La semaine dernière, deux personnalités de la vie politique française ont annoncé leur ralliement à Emmanuel Macron : l’un, Eduardo Rihan Cypel, est socialiste et l’autre, Eric Woerth, est membre de LR. Ce n’est en rien un évènement extraordinaire et il est même assez représentatif de la marque de fabrique du macronisme, à savoir sa capacité à séduire des femmes et des hommes politiques de gauche comme de droite. Les gouvernements de Edouard Philippe comme de Jean Castex ont d’ailleurs été composés en majorité – à commencer par les Premiers Ministres eux-mêmes – de transfuges issus du Parti Socialiste et des Républicains. De là à dire que Emmanuel Macron a formé une sorte de grande coalition autour de sa personne, il n’y a qu’un pas…..qu’un certain nombre d’observateurs franchissent allégrement.
Pourtant, lorsque l’on entend les justifications des principaux intéressés, on se rend très vite compte que quelque chose sonne faux. Ainsi à quelques jours d’intervalles, Eduardo Rihan Cypel a déclaré que Emmanuel Macron incarnait selon lui la social démocratie quand Eric Woerth, de son coté, affirmait avec force qu’il estimait que Emmanuel Macron n’était pas plus à gauche qu’il ne l’était lui-même, ce qui placerait le Président clairement à droite. Sauf à les taxer de naïveté, on peut imaginer les contorsions auxquelles l’un comme l’autre se sont livrés.
Car en réalité, chacun sait bien que Emmanuel Macron n’est ni social démocrate, ni conservateur. Le Président est un centriste libéral et ce n’est évidemment pas pour rien qu’il a choisi d’inscrire LREM dans le groupe « Renew Europe » au Parlement Européen. De ce point de vue, il n’y a pas eu la moindre hésitation et aucune négociation n’a d’ailleurs été entamé, ni avec le PSE ni avec le PPE. Mais en jouant aussitôt qu’il le peut sur le flou idéologique, il attire à lui un certain nombre de personnalités aux idées très différentes, y compris sans doute des siennes. C’est ce que l’on appelle en anglais un « catch all party », un parti attrape tout. Ce n’est d’ailleurs pas inefficace sur le plan électoral, au moins pendant un temps. Néanmoins, je crains que cela ne participe à terme à la désaffection des Français pour la chose politique avec la perte de repères que cela entraine : constater que des personnalités qui se sont affrontés pendant des décennies se retrouvent soudainement en harmonie ne contribue t-il pas à offrir des arguments à ceux qui pensent que la politique n’est que du théâtre ?
Certes, il n’est pas rare de retrouver des gouvernements associant des partis de gauche et des partis de droite dans un certain nombre de pays européens. Mais la différence est notable car les choses se jouent justement au niveau des partis. Ce sont les représentants des partis qui négocient, souvent pendant des mois, un contrat de coalition qui sera le fruit de laborieux compromis. En Allemagne, ce contrat constitue un véritable engagement juridique et les partis veillent en permanence à son application effective: dans le cas où l’un d’entre eux se sentirait lésé, la réaction est alors immédiate et peut conduire à la rupture. En clair, personne ne renonce à son identité même si le degré de compromis acceptable par chacun n’est pas toujours facile à gérer.
Dans le cadre du macronisme, la démarche est totalement différente puisqu’il s’agit d’un ralliement au sens propre du terme. Les personnalités qui rejoignent le Président le font contre l’assentiment de leur parti, dont ils sont d’ailleurs généralement immédiatement exclus. Ils n’ont aucun moyen réel de pousser Emmanuel Macron au compromis et ne négocient rien, hormis un éventuel maroquin. D’où la nécessité pour eux de justifier leur démarche par une proximité idéologique supposée sauf que cela ne leurre personne : le jour où Macron mettra en œuvre une réforme d’inspiration conservatrice, on peut imaginer que Rihan Cypel la décrira comme « social démocrate » quand, au contraire, Eric Woerth se félicitera de travailler avec celui qu’il nommera héritier de Sarkozy à la moindre mesure sociale. Alors bien sur, une partie des Français peut s’y retrouver surtout lorsque la double opposition de gauche comme de droite se retrouve de fait affaiblie et que le centre induit de facto un réservoir de voix important mais il est difficile de considérer cette situation comme étant saine sur le long terme. Bien que souvent décrié voire considéré comme dépassé par un certain nombre de personnes, il est notable de constater que depuis sa naissance, le clivage gauche/droite a toujours structuré la vie politique de la quasi totalité des démocraties européennes. Lorsqu’il est nié, on aboutit à une situation à la polonaise avec un centre libéral attrape tout face à des populistes et le vrai problème, c’est surtout que dans cette configuration, les populistes finissent toujours par gagner un jour…
Bel argumentaire. Ni de droite, ni de gauche mais de bonsens !
