Nous publions ici une lettre ouverte des responsables du Mouvement Européen – Italie au Président du Conseil Italien Enrico Letta et à la Ministre des Affaires Etrangères Emma Bonino
Cher Président, chère Emma,
Il y a trente ans, le 14 février 1984, le premier Parlement européen élu a accompli un pas fondamental pour la réalisation de l’Union européenne, en adoptant le projet de Traité qui porte le nom de son inspirateur : Altiero Spinelli.
Le résultat largement majoritaire du vote parlementaire a été fondé sur la convergence d’orientations constitutionnelles entre les cultures chrétienne, libérale et radicale, socialiste et communiste qui avaient ainsi repris leurs inspirations initiales: universaliste, cosmopolite et internationaliste.
Au nom du Mouvement Européen et de l’Intergroupe parlementaire pour les Etats-Unis d’Europe, nous vous demandons de saisir l’occasion de cette date anniversaire pour envoyer un mémorandum au Conseil européen en rappelant en premier lieu cet acte solennel de démocratie parlementaire – ou de démocratie tout court – qui a ouvert la voie aux cinq révisions des traités, de l’Acte Unique jusqu’au Traité de Lisbonne en passant par la Constitution européenne de 2004.
Dans une période sombre pour l’Europe où le consensus des opinions publiques pour l’intégration communautaire est en train de s’effriter et où les mouvements décrivant le rêve de Spinelli et du Manifeste de Ventotene comme un cauchemar se diffusent partout, nous estimons essentiel et urgent de rappeler les innovations proposées par le projet du Parlement européen en 1984.
Ce projet n’a été qu’en partie ignoré par les négociations intergouvernementales et par la Convention sur l’avenir de l’Europe puisque beaucoup d’innovations ont été graduellement intégrées dans les traités.
Nous vous demandons de les rappeler brièvement: l’union politique comme préalable indispensable pour partager les souverainetés nationales dans les domaines de l’économie, de la monnaie et de la politique étrangère, la citoyenneté européenne et les droits fondamentaux, le principe de subsidiarité et le partage des compétences entre l’Union et les Etats membres, le rôle législatif du Parlement européen, l’élargissement de l’action de l’Union dans l’espace que Willy Brandt avait appelé « la politique de la société », la simplification des actes juridiques, le renforcement de la fonction gouvernementale de la Commission et l’institutionnalisation du Conseil Européen, le budget pluriannuel financé par des véritables ressources propres, un Fonds monétaire européen et une autorité centrale unique pour contrôler le système des banques, une vraie politique étrangère et de la sécurité ouverte à la dimension de la défense pour contribuer au désarmement international.
Nous vous demandons d’annoncer que le gouvernement italien, en s’inspirant de la valeur démocratique du projet Spinelli, va proposer au Conseil européen qui se réunira après les élections européennes d’attribuer au nouveau Parlement une fonction constituante, telle que celle qui a été exercée par le premier Parlement à l’initiative de Altiero Spinelli et du Club du Crocodile.
En agissant ainsi, le Conseil européen s’inspirera de ce qui avait été proposé par Willy Brandt à la veille des élections européennes en 1979 quand il avait parlé de “assemblée constituante permanente” et à l’appel lancé par François Mitterrand devant le Parlement européen peu de jours avant la chute du Mur de Berlin quand il demanda à l’assemblée d’assumer “tôt ou tard mais le plus tôt possible” un rôle constituant après avoir donné son appui au projet Spinelli “au nom de la France”.
Nous vous demandons de rappeler que, en se référant à une proposition de François Mitterrand, le Parlement italien a décidé de promouvoir – pendant la présidence italienne du Conseil de l’Union –
un grand « Congrès de la démocratie représentative » nationale et européenne comme les Assises qui ont eu lieu à Rome en novembre 1990, ayant le mandat de discuter de l’avenir de l’Europe et d’établir les éléments du mandat constituant du Parlement européen.
Ces éléments devraient se fonder sur ce qui est resté irréalisé du projet du Parlement européen en 1984.
Nous pensons notamment à certaines compétences essentielles pour assurer le rôle de l’Union dans le développement de la politique de la société comme la culture, l’éducation et la formation mais aussi les autres compétences que le Traité de Lisbonne a cantonnées parmi les actions d’appui et qui devraient être partagées entre l’Union et les Etats membres telle que la dimension sociale et la politique industrielle.
Nous pensons au rôle exécutif de la Commission et à la réduction du nombre de ces membres, ce qui pourrait permettre l’abolition de centaines de comités intergouvernementaux qui bloquent l’action de l’Union avec la lourdeur de leur poids bureaucratique.
