Dans « Le cave se rebiffe » – film sorti en 1961 – le Dab (Jean Gabin) s’exclame : « Dis-toi bien qu’en matière de monnaie les Etats ont tous les droits et les particuliers aucun ! »
A en croire des commentaires récemment formulés (SLE, 31 mars 2014), on pourrait penser qu’avec le traité de Maastricht certains Etats membres de l’UE ont été condamnés à leur tour à partager le sort des particuliers. Si, comme le soulignent ces mêmes commentaires, « retirer le droit à sa monnaie à un Etat ou un groupe d’Etats » signifie « le retour à la féodalité d’antan », il est à craindre que, sur l’échelle du temps – puisque les mânes de l’Homo Sapiens ont été invoqués – un absolutisme souverainiste n’ait, plus encore, le parfum des cavernes de la Préhistoire. Et si, par association d’idées, la « guerre du feu » venait à l’esprit, on pourrait rééditer à l’encontre des ayatollahs du souverainisme la célèbre apostrophe de Jaurès : « C’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer de nos aïeux : nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre ».
Certes, le traité de Maastricht, laborieusement négocié et ratifié, a pu ébranler plus d’une bonne volonté par sa construction « baroque » en trois piliers aux enchevêtrements complexes. Mais il me semble qu’une lecture approfondie du traité à la lumière tant du contexte dans lequel il a pris corps que de son apport à l’édifice communautaire appelle à nuancer quelque peu les critiques dont il a été et est encore périodiquement l’objet.
1. « 89 » et l’Ancien Régime dos au Mur
La chute du Mur de Berlin en 1989 ainsi que ses conséquences en Allemagne mais aussi plus à l’Est ont mis en évidence une nécessité : œuvrer à une Union politique dont le traité de Maastricht a partiellement jeté les bases, sous l’impulsion d’hommes politiques d’envergure – le Chancelier Kohl et le Président Mitterrand, dont les mains symboliquement réunies dans la solennité recueillie de Verdun avaient, déjà en 1984, transcendé la vanité souvent meurtrière des frontières.
Ainsi, après les timides ébauches esquissées par l’Acte unique de 1987, le pas le plus significatif accompli par le traité de Maastricht a-t-il été franchi dans le domaine des relations extérieures sous les traits de la PESC (politique étrangère et de sécurité commune), objet du « deuxième pilier » du traité. Certes, des exemples de cacophonie (Balkans), voire d’aphonie (Rwanda) – qui se sont répétés jusqu’à aujourd’hui en raison des pesanteurs d’un intergouvernementalisme parfois très rigide – en ont montré les limites en matière d’initiatives véritablement « communes ». Mais, à l’époque de Maastricht, des premiers pas peu ou mal coordonnés n’étaient pas censés augurer d’une paralysie du jeune enfant. Au moins son terrain d’activités commençait-il à être balisé.
2.« 92 » et la découverte d’un nouveau monde
Le traité a été signé en 1992. Ce millésime correspond aussi à l’échéance convenue pour le processus d’achèvement du marché intérieur européen, engagé quelque sept années auparavant. De surcroît, à la charnière des années 80-90, la mondialisation, avec son cortège de promesses et de menaces, est apparue comme une réalité de plus en plus tangible. Il n’est donc guère étonnant que, dans ce contexte, les promoteurs du traité aient entendu mettre en route une Union économique et monétaire (UEM) en réponse aux évolutions ainsi engagées ou perçues tant sur le plan interne qu’au niveau international.
Des deux embryons, le monétaire a pris le pas sur l’économique. Certes, on peut faire remonter sa conception au Sommet de La Haye de 1969 – la matrice avant Maastricht… et déjà en territoire néerlandais (…juste une trentaine d’années avant le traité d’Amsterdam). Mais l’issue incertaine des tribulations monétaires à partir du décrochage du dollar en 1971 a d’abord conduit à congeler l’embryon durant quelques années. Même les ondulations tentatrices d’un fameux « serpent » ne lui ont pas vraiment redonné le goût de l’Eden. C’est donc avec la persévérance de la Commission, notamment sous la houlette de Jacques Delors, et les patients encouragements du Conseil européen (rendons à César ce qui lui revient), voire les concessions consenties par Berlin sur les atouts d’un mark triomphant pour prix de la réunification de l’Allemagne, que le traité de Maastricht a favorisé une sortie des limbes, avec un objectif clair : retrouver ensemble une souveraineté monétaire qu’on avait peu à peu perdue séparément. L’heure ne devait plus être au « fluctuat » mais au « mergitur » sur les flots d’un nouveau monde… mondialisé.
