La révolution numérique occupe bien des esprits, notamment quand il s’agit d’évoquer les « nécessaires mutations » induites par une révolution que certains comparent à l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie. Pourtant une des premières mutations produites par l’émergence de champions mondiaux du numérique, particulièrement les désormais célèbres « GAFA » est l’affaiblissement formidable des ressources fiscales des États. Et ceci par un double mécanisme de vaste ampleur. D’une part, une stratégie développée par ces nouveaux acteurs d’évitement fiscale sans précédent. D’autre part, la fâcheuse tendance de ces mêmes acteurs à sortir du marché des acteurs économiques plus conventionnels qui contribuaient habituellement aux budgets nationaux à juste proportion. Qui saurait se résigner de cet état de fait particulièrement délétère pour tout projet de société démocratique ? La collectivité des citoyens se voit priver de recettes auxquelles elle a légitimement droit. Concrètement, chaque contribuable français, par son impôt sur le revenu, ou à travers de la TVA, finance « le manque à taxer » d’entreprises devenues « Too Big to Tax », alors même que leur succès est largement dépendant de sociétés éduquées et solvables, d’infrastructures et d’engagements publics.
Ainsi, dans la décennie 80, les taux d’imposition des sociétés atteignaient 45 % en Europe. Ils sont aujourd’hui plus proches de 25 à 30 %, et encore ce taux officiel n’est-il acquitté que par les petites et moyennes entreprises alors que les entreprises de plus de 2 000 salariés n’en versent même pas la moitié.
On le voit, la présente situation est également catastrophique pour les PME. Disposant dans la période actuelle d’un accès très restreint au financement bancaire, ces entreprises qui sont la vie et le ferment de notre tissu économique dépendent crucialement de leur capacité d’autofinancement. Comment peuvent-elle espérer se développer, si elles doivent se charger de l’impôt commun à la place des entreprises transnationales de leur secteur ? Les voilà en quelque sorte sommées de subventionner leurs concurrents les plus puissants !
Le diagnostic fait désormais consensus à l’OCDE comme à la Commission européenne, et une étude du Tax Justice Network estime ce mois-ci que les entreprises américaines les plus importantes détournaient ainsi 5 à 10 % de leurs bénéfices dans les années 90, pour 25 à 30 % depuis la crise. De tels niveaux de dérobade fiscale ne relèvent plus de l’optimisation fiscale, mais bien de l’utilisation massive de pratiques comptables qui ont perdu tout lien avec la réalité économique des opérations conduites. La problématique structurelle de sauvegarde d’un tissu entrepreneurial local productif n’est donc certainement pas le produit d’une concurrence fiscale saine ! Il résulte d’une politique déterminée des plus grandes entreprises mondiales pour détourner leurs profits vers des paradis fiscaux, où ils ne sont qu’à peine taxés.
Pendant longtemps, les États ont semblé subir sans réagir. Fort heureusement, l’ampleur du problème, les nécessités financières, la mobilisation des citoyens, ont déclenché une contre-offensive – USA en tête. Les coûts issus du détournement des systèmes comptables internationaux dépassent désormais clairement ceux de la compétition normative et fiscale dans sa forme actuelle. Un plan de lutte contre l’érosion de la base fiscale (BEPS) est en cours d’adoption au sein de l’OCDE, et l’Union européenne a adopté diverses mesures de transparence et de coopération entre les administrations fiscales.
La réaction citoyenne a notamment pris la forme de la pétition pour mettre fin au privilège des entreprises « Too big to tax », trop puissantes pour se soumettre à l’impôt qui a reçu, plus de 18.000 signatures en 5 jours.
Nous prolongeons aujourd’hui cette initiative avec le dépôt, au Sénat, d’un amendement à la loi de finances 2016 permettant le redressement des pratiques comptables de détournement des profits.
Le temps presse, car les pertes de recettes pour nos pays sont importantes.
Pour utiles que soient les mesures en gestation à Bruxelles ou au niveau de l’OCDE, rien n‘interdit d’apporter une première pierre à l’édifice au travers de la loi de finance française 2016.
Au contraire ! Il faut à l’évidence commencer par les entreprises les plus puissantes, celles à même d’imposer leur interprétation des normes internationales en profitant de la bienveillance de quelques Etats fiscalement opaques.
Prenant appui sur l’exemple de la loi de finances britannique, nous proposons un régime légal de déclaration en France des bénéfices réalisés sur le territoire français, quand bien même les entreprises considérées auraient eu recours à des techniques juridiques leur permettant de ne pas sembler y résider. Par exemple, Google France n’a quasiment pas de chiffre d’affaire au regard de son activité économique qui est patente et extrêmement substantielle en France. Ce régime viendrait s’insérer en cohérence avec l’évolution récente du code général des impôts en ce qui concerne le contrôle des prix de transfert et des opérations sans substance économique. Nous estimons que son adoption pourrait se traduire par un surcroît de chiffre d’affaires déclaré en France de l’ordre d’au moins 10 milliards d’euros, soit une recette espérée de quelques milliards d’euros.
