« Quel beau métier que d’être un homme sur la terre » disait Maxime Gorki. Un certain nombre se sont indéniablement démarqués en prenant leur fonction très au sérieux. Avec courage, ces hommes et ces femmes ont voulu unir les peuples et trouver des solutions là où il y avait un nid d’obstacles. Michel Rocard, tout au long de sa vie, s’est lancé dans de multiples aventures telles que le secours aux déportés, Mai 68, la victoire de la Gauche en France, Matignon… Mais son action qui fut la plus passionnée fut probablement pour l’Europe, notre Europe.
Michel Rocard, esprit très vif jamais au repos, est un surdoué de la vie politique. Il l’a parcourue de toutes les manières et tout le long de sa vie. Ce grand social démocrate l’affirmait haut et fort: « Je suis devenu européen à la Libération en mai 1945, l’année où l’on m’a enseigné au lycée qu’Hitler avait été élu au suffrage universel ». L’idéal était choisi: Apprendre les erreurs pour mieux construire l’avenir. L’envie de traverser les frontières était déjà là. Et quel autre continent que l’Europe alors en ruines et en cendres serait promis à un meilleur avenir pour les générations futures?
A peine âgé de 17 ans, il passe deux étés en Angleterre ce qui lui permet de devenir bilingue. Moment de découverte linguistique mais aussi culturelle que connaîtront plus tard d’autres jeunes européens avec les programmes Erasmus et Socrates.
C’est ensuite que Michel Rocard s’engage à la SFIO car elle « portait un idéal européen ». Infatigable combattant de la paix, cet ancien scout protestant a toujours milité pour ce qu’il appelait l' »organisation de la planète » et les relations harmonieuses avec les autres peuples. « Jeune socialiste, je suis allé chez les partis suédois, néerlandais et allemand ». Michel Rocard s’amusait même à dire qu’il était « un socialiste suédois égaré en France ».
Après avoir (presque) tout connu dans notre pays, ce Scandinave de la pensée se lance au Parlement européen en 1994 à l’issue d’une défaite cuisante pour le Parti socialiste. Qu’à cela ne tienne, il occupe ses nouvelles fonctions avec un véritable engouement. Il restera à Strasbourg jusqu’en 2009. Ces quinze ans en tant que député européen ont été, selon Pierre Moscovici, « des années heureuses » où il a su participer aux thématiques qui lui étaient chères telles que la coopération et le développement, l’emploi ou encore la culture.
Au-delà de cela, ce qui passionnait mais aussi agaçait Michel Rocard, c’était la (lente) construction européenne. Le caractère bancal, le désintérêt voire pire la déception des citoyens envenimaient le rêve d’une Europe forte et exsangue des conflits internes. Les institutions « tuent le leadership » alors qu’il faut apporter un vrai « civisme mondial autour des grandes questions comme le climat ou la laïcité ». Europe et nation sont loin d’être antinomiques pour l’ancien Premier ministre. Alors que d’autres souhaitent une « grande Suisse », Michel Rocard martèle dans l’ouvrage Notre Europe: « il n’y a pas d’autre problème que l’organisation socio-économique de l’humanité, le respect des identités culturelles et nationales étant la clé de cette recherche d’harmonie.(…) La bataille à venir est immanquable, elle portera sur la régulation, elle sera technique et politique ».
Soucieux de ne pas s’arrêter aux frontières de l’Europe (et même de les briser), Michel Rocard est en 2005 à la tête d’une délégation d’observateurs européens afin de s’assurer de la bonne tenue de l’élection présidentielle en Palestine. Comme en Nouvelle Calédonie en 1988, Michel Rocard a le souci démocratique et donc de l’égalité.
La question du référendum européen en 2005 fut elle aussi un sujet brûlant au sein même du camp des socialistes européens. Grand partisan du oui, Michel Rocard pouvait se déclarer réservé sur une décision directe du peuple: « Les référendum laissent une trop grande place à l’émotion et tournent ainsi en combat médiatique au détriment des idées ».
Autre combat: l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne. Le sujet divise en 2008. Même s’il changera d’avis sur la situation gouvernementale d’Istanbul (jusqu’à qualifier Erdogan de nouveau Bourguiba), Michel Rocard voyait en la Turquie « une vraie chance pour l’Europe » et ainsi construire de nouveaux ponts entre l’Occident et l’Orient. Les crises chypriote et kurde auraient pu ainsi être stabilisées et de meilleures relations avec l’Arménie se seraient nouées avec l’appui de Bruxelles. La question turque est mise de côté, reportée aux calanques grecques…
Sur le Brexit, alors que d’autres y voient une défaite de l’Europe, Michel Rocard était clair sur le sujet: Pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne car le pays de Sa Majesté manquait de « vision du monde incluant une identité européenne forte. ». Cette Europe ne pourra être relancée « sans que les Anglais en sortent (…) Ne rêver d’Europe qu’à propos d’affaires économiques et sociales est un rêve creux ». Cette fois-ci, il semble que le référendum ait donné raison à Michel Rocard…
« Le désespoir a souvent gagné les batailles » disait Voltaire et il semble qu’à la fin de sa vie, Michel Rocard voyait en l’Europe un terrible gâchis difficile à redresser. A la fin de 2015, il lâche « L’Europe c’est fini, on a raté le coche, c’est trop tard ». Sans vision militaire, diplomatique et d’accueil des populations en danger, l’Union s’est peu à peu ramassée dans sa coquille. Le chômage et la précarité enveniment toujours l’Europe et même le bon élève allemand était aux yeux de Michel Rocard un triste exemple: « Voilà un demi-siècle que l’Allemagne ne fait plus d’enfants. Elle a du coup moins de chômeurs. Normal et dangereusement plus suicidaire. Mieux vaut être français ».
Rocard l’Européen a incontestablement connu des défaites qui ont peu à peu nourri ses déceptions. Ceux qui s’engagent sont aussi ceux qui se cognent. Qu’il est difficile de vivre dans ce monde de crises lorsqu’on est utopiste. Pourtant que leurs victoires sont belles quand l’optimisme subsiste. C’est le même Rocard qui déclare que « pour peser dans ce monde, brutal puisque humain, il n’est que deux conditions. Un, la taille, nous l’avons. Deux, la capacité de décision or l’Europe n’est pas commandée (…). Tuer l’Euro, tuer l’Europe c’est rejeter l’admirable et stupéfiante conclusion pacifique d’un millénaire de guerres. La grande bataille, celle du XXIème siècle c’est celle de la monnaie au service de la croissance ». Michel Rocard est aujourd’hui disparu mais le rêve d’une Europe unie et forte perdure. Jacques Delors, lui aussi grand européen, affirmait que « dans toute la société, il y a des petits rocardiens ». A nous alors de continuer le chemin.
[author image= »https://www.sauvonsleurope.eu/wp-content/uploads/2013/10/brieuc.cudennec.jpg » ]Brieuc Cudennec[/author]
Michel Rocard était européen avant d’être socialiste, et il appliquait aux évènements l’analyse objective des faits, tellement éloignée des prêts-à-penser.
En politique française, son objectivité fut combattue et battue par ceux qui maniaient mieux l’idéologie.
Machiavel a vaincu Candide.
Aujourd’hui les enfants de Machiavel déclament des épitaphes aussi sincères que leurs comportements.
Michel Rocard trouverait ça drôle!
Je pense qu’il était autant socialiste qu’Européen et je suis intrigué par ce culte bizarre de « l’objectivité ». Un engagement politique reste tributaire de valeurs et de convictions, il en avait et cela n’empêche pas l’honnêteté ni la liberté de penser.