La Commission européenne vient de connaître une crise constitutionnelle majeure et discrète. Comme souvent dans ces affaires, tout commence par une histoire de symbole politique. Le commissaire européen au commerce, Phil Hogan, a assisté à un de ces dîners d’influence réunissant des personnalités de la politique et des affaires dans un golf. Mais pour ce faire, il a assisté à une réunion de 80 personnes, alors que les règles irlandaises relatives au Covid les limitent à 50; circonstance aggravante il a pour ce faire quitté une zone sous quarantaine. Dans le cadre de ce scandale, le gouvernement Irlandais a appelé à la démission des différents ministres et officiers publics présents. Et dans le tas, Phil Hogan.
Or Hogan n’est pas un ministre Irlandais. C’est un un commissaire européen, sans lien constitutionnel avec le gouvernement Irlandais depuis sa proposition par ce dernier. Du point de vue des institutions, l’Irlande ne peut donc aucunement forcer son renvoi, pas plus que celui d’aucun autre commissaire. Hogan a dénoué le problème formel en présentant de lui-même sa démission, mais l’affaire crée de fait un climat de précédent dont pourraient s’autoriser d’autres gouvernements. Quid par exemple d’un changement de majorité après une élection, conduisant à une opposition politique entre un commissaire européen et le nouveau gouvernement de son pays ?
Ursula Von der Leyen a choisi de ne pas protester et a saisi l’occasion pour faire évoluer la composition de « sa » Commission. Pour rééquilibrer la parité, elle a demandé à l’Irlande de désigner deux candidats, dont surtout une femme. L’heureuse élue est Mairead McGuinness, vieille routière du Parlement européen.
Mais elle ne reprend pas le portefeuille du Commerce. C’est le premier signal adressé : si les gouvernements ont naturellement négocié les attributions de leurs commissaires, ils n’en sont pas propriétaires. C’est la Présidente de la Commission qui décide en dernier ressort de son « gouvernement ».
A la place, McGuiness hérite des services financiers, c’est à dire de la régulation de la phynance. Le portefeuille reste important et surtout c’est un signal très clair à destination cette fois du gouvernement Anglais. Les services financiers sont un élément majeur de la négociation avec Londres, acteur majeur de la finance mondiale. Donner cette compétence à une Irlandaise au moment où Boris Johnson remet en cause l’unité de l’ile n’est pas innocent.
Enfin, et peut être surtout, Von der Leyen redonne le Commerce à Valdis Dombrosvkis, Vice-Président Letton de la Commission. Issu du PPE comme elle, elle l’a imposé comme chien de garde des politiques budgétaires par-dessus l’épaule de Paolo Gentiloni. Dans l’équilibre délicat entre droite et gauche au sein de la Commission, ceci lui permet donc de renforcer discrètement sa main en donnant plus de pouvoir à un libéral convaincu dont la personnalité ne lui fera aucune ombre.
Peut-on espérer une avancée sur la taxation des GAFAM en confiant le portefeuille de la fiscalité à une irlandaise ?
Les impôts relèvent de Gentiloni, donc pas de problème
Merci Arthur. Excellente analyse qui peut et doit être prolongée. Ni le gouvernement irlandais, ni aucun autre n’est propriétaire d’un commissaire. Il faut rappeler les dispositions des traités concernant laque… l’Irlande, oui, a obligé le Conseil européen à contrevenir à l’esprit du traité de Lisbonne en exigeant d’avoir « son » commissaire. Et il est regrettable qu’UVDL, sur la base de petits calculs somme toute assez subalternes ait accepté de renforcer cette vision nationalo-confédérale dite aussi « inter-gouvernementale ». Il faut d’urgence mettre fin à cet archaïsme, sinon l’Europe ne sera jamais souveraine ce qui n’aidera nullement ses États membres à l’être dans notre monde menaçant.
concernant la composition de la Commission et l’indépendance des commissaires.
C’est quoi la « phynance » ?
C’est un terme jouant sur les mots « physique » et « finance », inventé par Alfred Jarry. Dans « Ubu roi », le père Ubu évoque ainsi « les gens qui plient sous le poids de nos phynances ». Et, certes, on doit reconnaître que les méandres de la vie européenne révèlent parfois des situations pour le moins « ubuesques », notamment en matière financière.
On pourrait aussi s’interroger sur ce qui a déclenché la crise, l’hystérie Covid amplifiée par les réseaux sociaux comme Fakelook et Twitter. À l’exception de la Suède, pas un gouvernement européen n’a eu le cran de réagir autrement qu’émotivement en créant des paniques totalement injustifiées par les chiffres. Si les responsables politiques continuent d’être à la merci des peurs et des règles disparates qu’ils ont laissées dicter par des experts de laboratoire au prix de l’économie, ce n’est pas demain la veille d’un modeste rétablissement. Les dernières photos de Wuhan, montrant des rassemblements de masse dans des piscines et sur des pelouses où personne ne porte de masque, montre à suffisance qu’ils doivent rigoler de notre pusillanimité (leurs mesures spectaculaires de confinement du début n’avaient qu’un but commercial). En s’obstinant à confondre ‘testé positif’ et ‘vraiment malade’ (pas comme Boris Johnson qui a pris moins de quinze jours de congé de maladie), le fonctionnement de nos institutions n’ont pas fini de rencontrer des crises et des accidents et de tourner au ralenti faute de contacts normaux. Entre temps on a sacrifié la jeunesse et les actifs à la vieillesse, qui le plus souvent ne le demandait pas.
