Sauvons l’Europe se retire de X. Comme d’autres, nous estimons que ce réseau social a été dévoyé par son propriétaire, Elon Musk, pour devenir un instrument de propagande. Nous nous sommes posés la question de rester pour continuer à toucher ceux qui ne le quittent pas, mais à terme les dés sont pipés sur cette plateforme, et il convient plutôt que ses utilisateurs l’abandonnent en masse. Le compte n’est pas effacé pour éviter tout détournement de notre identité, mais notre activité se déroulera désormais sur Bluesky.
De fait, Elon Musk a réintroduit puis favorisé la pensée d’extrême-droite sur ce réseau. Ceci correspond sans doute à ses convictions personnelles profondes. Appréhendant régulièrement le monde comme séparé entre communautés ou entre races (au sens américain) dont les relations sont conflictuelles, il appelle les blancs à pouvoir être fiers de leur race et accuse certains opposants de vouloir l’extinction des blancs. Ceci donne une saveur particulière à ses déclarations sur sa dizaine d’enfants, indiquant que la baisse de la natalité est le pire danger auquel une civilisation puisse être confronté. Rappelons qu’à l’instar de Peter Thiel, David Sacks ou Paul Furber, probable inventeur de QAnon, Elon Musk a passé son enfance en Afrique du sud pendant l’apartheid.
Les réseaux sociaux sont l’endroit où notre opinion se forme et se confirme de plus en plus. Or ils sont manipulables, de deux manières. La première, et la plus évidente, est un détournement des algorithmes d’audience qui nous mette sous les yeux les contenus les plus conformes aux vues des promoteurs de la plateforme. La seconde est la multiplication des faux comptes, animés par des agents d’influence ou tout simplement des robots. Nous y avons été confrontés pour la première fois lors du Brexit avec l’affaire Cambridge Analytica, déjà pilotée par des proches de Trump. La Russie a pris le relai et entretient une armée permanente de commentateurs sur les réseaux occidentaux. Quelle est la taille du problème ? Il semble qu’à l’occasion du Superbowl de cette année, moins d’un quart des échanges sur X étaient le fait d’humains contre les deux tiers en temps normal, et la quasi totalité sur les autres réseaux. A l’heure actuelle, l’activité principale de ces robots est de la publicité déguisée pour l’industrie du sexe, mais avec la démocratisation de l’intelligence artificielle, le danger est désormais clair.
Quitter X, donc. Mais ceci n’est cependant pas une réponse, ou du moins c’est la seule réponse que nous puissions apporter à titre individuel. Car X n’est que la pointe avancée d’un risque nouveau pour les démocratiques européennes. Mark Zuckerberg se joint à Elon Musk. Il veut pouvoir cesser la vérification des contenus sur ses plateformes et également avoir le droit de les peupler de robots. Et il appelle Donald Trump à faire pression sur l’Europe pour que nous démantelions les règles qui protègent nos citoyens. Zuckerberg, c’est Facebook, mais aussi Instagram, Threads et WhatsApp. Rappelons que TikTok est une plateforme de propagande du gouvernement chinois. Que reste-t-il ? Google, qui opère Youtube, est menacé de destruction par Donald Trump pour mal le traiter dans la mise en avant des informations.
Ne nous y trompons pas. L’équipe politique de Trump est en train de faire main basse sur les nouveaux médias mondiaux pour y imposer sa propagande politique. Et très clairement, elle s’est donné pour objectif de renverser ses opposants au Canada, au Royaume-Uni et en Europe pour se constituer des alliés et des régimes à sa botte. Le soutien aux différents partis d’extrême-droite en Allemagne ou en Autriche, la diffusion d’accusations contre le premier ministre ministre britannique d’avoir soutenu un réseau industriel de traite des blanches n’ont pas d’autre but. La Russie est en outre déjà présente sur ces réseaux.
Nous devons réagir. Et dans un premier lieu faire appliquer nos lois pour protéger nos citoyens. Si X contrevient effectivement au droit européen, cette plateforme doit faire l’objet de sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction sur notre sol. Nous ne pouvons pas céder aux injonctions de Trump de démanteler notre système de protection de nos opinions publiques et de notre démocratie. C’est au contraire le moment de les renforcer. Nous disposons d’un marché solvable d’un demi milliard de consommateurs. C’est une puissance réelle qu’il faut mobiliser à fond. La Commission européenne actuelle ne se définit pas par sa force de caractère. Elle devra la trouver, ou les Etats et le Parlement européen devront l’y contraindre. C’est un sujet existentiel.
Nous nous trouvons ensuite face à la solitude européenne, qui régule les plateformes de réseaux étrangères mais n’en possède pas. Sauvons l’Europe a proposé hier qu’un fonds public européen prenne des parts dans les GAFAM. Clairement, l’occasion est passée.
Pour sortir de l’équilibre dangereux entre les plateformes étrangères et les consommateurs européens, il faut des alternatives. Nous appelons aujourd’hui à ce que l’Europe finance la création de réseaux sociaux qui respectent par construction les normes européennes, et dont les infrastructures se situent sur son territoire. L’exemple de Wikipedia, de Mozilla, de LibreOffice, de Linux, montre qu’un tel modèle est possible et viable. Ceci n’est plus un sujet de protectionnisme technologique, commercial ou de régulation de la presse dans un débat d’idées équilibré, mais de survie démocratique dans un univers de propagande massive et individualisée.