Les sanctions américaines prononcées par Donald Trump contre la Cour pénale internationale (CPI) sont une gifle à l’indépendance et l’impartialité de la justice internationale. Si leurs contours restent encore flous, les sanctions contre toute personne ou entité qui collabore avec la CPI auront nécessairement des conséquences sur les investigations en cours, les jugements passés, la protection des victimes et le fonctionnement même de cette instance, qui est pourtant la pierre angulaire de l’Union Européenne.
La Cour pénale internationale (CPI), créée dans la droite ligne du procès de Nuremberg, est une juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle. Elle est compétente pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression.
Basée à La Haye, elle est reconnue par pas moins de 124 États au titre desquels ne figurent ni la Chine, ni la Russie, ni Israël, ni les États-Unis. Pourtant, le 6 février dernier, un décret présidentiel américain autorise des sanctions majeures à son encontre.
Dans le viseur du gouvernement américain, une enquête sur des crimes de guerre présumés de soldats américains en Afghanistan et les mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant, poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans la bande de Gaza.
Ces sanctions représentent une menace existentielle pour la Cour. Elles affectent gravement sa capacité à fonctionner, impactant tout opérateur économique ou financier travaillant pour elle, ce qui risque de stopper, de facto, tout ou partie de ses activités. Elles visent aussi directement le procureur de la Cour, Karim Khan, ainsi que tout le personnel de la Cour ou même les membres de leur famille, en leur interdisant l’entrée sur le sol américain et en gelant leurs avoirs.
Avec cette décision, le droit international qui appartient à toutes et tous est pris en otage à l’heure où – jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – nous n’en avions eu tant besoin.
C’est un coup direct, porté à l’indépendance et l’impartialité de la justice internationale, dangereux pour l’ensemble de l’humanité qu’elle protège. La CPI travaille en effet aux côtés des victimes pour rendre justice en République démocratique du Congo, au Mali, en Ukraine, en Afghanistan, au Darfour, en Libye, au Myanmar et au Venezuela. Elle est également aux côtés des Israélien.ne.s massacré.es par le Hamas le 7 octobre 2023 et des civils gazaouis victimes des crimes de guerre israéliens.
Alors que le pouvoir de punir constitue le cœur de la souveraineté étatique, les États-Unis s’autorisent à interférer dans l’ordre juridique de tous les États qui ont donné mandat à la Cour. Pour l’Union Européenne, l’atteinte est globale puisque tous ses États membres sont d’emblée signataires du statut de la Cour : le traité de Rome.
Cette insulte à notre souveraineté ne s’arrête pas là. Les entreprises, banques et ressortissants européens en lien avec la Cour seront sous le coup des sanctions américaines – quand les mêmes acteurs américains seront épargnés des effets des sanctions.
Et que fait l’Union européenne ? Si pas rien, pas grand-chose. Ursula von der Leyen, à la tête de la Commission européenne, s’est fendue d’un tweet de soutien. Antonio Costa à la tête du Conseil de l’UE a suivi timidement. Et le silence de Kaja Kallas, Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, reste assourdissant.
Or, il n’y a qu’une chose à faire pour l’Europe et ses États membres : activer rapidement le Blocking Statute qui permettrait de protéger – sans équivoque – les opérateurs commerciaux et financiers basés dans l’UE, des effets extraterritoriaux de ces sanctions américaines, leur permettant ainsi de continuer à entretenir des relations légales avec la Cour. Si nous n’agissons pas, nous ne sommes pas simplement face à une faillite morale : protéger la CPI contre de telles sanctions est une obligation légale pour tous les Etats parties à la Cour, en vertu de l’Accord sur les privilèges et immunités de la CPI.
Face à l’épée de Damoclès qui menace la Cour pénale internationale et la légitimité même du droit international, nous ne pouvons nous satisfaire de simples déclarations. Nous devons être rassemblés, placer ce sujet au premier plan de nos relations transatlantiques et internationales pour défendre la Cour et réaffirmer notre soutien infaillible à l’Etat de droit.
Il y a urgence. Au-delà de la CPI, c’est l’ensemble de l’ordre international fondé sur des règles qui est en jeu. Tergiverser face à la généralisation de l’arbitraire, ce serait déjà participer à fragiliser la Cour et le droit international. C’est pourquoi la réponse de l’UE doit être forte, déterminée et clairement assumée.
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