Nous pensons à la réduction des actes normatifs à trois catégories: les lois-cadre, les lois organiques pour modifier – quand il sera nécessaire – le traité sur le fonctionnement de l’Union – et les lois budgétaires en appliquant avec rigueur les principes de subsidiarité et de proportionnalité et en reconnaissant au Parlement et au Conseil le droit d’initiative législative en cas de refus de la Commission d’agir.
Nous pensons à la création d’une seule “chambre des Etats” avec l’élimination des neufs conseils sectoriels et l’abolition du Co.Re.Per.
Nous pensons à la suppression du droit de veto dans des domaines clé pour le développement de l’Union tels que la politique étrangère, la justice pénale, la politique fiscale et les ressources propres avec le renforcement parallèle des pouvoirs démocratiques du Parlement européen.
Nous pensons à l’introduction d’un système de péréquation financière tel que celui en vigueur en Allemagne et aux instruments des prêts et des emprunts pour assurer l’indispensable solidarité européenne.
Nous pensons enfin à la codécision constitutionnelle sur base d’une majorité super-qualifiée au sein de la chambre des Etats et du Parlement européen et à la consultation des citoyens.
Nous soulignons à cette occasion l’exigence qu’une alliance entre les innovateurs dans tous les pays de l’Union se mette en place, au-delà des clivages politiques et des candidatures à la présidence de la Commission, pour changer de cap et aller vers une Union plus démocratique et plus solidaire, capable d’assurer à ces citoyens des biens communs que chaque Etat tout seul ne serait pas capable de garantir : une « république européenne » à la hauteur des défis du 21ème siècle.
Cette alliance devrait être fondée sur la volonté de reconnaître dans le Parlement européen qui sera élu en mai 2014 une telle fonction constituante.
Nous sommes convaincus que le mémorandum du gouvernement italien va provoquer un sursaut salutaire dans le débat européen et aura une influence déterminante dans la campagne électorale européenne.
Cher Président, chère Emma, hic Rhodus hic salta!
Pier Virgilio Dastoli
Rocco Cangelosi
Sandro Gozi
Gianluca Susta
Merci pour la démocratie, et pour nos générations futures. Espérant une Europe plus soucieuse de ses cytoyens et se libérant du diktat de la finance et participante à plus d’égalité entre tous.
Europe comme modèle vertueux pour l’avenir de tous les peuples.
Michèle LAURENT
Je suis parfaitement d’accord, mais il ne faudrait plus tergiverser il faudrait agir.
La question, comment surmonter les blocages de 28 Etat Nation?
« Avenir est notre affaire » disait Denis de Rougemont et oui le notre citoyennes et citoyens de l’Europe.
Sur le fond : oui, mille fois
Sur le libellé : attention, l’Europe compte encore plusieurs monarchies
Patrice Obert
auteur de Un projet pour l’Europe ( harmattan- 2013) et
candidat aux élections européennes sur les listes portées par les Européens solidaires
http://www.européenssolidaires.org
Nous n’avons pas le choix, et c’est bien ainsi, la question est quand?… Les états ne peuvent rien seuls mais unis, ils pourraient tout…
Bonjour,
Merci pour cet excellent texte, qui fourmille d’excellentes propositions et rappelle fort justement un texte absolument fondateur d’Altiero SPINELLI et qui peut être considéré comme le liant, le ciment de nombreux textes juridiques constructeurs de l’Europe qui lui ont succédé.
Cependant je suis obligé de faire remarquer une grave erreur – ou peut-être indélicatesse de style – ; en fait il est possible que ce soit seulement une erreur dans la traduction du texte ? Mais cela doit absolument être signalé car cela travestit le sens. Malheureusement, en politique dans les Etats de l’UE il y a aujourd’hui beaucoup de travestissement…
« Au nom du Mouvement Européen et de l’Intergroupe parlementaire pour les Etats-Unis d’Europe, nous vous demandons de saisir l’occasion de cette date anniversaire pour envoyer un mémorandum au Conseil européen en rappelant en premier lieu cet acte solennel de démocratie parlementaire – ou de démocratie tout court – qui a ouvert la voie aux cinq révisions des traités, de l’Acte Unique jusqu’au Traité de Lisbonne en passant par la Constitution de 2004. »
Dans cette phrase qui constitue tout un paragraphe, le groupe de mots « Constitution de 2004 » traduit un sens erroné. Il s’agit du « Traité Constitutionnel de 2004 ». Une Constitution engage un peuple dans sa relation directe avec un Etat – qui serait l’Etat européen – ; un Traité engage les Etats qui l’ont signé – puis fait ratifier par leurs représentants légaux – et concerne par la suite des relations entre ces Etats au nom de leurs peuples – mais pas au nom du peuple européen ; puisqu’il ne s’agit pas d’une Constitution.