Et qui encourage les abstentionnistes à aller voter pour ne pas laisser le champ de la représentation politique à un parti « ni ni », « et et », bref informe, sans points cardinaux, sans orientation et qui plus est, vampirique. Ce qe fabrique Macron est très dangereux pour l’essence même de la démocratie (le pire des régimes, certes, mais à l’exclusion de tous les autres…). Je voulais m’abstenir, mais je vais aller voter, simplement pour éviter un parti unique et gluant.
Article assez lucide sur ce qui pourrait se passer. C’est bien pour cela qu’il ne faut surtout pas s’éterniser dans cette situation. Surtout qu’EM, qui politiquement est un faux centriste, un faux progressiste, mais un vrai conservateur sachant cacher son jeu, a gardé son comportement de banquier d’affaires. Et qu’est-ce qu’un banquier d’affaires ? Si l’on reprend une réponse récente d’Alain Minc, un banquier d’affaires tout comme un homme politique d’ailleurs se définit comme étant
« une pu.. »* ! Un terme illustrant si bien toutes ces personnalités politiques glauques et leur comportements indignes, sans valeurs ni moralité.
* à écouter dans le lien ci-dessous vers 28’30 : https://m.youtube.com/watch?v=3mnmNsjGVWw
Le cas de la France, me semble-t-il, ne peut être comparé à celui des autres pays tel que l’Allemagne compte tenue du pouvoir sans contrôle du président Français, ainsi que de la répartition des pouvoirs entre gouvernement national et régions en France ou Landers en Allemagne.
L’idée que la structuration droite gauche marquerait la plupart des pays d’Europe ignore totalement l’histoire de l’Italie, des Pays-Bas et de la Belgique en Europe de l’Ouest. Qui plus est au Royaume-Uni c’est le système électoral qui l’impose même quand il y a un électorat potentiel centriste très important. C’est comme ça que Jenkings « the best Prime Minister we never had » et l’un des meilleurs présidents de la Commission européenne, n’a pas réussi dans son entreprise de restructurer la politique britannique pour ancrer le pays dans l’Europe, et qu’on s’est retrouvé après des décennies avec le Brexit, dont personne n’a à se réjouir.
Entre nous soit dit, j’ai fait partie des premiers adhérents à Sauvons l’Europe, à l’époque où l’on voyait les dégâts que causaient la combinaison d’une droit archéo-gaulliste qui a fait voter contre le traité constitutionnel par souverainisme et d’une gauche utopiste qui a fait voter contre un traité qu’elle présentait comme ultralibéral avec l’illusion qu’il y aurait une coalition de pays européens pour une Europe de gauche…
Jenkins, pas Jenkings, évidemment
Pour être franc, je dirai que l’analyse est juste pour tout ce qu’elle contient, mais qu’elle choit dans le vide en raison de tout ce qu’elle ne contient pas. 1) D’abord ceci : il n’y a pas en France aujourd’hui de partis capables de se coaliser. Droite et gauche tendent ou à se laisser tirer vers leurs extrêmes, ou à s’étioler s’ils ne le font pas (PS). 2) Cette situation, produit d’une longue histoire des luttes sociales et des récits qui les accompagnent, est renforcée par les institutions (notamment le système électoral). Si elle n’est pas éternelle, elle a donc de beaux jours devant elle. Dans ces conditions, seule une entreprise quelque peu bonapartiste, feignant/essayant de balayer provisoirement l’histoire antérieure, avait une chance de déboucher sur un débat plus rationnel, un dissensus autorisant les compromis. Ce n’est pas gagné, et le travail est loin d’être fini. Le macronisme n’est donc pas, en effet, une coalition. Mais il me semble qu’il en tient très exactement lieu pour l’instant, que rien d’autre ne pourrait le faire, et que lui seul peut être une étape y conduisant – une étape dont l’expérience ne devrait pas être oubliée si l’on ne veut pas retomber ensuite dans une politique des slogans qui alimente les populismes par les espoirs qu’elle flatte sans jamais les satisfaire.
