Revenons sur l’un des épisodes les plus étonnants de l’actuelle présidence belge de l’UE. Cet épisode qui date du mois de mars a marqué les annales bruxelloises. En effet, le 11 mars dernier, lors d’une réunion de dernière chance pour permettre l’adoption de la directive « travailleurs plateforme », la France et l’Allemagne (ensemble) ont été laissées de côté par leurs 25 autres partenaires. C’est une première depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, fin 2009 !
La faiblesse conjoncturelle du couple franco-allemand en question
Ce 11 mars, le Conseil votait à la majorité qualifiée, soit 55% des États membres représentant 65% de la population de l’UE. Pour rappel, dans pareil cas, une minorité de blocage exige au moins quatre Etats membres représentant 35% de la population de l’UE . Considérant que la population combinée de la France et de l’Allemagne représente déjà environ 33% de la population de l’UE, le duo franco-allemand se devait de trouver deux autres Etats membres. Dans le cas présent, les alliés s’appelaient la Grèce et l’Estonie.
Ainsi, Paris, Berlin, Athènes et Tallinn ont donc pu bloquer plusieurs fois l’adoption de la directive, suite à la dernière proposition belge de compromis… jusqu’au 11 mars où « dans un esprit de compromis », et conscients que la réunion était « décisive » pour l’adoption d’un texte, l’Estonie et la Grèce ont modifié leur vote au tout dernier moment, ouvrant ainsi la voie à l’adoption finale de la directive.
Au-delà de la faiblesse conjoncturelle du couple franco-allemand, il faut sans doute aussi y voir le savoir-faire sans égal de la Belgique en matière de présidence de l’UE… « Merci pour ces surprises de dernière minute », a déclaré le vice-Premier ministre belge (socialiste) Pierre-Yves Dermagne après le vote, sous les applaudissements et les acclamations des ministres.
Certes, sur le fond de la directive, l’ambition a été réduite sur plusieurs points, notamment la présomption légale de salariat. La suppression de la liste de critères permettant d’établir la relation de subordination entre la « plateforme » employeur et le travailleur sonne comme un échec, vu que l’un des objectifs déclaré de la directive étant justement de permettre l’harmonisation de règles communes à l’échelle européenne.
Certes aussi, le front franco-allemand n’en était pas vraiment un. L’Allemagne s’est abstenue en raison de querelles internes au sein de sa coalition. La France, quant à elle, a déclaré qu’elle ne voterait pas tant que la Commission n’aurait pas apporté des éclaircissements juridiques supplémentaires. Mais, force est de constater que d’autres Etats membres, plus hésitants, ne lui ont pas emboîté le pas, laissant les deux plus grands pays de l’UE isolés.
Une absence de vue commune sur un sujet majeur
Pourtant, le plus troublant dans ce trou d’air franco-allemand n’est-il pas l’absence de vue commune sur un sujet très loin d’être anecdotique ? Et cela à plus d’un titre. D’une part, selon des estimations officielles, le nombre de travailleurs de plateformes au sein de l’UE devrait atteindre 43 millions en 2025, soit une augmentation de plus de 50% depuis 2022, année pendant laquelle ils étaient déjà 28,3 millions, soit l’équivalent de l’ensemble des travailleurs de l’industrie manufacturière en Europe ! D’autre part, il s’agit du premier ensemble complet de règles régissant l’utilisation de l’intelligence artificielle au travail.
Des impératifs de transparence sont ainsi imposés aux plateformes numériques, qui devront informer les travailleurs de la manière dont les algorithmes fonctionnent. Surtout, les plateformes numériques n’auront pas le droit d’utiliser, dans leur management par l’IA, des informations sur l’état psychologique ou émotionnel des travailleurs, des données personnelles liées à des conversations privées, ou encore des informations sur l’orientation sexuelle ou les handicaps.
…allo Berlin, ici Paris… IA… Souveraineté…
Vous oubliez de signaler que cette directive est une coquille vide qui ne changera rien au statut et aux conditions de travail de ces esclaves des temps modernes que sont les ubérisés. En ne reconnaissant même pas la présomption de salariat entre ces travailleurs et leur patron, cette directive va en-deça de ce qui existe déjà dans certains Etats membres (notamment en Belgique). Autrement dit, vu le rapport de force écrasant entre travailleurs et employeurs, les ubérisés n’ont aucune chance de se voir accorder le statut de salariés. Cette directive constitue donc, non un progrès, mais un recul par rapport à la législation d’un certain nombre d’Etats membres et aux décisions d’un certain nombre de tribunaux du travail au sein de l’U.E. Les actionnaires d’Uber Eats et de Deliveroo ont encore de beaux jours devant eux, Merci qui ? Merci l’Europe !
OK avecYves
**Les impératifs de transparence imposés aux plateformes numériques ne changent en rien le statut et les conditions de travail des ubérisés. Bien au contraire, ils reconnaissent, de facto, ce mode d’exploitation humaine, encourage la fin du salariat, de ses protections sociales (SS, chômage, retraite), de la solidarité entre salariés, et sacralisent l’irresponsabilité patronale !