Cette disposition pourrait avoir un effet d’entraînement et d’accélération dans mise en œuvre de nouvelles pratiques fiscales internationales. Nous espérons qu’elle favorise une coopération plus étroite entre administrations fiscales des Etats membres. C’est aussi un premier pas vers une harmonisation fiscale européenne effective, condition indispensable au retour de la confiance des citoyens en Europe.
Sauvons l’Europe – Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice PS de Paris
Article publié sur Mediapart le 20 novembre 2015
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L’IRPP et l’IS sont les 3eme et 4eme ressources de l’Etat, après la CSG et surtout la TVA.
Ceci étant posé, le discours sur le montant d’IS payé par les entreprises occulte que 52% des français sont exemptés de tout IRPP, mesures annoncées et soulignées avant les élections régionales, c’est certainement une coïncidence?
Marie Noëlle Lienemann persiste dans une posture idéo-populiste qui voue les entreprises (riches) aux gémonies, tout en souhaitant la baisse du chômage.
Les emplois sont créés par les entreprises, surtout petites, et par les collectivités.
La baisse des dépenses induit directement la réduction du nombre des emplois publics, particulièrement dans les collectivités locales qui l’a beaucoup augmenté.
Les idéo-populistes se revendiquent de Keynes pour justifier plus de dépenses publiques financées par la dette.
Les frondeurs n’osent dire, mais pensent fort, que la dette est sans importance!
C’est un vrai sujet que les montages fiscaux des Gafa pour éviter l’impôt, mais il ne doit pas dissimuler les vraies questions.
Arrêtez ces discours irresponsables.
Sauvons l’Europe ne défend pas nécessairement l’ensemble de la dépense publique, et en particulier al dépense publique des collectivités locales françaises qui est un festival de doublons. Nous nous attaquons simplement aux sujets ayant une dimension européenne, dont celui de l’évasion fiscale des multinationales, bien au-delà des GAFA. Vous reconnaissez qu’il existe, nous essayons de le traiter quelque peu (à notre échelle). Notons d’ailleurs que si les PME créent les emplois, elles supportent le taux plein d’IS et subventionnent ainsi les grandes entreprises. Il y a là un déséquilibre à traiter…
Je partage totalement l’avis de jlcatalan relatif à MNLinneman qui fait partie de cette gauche de posture. Que les multinationales paient leur juste part à l’impôt est bien entendu nécessaire mais il est illusoire de penser que résideront là les solutions à tous les problèmes que nous connaissons.
Ce serait l’occasion de réfléchir plus à fond sur le système fiscal. Pourquoi un impôt sur les sociétés, alors qu’il s’agit de taxer bien plus les dividendes que le profit destiné par exemple à l’investissement ? Il serait plus simple de tout rebasculer sur l’impôt sur le revenu et sur le capital des ménages.
Evidemment, l’impôt sur le revenu deviendrait plus lourd, et une répartition dans laquelle la moitié des ménages en sont dispensés ne serait pas tenable. Mais de toute façon, lorsque IRPP et CSG seront fusionnés, cette anomalie disparaîtra.
Le seul cas où on aurait du mal à transposer la recette de l’IS sur l’IRPP serait celui de la puissance publique actionnaire. Ce n’est pas grave.
Egalement le cas où les actionnaires ne sont pas français, ce qui représente une bonne partie du CAC 40?
Pourquoi pas une simple loi obligeant toute société exerçant une activité commerciale sur le territoire à avoir un siège social sur le territoire?
Il existe un univers de lois fiscales permettant alors de prélever l’impôt sur les bénéfices.
Par ailleurs une révision équitable des lois fiscales qui ont peu a peu transféré l’impôt dû par les sociétés par l’impôt dû par les ménages est elle aussi obligatoire.
L’organisation du droit fiscal international rend une telle réforme compliquée. Nous nous faufilons à travers les interstices.
L’organisation du droit fiscal international:
Je suppose que la France est partie prenante de tels accords, sinon elle ne s’y soumettrai pas.
Pourquoi donc alors ne pas dénoncer des règles qui ne nous sont pas favorables ?
Tout est constamment négociable et re-négociable, d’autres ne se gênent pas.
Se faufiler ressemble fort a ne chercher que les miettes, je pense que tant de mesures et solutions proposées ne font qu’ajouter aux distortions en nous faire perdre de vue l’application de principes simples.