Je suis d’accord avec vous. Les deux principaux responsables de la montée du national-populisme sont d’une part, François Hollande pour avoir tourné le dos à son programme de campagne électorale et, d’autre part, Emmanuel Macron pour avoir, à la suite, déstructuré la droite et la gauche partisanes.
Contrairement à ce qui est énoncé par un des commentateurs, la droite et la gauche structurent bien les rapports de force en Belgique. Une droite nationaliste et populiste au nord du pays (Nieuw Vlaamse Alliantie et Vlaamse Belang [néo-fasciste], une gauche social-démocrate (Parti socialiste) et néo-communiste (Parti du Travail de Belgique) au sud.
vous négligez les libéraux et la différence culturelle et économique entre Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale. Je parlais de la tendance longue.
Quant à dire que Macron a déstructuré la droite et la gauche partisane, c’est lui faire trop d’honneur: la gauche s’est suicidée depuis 2015 et Macron n’a fait que ramasser les miettes… Maintenant c’est la droite républicaine qui se suicide. C’est bien triste dailleurs
En Flandre, l’Open VLD (libéral et démocratique) est devenu très minoritaire et se cherche une identité (Open) même si l’actuel 1er ministre est issu de ses rangs. Quant au Mouvement réformateur (droite francophone), son actuel Président joue la carte populiste plutôt que libérale, déclarant, entre autres, son admiration pour la constance des idées d’Eric Zemmour… Car oui, il y a bien une crise du libéralisme politique.
En France, alors que LR court après l’extrême droite, la gauche me semble se reconstituer une pensée structurante avec LFI, d’une part et Fabien Roussel, d’autre part. Pour ma part, Anne Hidalgo et Christiane Taubira m’apparaissent trop dans le sillage de Hollande pour être crédibles. En ce qui concerne EELV, sa pensée me semble encore trop peu aboutie quant à l’articulation entre l’économique, le social et l’écologie. Le pragmatisme déclaré de Yannick Jadot est, pour moi, un aveu de faiblesse.
Ceci est mon analyse et sert à alimenter le débat. Je ne vous demande évidemment pas de la partager…
Analyse pénétrante et pertinente dans l’ensemble, quoiqu’un peu pessimiste pour l’avenir.
Bonjour.
Je m’associe à la plupart des commentaires qui sont fait.
L’opportunisme est malheureusement omniprésente, la mauvaise foi également, elles alimentent le dégout dans la politique actuelle et l’abstentionnisme qui ne cessera de progresser avec de tels comportements.
Nous risquons tous de nous bruler à force de voir certains jouer avec le feu ?
En ce qui concerne l’Allemagne, j’ai , en tant que Française habitant à l’ Est du Rhin, une tout autre vue sur les coalitions qui ont eu lieu sous Merkel. En effet, le parti social-démocrate a été plutôt « pris en otage » par le parti conservateur, qui n’ avait pas atteint la majorité absolue aux élections. A part quelques changements du domaine social (nécessaires selon beaucoup d’experts en économie mais qui n’ avaient pas d’ unanimité à droite, surtout du côté libéral), il est clair que la politique de Merkel était plutôt arriviste que progressiste. D’ailleurs, le parti social-démocrate allemand a été pratiquement détourné de ses buts et par conséquent presque coulé par Schröder avant la montée de Merkel. Alors dans ce contexte, il est difficile de voir un vrai compromis politique. En réalité, en Allemagne comme en Angleterre, le libéralisme est le seul mouvement continu depuis des décennies, avec toutes ses conséquences pour les couches sociales faibles (comme les Minijobs, etc.).
Pas très d’accord avec cette analyse.
En 2017, une coalition entre partis, au sens classique, était carrément impossible. Le PS avait pris un virage vers la gauche radicale (Hamon) et le LR léchait ses plaies (l’explosion de Fillon). E. Macron a constitué un gouvernement avec des membres de son mouvement (normal), le Modem et des transfuges d’autres partis dont son Premier ministre.
C’est lors des législatives de 2022 qu’une coalition aurait pu éventuellement se former. Cependant la déliquescence du PS, le radicalisme de LFI, les incohérences des Verts et la division des LR rend la chose quasi impossible.
Donc n’accusons pas le PR des turpitudes ou des faiblesses de ses adversaires. En revanche peut-être peut-on espérer la constitution d’un nouveau mouvement, d’un LREM rénové, dynamisé, enrichi. Le Centre qui n’a jamais réussi à percer sous la Ve République dispose là d’une chance unique, à condition d’être assumé.
Je partage entièrement l’analyse de P. Munstead!