1. Record de participation électorale
Depuis la rupture de la coalition dite feu tricolore (« Ampel ») le 6 novembre 2024, les sondages étaient restés relativement constants pour les quatre partis principaux du paysage politique allemand (CDU, AfD, SPD, Verts) et la messe semblait avoir été dite. Pourtant, la participation électorale a atteint 82.5%, soit le plus fort taux de participation dans l’Allemagne unifiée, de 6% en hausse par rapport à 2021. Et ce pour une campagne électorale hivernale. Cette participation est 15% plus élevée qu’au premier tour des élections législatives en France en 2024 et peut être interprétée comme un indice de la vitalité de la démocratie allemande.
2. Victoire à la Pyrrhus pour la CDU
Alors que la campagne électorale apparaissait comme la chronique annoncée d’une victoire éclatante de la CDU de Friedrich Merz, celle-ci obtient finalement avec 28.5% le second plus mauvais score de son histoire. Sur les 20 millions d’électeurs qui se détournent de la coalition feu tricolore, la CDU n’en récupère que quatre. Qui plus est, elle n’a pas le choix pour son partenaire de coalition qui ne peut être que le SPD.
3. L’adieu à la majorité constitutionnelle
Le résultat de l’AfD (20.8%) et de Die Linke (8.8%) ainsi que l’échec du FDP à intégrer le Bundestag signifient que, pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, les quatre partis de gouvernement – la CDU/CSU, le SPD, les Verts et le FDP – ne disposent plus d’une majorité des deux tiers au Bundestag, qui est requise pour modifier la Loi fondamentale allemande (Constitution). De ce fait, des changements constitutionnels, portés par la CDU, le SPD, les Verts et les Libéraux du FDP, pourraient encore être soumis au Bundestag sortant avant la réunion constitutive du nouveau Bundestag le 25 mars prochain.
4. Le SPD défait mais indéboulonnable du pouvoir
Avec 16.4% (-9.3%), le SPD obtient le plus mauvais score à des élections législatives au niveau fédéral depuis 1887. Pourtant, en étant quasi assuré d’être en coalition avec la CDU au gouvernement fédéral jusqu’en 2029, le SPD aura alors gouverné 27 ans depuis 1998 contre 20 ans seulement pour la CDU. Comme partenaire indispensable à la CDU, il est en position de force pour obtenir une forte empreinte sociale-démocrate dans le futur accord de coalition.
5. Les Verts doublés sur leur gauche
Alors que les Verts avaient été la cible électorale principale de la CDU/CSU et malgré la popularité de sa tête de liste Robert Habeck notamment auprès des femmes, son résultat décevant (11.6%) tient pour l’essentiel au transfert de 700.000 voix vers Die Linke, préférée par ces électeurs pour son positionnement pacifiste.
Résultats des élections du 23 février 2025
Gains et pertes des partis
6. Plafond de verre pour l’AfD
Le parti d’extrême-droite AfD réussit à doubler son score par rapport à 2021 pour atteindre 20.8%. Il remporte 46 circonscriptions directement contre 16 en 2021, dont toutes les circonscriptions d’Allemagne de l’Est à l’exception de trois (à Erfurt, Leipzig et Potsdam). L’AfD arrive même en tête des votes de listes dans deux circonscriptions en Allemagne de l’Ouest : à Kaiserslautern et à Gelsenkirchen. Pourtant, l’AfD reste ostracisée et ne tient qu’une poignée de maïorats d’importance secondaire ou de districts ruraux en Allemagne de l’Est. Le cordon sanitaire tiendra en Allemagne.
7. Die Linke sauvée par TikTok
Pour Die Linke (le Parti de gauche), l’élection s’annonçait de mauvaise augure puisqu’il n’avait réussi à entrer au Bundestag en 2021 que grâce à trois mandats directs, qu’il avait subi la scission du BSW (Bund Sahra Wagenknecht, formation populiste de gauche pro-russe) et qu’il ne se situait qu’à 3 % dans les sondages au début de l’année. Néanmoins, le parti renaît spectaculairement de ses cendres et obtient avec 8.8 % des voix et six mandats directs le troisième meilleur résultat de son histoire aux élections fédérales après 2009 et 2017. Surtout, Die Linke est le grand vainqueur des élections chez les 18-24 ans : 25% des jeunes électeurs ont voté pour le parti aux élections du Bundestag. Suivi par l’AfD avec 21 %, la CDU n’étant qu’en troisième position avec 13%. Le tabac que fait la tête de liste Heidi Reichinnek sur TikTok avec des vidéos dirigées essentiellement contre l’AfD et 575 200 abonnés, contre 103 200 pour Robert Habeck des Verts et seulement 91 500 pour le leader de la CDU, Friedrich Merz, est un élément d’explication important de ce succès.
