen de Milan en juin 1985, la Commission Delors, le Comité européen des cancérologues, les professeurs Tubiana et Véronesi en particulier, sans oublier les Ligues européennes et nationales de lutte contre le cancer et le tabagisme. Celles-ci se sont, en effet, activement employées à diffuser le Code européen contre le cancer … et elles se mobilisent encore chaque année, notamment lors des Semaines européennes contre le cancer au mois de mai, en diffusant aujourd’hui la 4ème édition du Code qui a été finalisée en 2014 sous l’égide du Centre International de Recherche sur le Cancer. Cette nouvelle édition du Code est riche de 12 recommandations susceptibles de réduire drastiquement les risques de cancer des Européens (plus de 40% des cancers pourraient être évités), alors qu’il y a, chaque année, 2,6 millions de nouveaux cas et 1,3 million de décès par cancer dans l’Union européenne.
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Avec le lancement, en 1987, d’Erasmus et de L’Europe contre le cancer, la Communauté européenne, aujourd’hui Union européenne, s’est rapprochée de ses citoyens. La Commission Delors, tout comme le Conseil Européen de l’époque, avaient bien conscience qu’il fallait non seulement bâtir une Europe économique, avec un grand marché, mais qu’il fallait aussi mettre sur pied une Europe des citoyens qui se préoccupe des besoins des Européens tant en termes d’employabilité des jeunes que de qualité de vie de tous les Européens, par exemple pour réduire leurs risques de cancer.
Avec le Traité de Maastricht, en 1992, la santé publique, tout comme l’éducation, sont devenues parties intégrantes des compétences de l’Union Européenne. Chacun de ces deux domaines y figure en bonne place et tous deux bénéficient du vote à la majorité qualifiée pour l’adoption de programmes ou Résolution ou Recommandations non contraignantes. Aujourd’hui, l’action européenne contre le cancer est inscrite dans le programme SANTE (2014-2020) de l’UE. Celui-ci est doté de 450 Millions d’euros et il couvre la plupart des nombreux domaines de santé publique où l’UE a une valeur ajoutée certaine au bénéfice de ses 500 millions de citoyens.
[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2017/01/richonnier.jpg » ]Michel Richonnier a été Directeur honoraire de la Commission européenne, ancien membre des cabinets des Commissaires Sutherland et Marin (1985-1987), et nommé de 1986 à 2002 à la tête du programme L’Europe contre le cancer.[/author]
on lutte contre le cancer mais on ne fait rien contre les pesticides et autres produits chimiques dangereux pour la santé, sauf celle financière des grands groupes de l’agro-industrie, et de l’énergie!!!