3. Maastricht, un traité matrimonial : dans la corbeille de l’Union sous le régime de la Communauté
En fait, au-delà du double contexte qui vient d’être évoqué, on ne doit pas oublier que le traité de Maastricht a permis d’étendre la vocation de la coopération européenne en dépassant le seul domaine économique – d’où la transformation de la « Communauté économique européenne » en « Communauté européenne » tout court, coexistant avec l’ « Union européenne ». Des domaines tels que l’éducation, la culture, la santé publique, la politique sociale, les réseaux transeuropéens ont été ajoutés aux champs de coopération en même temps que la PESC et l’UEM ainsi que la coopération en matière de justice et d’affaires intérieures (le « troisième pilier », très spécifique). En outre, d’autres politiques (recherche, protection des consommateurs, coopération au développement avec les pays du Sud) qui s’étaient jusque là forgées de manière empirique ont été consacrées et consolidées par le traité. On ne doit pas oublier non plus que c’est ce dernier qui a introduit le concept de citoyenneté dans l’œuvre commune, en même temps qu’il amorçait un renforcement des pouvoirs du Parlement européen. Est-ce cela la monstruosité vitupérée par nos commentateurs eurosceptiques ?
En rappelant ces quelques évidences, mon souci n’a pas été de nourrir l’engrenage des polémiques. J’ai simplement souhaité, en ce début d’avril où les pendules ont été remises à l’heure d’été dans nos foyers, procéder de même vis-à-vis d’opinions qui me semblent retardataires. Au risque d’avoir été un peu long, j’assume la rigueur de cette explication « Maastricto sensu ».
Gérard Vernier, ancien fonctionnaire à la Commission européenne »et ancien enseignant à l’Université de Paris X
Bonjour,
D’après ma lecture, il ne me semble pas que l’article parvienne à donner une position sur le sujet qu’il tente de problématiser : en quoi les Etats ont ou n’ont pas la maîtrise de la monnaie aujourd’hui ?
Il est dit que Maastricht aurait permis à ses signataires de retrouver une souveraineté perdue auparavant sur chacune des monnaires…pouvez vous le réexpliquer ?
A l’heure actuelle, la BCE est autonome et ne permet pas aux Etats d’utiliser l’euro pour mettre en place des politiques économiques de relance (comment investir sans s’endetter au delà des limites autorisées). Comme il n’y a pas de version « économique » de l’Union « monétaire », qui aurait permis l’encadrement et l’accompagnement des différentes politiques économiques des Etats pour un fonctionnement unifié, il n’y a au final plus de connexion entre économique et monétaire, et cela explique à mon sens la position que vous tentez de combattre, à savoir que les Etats n’ont plus la maîtrise de la monnaie. Avec toutes les conséquences économiques et sociales que l’on connaît.
Par ailleurs, pour moi Berlin n’a pas fait de concession en acceptant de perdre son Mark fort, puisque cela l’a rendue plus compétitive vis-à-vis des autres pays dont les monnaies antérieures étaient plus faibles.
Très bon article, net clair et précis .
Bravo Gérard
Quel entêtement ! Avec ce traité ça n’a jamais marché et ça na marchera pas, parce qu’il est anti-constitutionnel. Les Etats ou groupe d’états doivent avoir la main sur la monnaie. C’est cela la souveraineté ou la Primauté du Politique, chère aux socialistes. Et ce sont eux qui ont renié cette Primauté ! Il faudra donc y revenir, c qui permettra d’appliquer la technique de Keynes et de sortir de la Crise. Car la crise, c’est la volatilisation d’une partie de la monnaie vers les paradis fiscaux, ce qui mets nos états et l’Europe en état de crise permanente, car ils ne peuvent plus consommer ce qu’ils fabriquent. Rappelons que Mr Keynes a inventé la notion d’Outil de Fonctionnement pour la Finance, et que nos financiers sont incapables de le faire. Ils ne sont pas des financiers, mais seulement des amasseurs de Fric; Ils ne sont heureux que lorsqu’il en ont des tas devant eux ! Ils sont débiles et ceux qui les soutiennent le sont encore davantage.
Un traité anticonstitutionnel, c’est drôle on dirait une blague du Chat! Keynes, ça a marché au siècle dernier, justement quand les Etats « maitrisaient’ leurs monnaies ! heu ? avant ou après la crise de 1929 ?