Ceci est à mon avis un point très important. En effet, toute l’Histoire de la Construction Européenne depuis les années 1950′ est l’Histoire de Projets successifs d’une dizaine d’années chacun où l’Europe se met volontairement en déséquilibre afin de surmonter ce handicap initial qu’elle s’inflige… en investissant, en planifiant, en légiférant… jusqu’au Pari d’après.
Seulement avec le Projet nous engageant pour l’Euro on voit le bout du tunnel, la possibilité un jour de ne pas dès le début devoir se placer en déséquilibre initial avant d’agir. En effet la monnaie unique engage nécessairement La Dimension Fiscale et donc à terme comme vous l’évoquez brillamment le fait que les dimensions notamment la politique étrangère, la justice pénale, la politique fiscale et les ressources propres levées par un pouvoir élu démocratiquement et sans biais c’est-à-dire s’appuyant sur le Droit – dans la continuité de ce qu’a toujours été la Construction Européenne -, ne doivent pas pouvoir faire l’objet de droit de veto de la part des Etats. Cette perspective liée à l’euro, je la développe de façon aussi complète que vous pouvez le souhaiter dans ma thèse http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b010 (auteurs passés et présents préparant ou ayant préparé le terrain) http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b011 (histoire des faits et histoire des idées montrant le point de convergence structurel auquel nous arrivons historiquement) http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b012 (considérations stratégiques et géostratégiques, mathématiques et macroéconomiques, etc. de ce que partant de la structure Euro on puisse lire les lignes de direction de la Politique Européenne, deviner et anticiper les effets de perspective et les effets de champ de la Construction Européenne au XXIS) http://www.eumed.net/entelequia/es.lib.php?a=b013 (annexes ; preuves, calculs, développements complémentaires…].
De facto la Construction Européenne a eu son Histoire au XXS – en effet le Droit y est très important – et en même temps que cette grande Architecture, continue l’Histoire Démographique, l’Histoire des Idées, l’Approche de la Nécessité du Dialogue des Civilisations… et ce que l’on a souvent nommé – non sans pertinence… – « les vases communiquants ». Si bien que souvent on annonçait un objectif final – mais chronologiquement il ne pouvait s’agir que d’un départ. Dans l’Objectif de Lisbonne voulant faire de l’UE en 2010 l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive dans le monde, on voit bien que cela est grosso modo le cas… d’autant que s’il fallait considérer « l’économie fondée sur la connaissance » comme fondée essentiellement sur la compétition, la flexibilité, l’élargissement… naturellement on n’y arriverait pas.
Ainsi pour revenir sur le Traité Constitutionnel de 2004, il est bien sûr un fondement central d’une future Constitution Européenne… dont il ne présente les propositions que sous leur aspect « montant » – il n’y a aucune (ou bien peu…] d’approche intellectuellement « descendante » et susceptible donc d’une intégration, d’une appropriation immédiate par le futur peuple européen. Cela reste un modèle de texte juridique, de présentation sinon d’inspiration libérale.
Oui, le texte SPINELLI de 1984 me paraît – après ce que je viens de dire – présenter, proposer et offrir le liant, le ciment, dans une approche « sociale » large, appelant à l’imaginaire du peuple européen dont rêvait Victor HUGO après Bernardin DE SAINT PIERRE et le Duc de SULLY… Une fois de plus comme si souvent dans l’Histoire depuis l’an 1000, le génie vient d’Italie.
Mais il me paraît absolument indispensable de parler du texte de 2004 comme d’un Traité Constitutionnel, brillant, indispensable pour construire la suite. Faute de ce principe de précaution terminologique, l’opinion mondiale serait poussée à croire que l’Europe est libérale et donc la construction européenne et sa tradition multi séculaire sociale-démocrate tomberait en désuétude. Dans ce cas le Traité Transatlantique serait signé en 2015 et la construction européenne s’arrêterait le jour d’après.
Il y a eu tant de travestissements de sens dans le domaine scientifique dans l’Histoire et qui ont « changé la face du monde » que je ne souhaite pas en voir dans le domaine juridique, diplomatique et politique (au sens large…] préparant la suite de la Construction Européenne où nous aurons, j’en suis sûr, bientôt, un Peuple-Européen.
Philippe JOURDON
Docteur en Economie
Tout à fait d’accord avec ce texte et ses intentions.
Dommage qu’en 1984 nos politiciens n’aient pas suivi le processus du projet de traité Spinelli. On ne serait pas dans l’absurdité d’une politique monétaire commune sans contrôle politique commun démocratique.
Il est urgent de rattraper ce retard avant que les incohérences actuelles ne finissent par donner en apparence raisons aux adversaires irréductibles de l’UE.
Vive le seul souverainisme viable, le souverainisme Européen!