8. Prime au vote de liste
Pour la première fois, la procédure d’attribution des sièges au Bundestag modifiée par une réforme adoptée en 2023 a été appliquée. La taille du Bundestag est plafonnée à 630 membres. Il n’y a plus de mandats dits compensatoires. Les candidats qui obtiennent le plus de premières voix dans la circonscription ne sont plus assurés d’obtenir un siège dans tous les cas. Les mandats directs sont attribués s’ils sont couverts par une part correspondante de deuxièmes voix pour la liste. Ce changement a abouti à ce que 23 vainqueurs du vote de circonscription ne sont pas élus (18 de la CDU, 4 de l’AfD, 1 du SPD).
Carte de gauche : résultat du vote par circonscription (premier vote) – carte de droite : résultat du vote par liste
9. Le vote anti-migrants est le plus impactant là où il y a le moins d’immigrés
Alors que l’AfD et, dans une certaine mesure, la CDU ont cherché à mettre le durcissement de la politique migratoire au cœur de la campagne, la CDU allant jusqu’à accepter tacitement le soutien de l’AfD pour le vote de résolutions anti-immigratoires au Bundestag à la fin janvier, le graphique ci-dessous illustre une corrélation inverse entre vote pour l’extrême-droite et la réalité du fait migratoire. En effet, dans les 50 circonscriptions où la proportion d’étrangers est la plus faible, l’AfD obtient un score de 35 % alors qu’il s’élève à 15 % dans les 50 circonscriptions où la proportion d’étrangers est la plus élevée.
10. La CDU opère un virage de 180 degrés sur la politique budgétaire
La coalition du feu tricolore avait échoué en novembre sur la question des modalités du financement du soutien de l’Ukraine. Le SPD, assez isolé sur la question, avait plaidé pour une réforme de la règle constitutionnelle du « frein à l’endettement » pour soustraire ce soutien du calcul de l’endettement. Pendant la campagne électorale, M. Merz avait ensuite répété sur tous les tons que ce frein à l’endettement serait maintenu. Patatras ! 10 jours après les élections, la CDU et le SPD s’accordent pour consacrer 100 milliards d’euros par an à la Défense allemande, en s’exonérant de la règle constitutionnelle de la Schuldenbremse, et investir 500 milliards d’euros en dix ans dans les infrastructures du pays à travers un fonds spécial hors budget, qui requiert une approbation par une majorité constitutionnelle d’ici le 25 mars.
Par ailleurs, l’Allemagne opère aussi un revirement au niveau européen puisqu’elle consent d’assouplir les critères du pacte de stabilité et de croissance pour les États membres qui augmentent leurs dépenses militaires.
Si l’on ajoute à ce revirement le fait que la CDU a également accepté le 8 mars dans le cadre des discussions exploratoires sur la constitution d’une coalition avec le SPD que le salaire minimum allemand soit augmenté à 15 euros de l’heure (conformément aux recommandations de la directive européenne sur les salaires minimaux), le SPD, grand perdant numérique de ces élections, apparaît comme vainqueur programmatique sur le tapis vert des négociations post-électorales. Certes, ce résultat doit encore être confirmé dans les négociations de coalition à proprement parler, puis dans les instances respectives des partis (le SPD devrait soumettre le résultat à un vote militant). Néanmoins, il y a fort à parier que cette nouvelle coalition CDU/SPD soit confirmée.
Étant donné qu’il n’y a pas d’échéances électorales majeures prévues en Allemagne avant le printemps 2026 (le SPD ayant gagné les élections régionales à Hambourg, qui se sont tenues une semaine après les élections fédérales), l’ultime surprise de ces élections allemandes est la perspective d’un gouvernement stable à moyen terme. Reste à voir si cette stabilité pourra se traduire dans des positionnements ambitieux au niveau européen, notamment dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier budgétaire post 2027.
Merci Matthieu pour cette excellente analyse
Puisse le « cordon sanitaire » bien fonctionner, encore, dans les prochaines années !