La France vient de prendre la tête du G20. Sur la table des dirigeants du monde, il y a une question difficile : la valeur des changes, c’est-à-dire la valeur des monnaies les unes par rapport aux autres. Parce qu’il est aujourd’hui trop fort, l’euro pénalise nos exportations. Il est temps de poser la question de l’euro et de ce que nous voulons en faire.
A force d’enterrer les débats, ils nous éclatent à la figure. L’euro est devenu l’un de ces tabous. Les certitudes de ses partisans inconditionnels les conduit à refuser toute critique contre l’euro, et le simplisme de ses adversaires les autorise à faire de l’euro la cause de tous nos maux. Prenons la responsabilité d’un vrai débat citoyen sur l’euro.
L’euro est une monnaie forte qui nous protège des crises monétaires
Il est incontestable que l’euro est une monnaie forte, inspirant confiance puisque la moitié des transactions mondiales se fait en euro. L’euro nous protège des déchaînements spéculatifs : la Hongrie et l’Islande ont dû faire appel au FMI pour ne pas s’écrouler, tant leurs monnaies ont été attaquées pendant la crise. L’euro évite aussi les guerres monétaires entre pays européens. Etant donné que 60% du commerce des pays d’Europe se fait en euro, cette partie là est épargnée des conflits de change. Ce n’est pas rien. L’euro pousse encore à une solidarité plus grande. Malgré un accouchement pénible, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) assure désormais un début d’entraide budgétaire dans l’UE. Sortir de l’euro réduirait en miettes notre économie, avec pour seul horizon, la guerre monétaire, la dévaluation et la spéculation des marchés contre notre dette colossale faisant grimper les taux d’intérêt. Sortir de l’euro, c’est sortir de l’histoire. Il faut le dire sans ambigüité.
Mais l’euro a échoué à nous protéger contre la crise économique mondiale
La crise mondiale est venue d’outre-Atlantique, mais c’est en Europe qu’elle est la plus forte et la plus longue. Le déficit public moyen en zone euro n’était que de 0,6% du PIB en 2007. Il se monte désormais à 7%. Dans le même temps, la dette publique a bondi de 66% à 84% du PIB. Quant au recul de la production, il a été plus fort en Europe qu’aux Etats-Unis. A-t-on déjà vu un séisme plus violent en périphérie qu’à l’épicentre ?
L’euro nous protège surtout… contre la croissance
Si l’euro nous protège des crises monétaires, il nous protège aussi de la croissance, comme un vaccin pour lequel les effets secondaires sont aussi désagréables que la maladie. Depuis que l’euro existe (1999), la croissance européenne est plus faible qu’ailleurs. Sur la période 1999-2008, le taux annuel de croissance du PIB en volume a été de 2,1% en zone euro, contre 2,7% pour les pays de l’Union ayant conservé leur monnaie et 2,6% pour les Etats-Unis. Aujourd’hui, la reprise frémit partout, mais tarde en Europe. L’euro ne parvient pas à porter la croissance. Mais la mécanique est encore plus délétère : sans possibilité de jouer sur les changes et sans politique monétaire commune, chaque Etat est poussé à trouver d’autres moyens de rendre son économie compétitive contre les autres économies européennes. L’Allemagne a choisi d’étrangler les salaires. L’Irlande ou les pays de l’est ont choisi le dumping fiscal (l’impôt sur les sociétés est de 33% en France, 12,5% en Irlande, 0% en Estonie pour les sociétés étrangères). Résultat : la crise s’étend à tous, les disparités s’aggravent et les dirigeants ne promettent au peuple que de la rigueur et des larmes.
Le problème n’est pas l’euro mais son absence de gouvernance
Le problème n’est pas l’euro en lui-même, mais son absence de gouvernance car les traités l’en empêchent. Lors du Conseil européen de Luxembourg (1997), les chefs d’Etats européens se sont interdit de piloter l’euro, sauf « dans des circonstances exceptionnelles ». Nous nous sommes liés les mains. Alors, dans ces conditions,l’euro ne peut que subir et nous faire subir avec passivité les soubresauts de l’économie mondiale. L’Europe est un bateau ivre dont les capitaines se sont interdit de prendre le gouvernail. Les Etats-Unis, eux, mènent une véritable politique monétaire, soutenant le niveau du dollar lorsque l’économie américaine est en forte expansion et le laissant chuter lors des ralentissements ou récessions. Les Chinois poussent aussi leurs intérêts à travers leur monnaie en la laissant actuellement à un niveau trop bas. Nous, Européens, organisons notre propre pénalisation à cause de la couche de goudron libéral incrusté dans la tête de nos politiques. Alors, sans illusion, Nicolas Sarkozy essaiera et échouera à convaincre les Américains et Chinois de changer de politique, car nous n’avons le droit de ne rien faire chez nous ! A force de refuser de faire de la politique, nous sommes en train de rendre l’euro odieux aux peuples et nous fabriquons les corbeaux qui attendent sa chute.