Merci Henri pour cet utile éclairage. Je distingue clairement le fond (une proposition de directive qui a été affaiblie au fil de la négociation, malgré les souhaits contraires du Parlement européen, je reste cependant parmi ceux qui voient le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide) et la méthode. Sur ce plan, tu as tout à fait raison de souligner les grandes capacités de la Présidence belge qui a su surmonter une abstention française et allemande, laquelle ne permet vraiment pas de parler de « moteur franco-allemand » en ce moment
Ce n’est pas parce que l’escargot ne montre pas ses cornes que la coquille est vide.
En fait, la référence à l’escargot peut paraître d’autant plus évocatrice que la lenteur a caractérisé le parcours de la directive applicable aux travailleurs des plateformes. On rappellera à cet égard que la proposition de la Commission a été présentée à la fin de 2021 et qu’à ce jour, en dépit des résultats atteints le 11 mars au niveau des ministres européens, le texte n’est toujours pas définitivement entériné.
Certes, cette stagnation s’explique en grande partie par l’intense lobbying exercé par les géants des plateformes et auquel certains États membres n’ont pas été tout à fait insensibles. Selon certaines sources dignes de foi, il apparaît, du reste, que lesdits géants ont manifesté leur mécontentement à l’issue de l’approbation (à la majorité relative) recueillie au niveau du Conseil… alors que, selon les mêmes sources, le monde syndical aurait fait état d’un accueil plus positif. Ces positions peuvent notamment s’expliquer par un point fondamental du texte, à savoir que, si les plateformes peuvent contester la présomption de salariat, c’est à elles qu’incombe la charge de la preuve.
On peut ajouter que, dans la mesure où il s’agit d’une directive, une certaine marge est laissée aux États membres au niveau de la transposition d’une telle réglementation dans leurs législations nationales respectives: une telle latitude pourrait concerner, par exemple, les mécanismes de contrôle de la présomption de salariat – étant entendu que cette incorporation au droit national ne peut aller à l’encontre des objectifs et de l’ « économie générale » de la directive. Dans le cas contraire, il pourrait s’agir d’infractions relevant de la vigilance de la Commission et de la Cour de justice de l’UE.
Toutes ces considérations me permettent de rejoindre la perception du verre à moitié plein évoquée par Olivier Brunet.
Bonsoir.
Il est évident que le couple FRANCO-ALLEMAND n’a pas le même poids que dans les décennies précédentes « qu’il a du plomb dans l’ aile ».
Plusieurs explications :
– L’élargissement aux pays de l’est et autres créant un nouveau rapport de force.
– L’affaiblissement de la FRANCE lié à son déficit budgétaire, à nos positions teintés d’arrogance alors que nous n’en avons pas les moyens.
– L’Allemagne qui a tendance à faire cavalier seul, qu’on a laissé noyauter les institutions européennes jusqu’à la présidence de la commission européenne, présidente qui est de moins moins crédible aux yeux de certains d’entre nous.
Ce n’est qu’un début, je l’ai déjà écrit et répéter, nous risquons de payer cher cette non finalisation du projet européen à moins que ?
Au sujet de l’affaiblissement du couple franco-allemand, n »oublions pas de rappeler le conflit en Ukraine, conflit dont nous sommes responsables à 95%, à forces de coups d’états, de révolutions de couleur bidons, d’invasion otanienne, de labos bactériologiques et autres bases d’espionnages , et de stigmatisation par des mesures néo-fascistes de toute une partie de la population ukrainienne. Outre un effondrement de la Russie souhaité ( et nous pouvons désormais dire rêvé ) les objectifs géopolitiques américains étaient avant tout de pouvoir tirer une balle dans le genou de l’économie allemande et de repousser ce cauchemar pour l’Amérique que représentait une collaboration économique accrue de l’UE avec la Russie, pouvant directement concurrencer la puissance américaine. 2/3 des grosses entreprises allemandes ont déjà migré aux USA et nous achetons désormais notre gaz 4 fois plus cher aux états unis. Et pour bien mettre le point sur le I ( comme Ingérence ) « on » nous a fait péter Nord Stream. Le prochain chouchou européen qu’ont désignés nos maitres anglo-saxons c’est la Pologne. Il serait temps de se réveiller chez » Sauvons l’Europe » car oui elle est sérieusement menacée, en passe de devenir un empire technocratique et totalitaire ultra libéral dirigé par une poignée de gens, contrôlant avec zèle tous les médias, , plus que jamais au service de l’ubérisation et des grands argentiers pour qui l’extrême droite, tant qu’elle ne contrarie pas leur cupidité, n’est vraiment pas un problème, voire même, la solution.
Bonsoir ROBUMP21.
Sur de nombreux points, vous rejoignez les remarques que j’ai écrites dans de précédents commentaires.
Oui, je suis moi même étonné que dans « Sauvons l’Europe », elles soient occultés ?