On a sauvegardé le personnel médical ! vous n’en avez pas dans votre entourage ?
Manifestement vous n’êtes ni médecin, ni directeur d’hôpital Eux sont confrontés aux suicides et aux dépressions causées par la gestion de ce pseudo-fléau, sans compter les vieux qui se sont laissés mourir de chagrin et de solitude. Quand nos États, pour avoir paniqué, ne seront plus en mesure de payer les services de santé, ni les pensions ni le chômage, j’espère que vous aurez encore à cœur d’applaudir le courage et la clairvoyance de nos politiciens. Si le site le permettait je joindrais une récente lettre ouverte de chefs de service et de directeurs d’hôpitaux demandant de revoir d’urgence la gestion de cette épidémie.
Bonjour
Je suis complètement en phase avec Hannecart. La plupart des services hospitaliers sont toujours exsangue de la première vague car le personnel est toujours manquant et la vie ayant repris son cours normal, la surcharge permanente des services a repris. Les infirmiers que je connais me disent que les médecins de leur service hospitalier sont dans la crainte quasi-panique de voir revenir des patients atteints de la COVID, et il y a de quoi quand on voit les séquelles pour ceux atteints par des formes graves : fibrose pulmonaire qui ne guérit pas et maintient une difficulté respiratoire pour le reste de sa vie, séquelle de longue semaine de réanimation qui se traduit par de longs mois de rééducation et des personnes hospitalisées en mars non toujours pas repris une vie normale même chez les patient les plus jeunes,… Une réponse forte était parfaitement nécessaire et le redeviendra peut-être car les conséquences financières de ces hospitalisations, des soins de suite et de rééducation, le stress et les dépressions à suivre ont un coût loin d’être négligeable mais qui est oublié car beaucoup plus difficile à évaluer que la perte d’activité directe des entreprises. Cette dernière n’est certainement pas à négliger mais il ne faut pas croire que le confinement a été une erreur. J’écris cela alors que je pense que c’est le seul point sur lequel je suis en phase avec le président français depuis son élection…
Juste quelques observations additionnelles pour compléter l’article d’Arthur – et notamment quant au cadre juridique dans lequel cette « affaire » s’est située.
1. Comme le souligne Edulphie, aucun gouvernement n’est, par principe, « propriétaire d’un commissaire » – postulat qu’énonce l’article 17, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne (TUE) en ces termes: « La Commission exerce ses responsabilités en pleine indépendance. […] Les membres de la Commission ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme » », tout en prenant soin d’ajouter: « Ils s’abstiennent de tout acte incompatible avec leurs fonctions ou l’exécution de leurs tâches » . Non sans redondance, ces exigences sont reprises à l’article 245 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
Cela étant, la réalité perçue ne reflète pas toujours l’esprit de cette disposition. Ainsi, avant que l’investiture de Sylvie Goulard ne soit refusée par le Parlement européen, on n’a pas échappé à nombre de titres de presse du genre: « Avec Sylvie Goulard, la France aura la lourde responsabilité du marché intérieur ». De même, immédiatement après l’échec de cette candidature, le président de la République française s’est empressé de déclarer: « ce qui m’importe, c’est le portefeuille ». Ces jours-ci encore, une agence de presse n’hésitait pas à titrer: « UE: l’Irlande perd le portefeuille du commerce ». Comme en matière de température, il y a la mesure et le ressenti… dont acte.
2. Pour ce qui est de la cessation des fonctions, le même article 17 du TUE prévoit en son paragraphe 6 c) qu’un membre de la Commission présente sa démission si le président de cette dernière le lui demande. Cette disposition est complétée par l’article 246 du TFUE, qui stipule qu’en dehors des renouvellements et des décès les fonctions de membre de la Commission prennent fin individuellement par démission volontaire ou d’office; le texte ajoute que le commissaire démissionnaire ou décédé est remplacé pour la durée du mandat restant à courir par un nouveau membre de la même nationalité nommé par le Conseil d’un commun accord avec le président de la Commission, après consultation du Parlement européen – procédure qui, avec une variante plus individualisée, fait écho à celle conçue pour l’investiture initiale du collège dans son ensemble.
Cela étant posé, une marge d’autonomie est reconnue à la présidence de la Commission:
– d’une part, elle peut aujourd’hui exiger la démission d’un commissaire, alors qu’avec le traité de Nice qui a précédé celui de Lisbonne groupant le TUE et le TFUE ce pouvoir était subordonné à l’approbation de l’ensemble du collège des commissaires (article 249, paragraphe 4, du traité de Nice);
– d’autre part, aux termes de l’article 248 du TFUE, « les responsabilités incombant à la Commission sont structurées et réparties entre ses membres par le président […]. Le président peut remanier la répartition de ces responsabilités en cours de mandat ».