Par exemple que les accords servent les parties prenantes et sont dénoncés lorsqu’ils ne le font pas.
@sauvons l’Europe
vous vous faufilez
vous essayez
etc…
mais vous ne posez pas le problème et vous contentez de reproduire les yakfocon de quelques politiques en mal d’électeurs, qui plaquent leurs fausses solutions sur des questions mal définies.
On ne résout pas un problème sans le poser, et votre rôle pourrait être là, au lieu de la jouer impotent.
Oui, pour résoudre un problème il faut le poser ! Oui, alors vous aussi vous ne le posez pas. Allez-y, exposez, expliquez, informez sur ces problèmes nombreux et complexes, éclairez donc le citoyen moyen que je suis, au lieu de critiquer ceux qui essaient d’agir dans ce labyrinthe tortueux ! En sachant bien que la solution miracle idéale n’existe pas !! Apportez votre aide au lieu de démolir.
Madame Lienemann n’a pas fondamentalement tort de s’attaquer à ces entreprises qui détournent le produit fiscal qui devrait servir aux diverses cotisations sociales. Elle devrait aussi s’attaquer dans sa diatribe, assez convenue (je suis d’accord avec jlcatalan), sur le scandale de ces sociétés qui, telles Airbnb, Uber, et bien d’autres, font disparaitre la ressource taxable. Du coup, ce sont les entreprises déclarées qui doivent mettre la main à la poche pour assurer les remboursements de ceux qui grugent. La récente campagne d’affichage de airbnb sur Paris Banlieue (« ce sont mes locations qui paient mes achats de chaussures » etc… ) est proprement scandaleuse car faite sur le dos des cochons de payeurs des cotisations de SS, de retraites, de formation etc.. etc…
C’est cela et ceux là aussi Madame la sénatrice qu’il faut attaquer vertement, en aurez vous le courage?
@paquerette
je ne vais pas ici faire un exposé macro-économique, les bibliothèques débordent de livres savants sur le budget des états.
Comme le rappelle dthaury, les impôts et les cotisations sociales financent les dépenses de l’état, directement dans son budget, et la sécurité sociale, santé, coûts et retraites.
Toute réduction des impôts et/ou des cotisations s’accompagne d’une réduction des dépenses ou d’une augmentation de la dette.
Les Parlements ne peuvent supprimer une recette (impôts ou cotisations) sans proposer une recette alternative ou une réduction pérenne des dépenses de même montant.
Les états européens utilisent les impôts et cotisations pour attirer les entreprises, qui créent des emplois; des exemples opposés:
– Le Danemark pratique une TVA sociale de 25% depuis 20 ans, et la sécurité sociale est financée par la TVA et par l’IRPP. Plus de cotisations fondées sur l’assiette des salaires, donc compétitivité des exportations, salaires élevés et financement par la consommation (TVA) et l’export.
– L’Irlande ou la Slovénie pratiquent des impôts attractifs pour les entreprises, le Portugal pour les retraités, etc.. autant d’attraits.
Les Gafa et autres multinationales (la holding de Renault-Nissan est domiciliée à Amsterdam…) utilisent ces politiques nationales des pays de l’UE pour optimiser leurs taxes.
L’UE a pris conscience de cette perversion, l’OCDE le clame et le démontre depuis des années, mais allez expliquer aux « petits pays qui pratiquent les taxes attractives » qu’ils doivent y renoncer! En pleine tempête monétaire et économique 2008 – 2009, l’Irlande a préféré renoncer à l’aide de l’UE dont la condition était le relèvement des taxes.
Les budgets des états sont inégaux en Europe, en pourcentage des PIB des pays.
Lorsque nous nous comparons aux pays similaires Allemagne, Angleterre, Italie, par exemple, nous constatons que la France dépense beaucoup plus, plus que ses recettes.
Le gaspillage existe, mais il n’explique pas toute la différence.
Nous atteignons ici ce que la politique a de noble, la création du cadre social du pays dans lequel nous vivons.
La sécurité sociale (issue du Conseil National de la Résistance, pas du PCF) garantit aux français l’accès à la santé. Beaucoup de Britanniques se font opérer en France, peu d’Allemands ou d’Italiens.
Ces choix nous appartiennent. Peuvent-ils être européens? pourquoi pas? c’est une nouvelle utopie, comme l’Europe en 1948.
Enfin l’équilibre entre la ponction obligatoire et l’économie générale, est bien illustrée par la « courbe de Laufer »: si l’état prend 100%, il n’y a plus d’économie! si l’état prend 0% (sauf les émirats pétroliers) il n’y a plus de cadre social!
L’équilibre entre 0 et 100% est donc une évidence, et le point optimum une question essentielle, qui peut varier par pays selon la culture, l’histoire, etc…