Nous voulons un euro politique
Le pilotage de l’euro doit changer et revenir dans la main des représentants du peuple. Il sera alors possible de faire une véritable politique monétaire pour les peuples, pour améliorer nos vies quotidiennes et remplir nos portefeuilles. A ce titre, le mandat de l’euro doit changer : il faut mettre l’euro au service de l’emploi et de la croissance et non plus de la lutte contre l’inflation. Un euro politique, c’est aussi un euro de combat, qui assume l’affrontement avec les marchés financiers. Aujourd’hui, les Etats sont attaqués par les spéculateurs. Ceux-ci chassent en meute, isolent un pays plus vulnérable et concentrent sur lui les attaques. Ce fut le cas pour la Grèce, puis l’Irlande et maintenant l’Espagne, le Portugal, la Belgique. Au premier semestre 2010, on note un regain des CDS (assurance contre les défauts de paiement) de 8000 milliards d’euros. En clair, les marchés misent sur l’effondrement des Etats. C’est le meilleur scénario pour eux. Le politique doit réagir et l’euro peut être son arme. Nous en appelons à un traité de solidarité budgétaire et monétaire dans la zone euro pour faire bloc contre les marchés. Plus la zone euro sera cohérente, plus les menaces s’éloigneront. L’euro politique doit ainsi assumer le combat pour desserrer l’étau des marchés. Nous en appelons pour cela à un financement direct des Etats européens pas la BCE (sous la forme d’eurobonds). Aujourd’hui les banques empruntent à 0% auprès de la BCE et prêtent jusqu’à 11% aux Etats ! Ce n’est plus acceptable.
Nous voulons un euro productif
L’euro politique doit aussi être un euro productif. Cela signifie que nous, Européens, devons soutenir nos entreprises par une politique monétaire laissant baisser notre monnaie en cas de crise et la supportant dans les périodes fastes. Avoir un tel euro productif permettrait de remplir les carnets de commandes des entreprises et de donner du travail. L’euro appartient aux peuples et non pas aux banquiers centraux ! Demain, il faudra donc jouer pour nos intérêts : si les Etats-Unis et la Chine font marcher la planche à billets pour soutenir leur économie contre la nôtre, nous n’hésiterons plus à faire de même. Nous ne voulons pas la guerre monétaire, mais nous ne voulons plus nous laisser marcher sur les pieds. Avoir un euro productif, c’est aussi se doter d’une politique industrielle européenne qui freine la concurrence entre les entreprises ou Etats européens pour les pousser à affronter nos concurrents mondiaux. Aujourd’hui, les excédents commerciaux allemands sont constitués des déficits des autres Etats européens. Il nous faut une stratégie productive concertée pour tirer dans le même sens. Nous voulons un euro d’avenir, ciment européen des constructions au long cours. Aujourd’hui, l’euro attire les spéculateurs qui voient à court terme et assèchent les projets de développement. Nous voulons au contraire faire de l’euro l’instrument de la reconversion des modèles de production, pour isoler nos maisons, fabriquer des tramways, faire de la recherche, pousser les filières d’avenir, transformer les territoires sinistrés. L’euro doit rendre possible les projets condamnés d’office par les calculs de rentabilité des actionnaires.
L’euro politique et productif, c’est la fin de l’Europe passive, c’est la fin du piétinement des travailleurs, des entrepreneurs et des Etats par les marchés. A travers l’euro politique et productif, nous voulons que l’Europe fasse respecter ses intérêts et cesse d’être la zone monétaire la plus bête du monde. L’euro est à nous, peuples d’Europe, il est tant qu’il nous apporte le bénéfice que l’on attend de lui.
Arnaud Montebourg